Raymond Sobakin : «A 105 ans, Saint-Gall se perçoit comme le fruit vivant du labeur des missionnaires »

Père R. Sobakin Crédits photo: dorstenerzeitung.de

Il parle très rarement à la presse. C’est dans le calme du grand Séminaire Saint-Gall que ce prêtre du diocèse de Lokossa, 102 Km de Cotonou, abat, entouré d’une douzaine de formateurs, une tâche à la fois immense et symbolique. Recteur du plus important centre de formation de prêtres du Bénin, il aura influencé le parcours académique d’une multitude de clercs d’autant que sa vocation d’enseignant ne date pas d’hier. Des cours de français au petit Séminaire Saint Joseph d’Adjatokpa à ceux de grec et d’hébreu à Saint-Gall, cet humble et souriant polyglotte n’aura qu’un pas à faire, les deux centres se trouvant à moins de 20 km l’un de l’autre. Après des études d’Ecriture Sainte au Biblicum de Rome, c’est nanti d’un doctorat en Théologie à l’Angelicum de la même ville que ce diocésain de 53 ans, ordonné prêtre depuis décembre 1994, revient au grand Séminaire de Ouidah en octobre 2006 comme formateur et professeur d’Ecriture Sainte et de langues Bibliques. En juin 2017, il est nommé Recteur du Séminaire. Cette interview a été minutieusement préparée par ce prudent et discret qui aura quelque peu hésité. La formation des prêtres, le phénomène des vocations,  l’origine des séminaristes, la question de la pédophilie au cœur de la formation, la vocation missionnaire du Séminaire, il aborde tous les sujets. Même ceux des principales ressources. Avec cette ardente envie d’utiliser les mots justes. Un véritable échange d’enseignant. Quelle coïncidence de la Grâce ? Cette année, Saint-Gall qui a formé des milliers de prêtres pour plusieurs pays (Togo, Côte d’Ivoire, Sénégal, Niger, Burkina Faso…) a fêté en février 2919 les 105 ans de son existence.  Entretien!

Comment expliquez-vous, père, la floraison des vocations au Bénin et en Afrique alors qu’elles s’étiolent en Europe que vous connaissez bien pour avoir fait vos études au Biblicum et l’Angelicum de Rome ?

L’Eglise au Bénin a moins de deux cents ans d’âge. Il s’agit donc d’une Eglise jeune qui a l’atout d’une foi et d’une religiosité vivante, tributaire, à certains égards, du fait que l’homme Béninois (et africain en général) est traditionnellement religieux, tourné vers le divin, vers Dieu. Ceci est un avantage indéniable pour le vécu quotidien de la foi chrétienne qui s’exprime certes en Eglise comme institution universelle, creuset par excellence de sa floraison, mais connaît son premier lieu de développement dans le contexte de la famille, véritable Eglise domestique. Ainsi les jeunes chrétiens, déjà dans leurs familles, sont peu ou prou prédisposés à entendre l’appel du Seigneur et à y répondre.

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Cependant au niveau diocésain et paroissial, la pastorale des vocations joue également un rôle indéniable dans la floraison des vocations au Bénin. Elle consiste en un accompagnement de tout ceux et toutes celles qui aspirent à la vie consacrée aussi bien sur le plan spirituel, intellectuel, que moral. Un tel creuset les fait croître en intimité avec le Seigneur et les rend capable de répondre généreusement à son appel.

De quels horizons viennent vos séminaristes ?

Ils proviennent généralement de familles certes pauvres ou modestes mais craignant Dieu. Cette double caractéristique est un atout que nous exploitons dans la formation pour les disposer à vivre la pauvreté et la modestie requises dans l’exercice du ministère sacerdotal. Ceux qui viennent de familles plus nanties se soumettent également à cette logique de formation pour devenir des prêtres selon le cœur du Seigneur, capables de rejoindre notre peuple aussi bien dans ses précarités que dans sa soif de Dieu. Un petit reste provient parfois, de manière tout à fait inattendue, vous en convenez, de familles non-chrétiennes, musulmanes ou non-croyantes, et c’est aussi là le mystère de l’appel du Seigneur dans ses choix souverains.

Pensez-vous, comme certains observateurs de l’évolution des vocations en Afrique que la peur du chômage et le minimum de confort matériel que garantit le sacerdoce est une motivation pour ces jeunes aspirants ?

Un certain aspect extérieur de la vie du prêtre a pu et peut encore attirer des jeunes vers la vie sacerdotale. Le Seigneur fait feu de tout bois. Mais les motivations d’un tel choix de vie se précisent et se purifient tout au long du parcours de formation dans les séminaires. Un bon nombre de jeunes africains sont certes continuellement dans la crainte des lendemains incertains à cause du chômage. Mais le renoncement et les exigences que suppose la vie sacerdotale sont si profonds qu’il serait absurde de faire ce choix de vie, juste pour une quelconque sécurité d’ordre matérielle. Par ailleurs, il faut honnêtement reconnaître que certains jeunes sont attirés par le sacerdoce, plutôt à cause de l’impact positif qu’ont sur eux la bravoure et l’abnégation de prêtres, malgré les conditions difficiles dans lesquelles ils exercent leur ministère.

Il y a quelques décennies, la moitié du clergé béninois était constitué essentiellement de « blancs » et de missionnaires. Aujourd’hui, l’Eglise a besoin de l’Afrique dans le sens inverse. Deux questions. Interprétez-vous cela comme une revanche évangélique (sourire) de l’Afrique sur le vieux continent ? Ensuite, comment Saint-Gall qui fête 105 ans cette année prépare le mois spécial de la mission qu’a décrété le pape pour octobre 2019 ?

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Percevoir le fait que l’Eglise en Europe ait besoin de celle d’Afrique comme une « revanche évangélique de l’Afrique sur le vieux continent » c’est ignorer le sens même de la mission. L’Eglise en Afrique comme en Europe est une. Si aujourd’hui celle-ci a besoin de celle-là en matière d’évangélisation, il faut à mon humble avis, en rendre grâce au Seigneur et accueillir cela comme un atout missiologique très important. Toutefois il ne faut pas non plus perdre de vue, que la mission continue au Bénin, puisque notre peuple n’est pas encore totalement évangélisé. Il est des diocèses qui ont encore très peu de prêtres autochtones. Ceci a fait développer, surtout ces dernières décennies, une solidarité et une collaboration missionnaire entre les diocèses du Bénin. C’est là une heureuse initiative qui rejoint merveilleusement la pensée du Pape Paul VI qui, lors de son pèlerinage apostolique à Kampala en Ouganda (le premier d’un Pape en terre africaine), disait dans une homélie le 31 juillet 1969 : « Vous, Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires ». Cette mission ad intra, très importante pour la croissance de l’Eglise en Afrique, a besoin de l’investissement généreux, de la bravoure et de l’abnégation des fils et filles du continent, mais n’exclut naturellement pas celle ad extra en faveur des Eglises sœurs d’Europe. De même, il ne serait pas non plus réaliste ni équilibré de réduire toute la mission à cette dernière dimension (mission ad extra). A cet effet, le risque est grand de nos jours, qu’un engouement pour la mission ad extra, surtout vers l’Europe, soit à maints égards, une manière d’échapper aux précarités et aux difficiles conditions de la mission ad intra. Un discernement sérieux est donc requis pour que le prêtre vive la dimension missionnaire du sacerdoce pour la plus grande gloire de Dieu.

Dans cette perspective, le « mois missionnaire extraordinaire » décrété par la Pape François pour Octobre 2019, dans le but de marquer « la célébration du centième anniversaire de la lettre apostolique Maximum Illud du Pape Benoit XV, est une belle opportunité pour nous à Saint-Gall, d’approfondir la dimension missionnaire du ministère sacerdotal, à travers des conférences et ateliers sur divers aspects de la mission, selon les orientations du guide de célébration du mois missionnaire « Baptisés et envoyés : L’Eglise du Christ en mission dans le monde », la revisitation de la vie des saints qui ont marqué de leur empreinte, la dimension missionnaire de la vie baptismale ou sacerdotale, des célébrations liturgiques pour demander au Seigneur de continuer à soutenir sa mission, des collectes en faveur des Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM), des réflexions sur l’auto-prise en charge de la mission chez nous etc. A 105 ans, Le Grand Séminaire Saint-Gall se perçoit comme le fruit vivant du labeur des missionnaires et continue avec la grâce du Seigneur, la noble œuvre que ces derniers ont commencée.

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Est-ce que les scandales de pédophilie qui ont éclaboussé certaines églises occidentales notamment ont une répercussion sur la formation de vos séminaristes ? Et pour finir, de quoi vit, matériellement un séminaire ?

Nous ne pouvons rester indifférents face aux scandales que vous évoquez dans certaines églises occidentales. Comme nous le disions tantôt, l’Eglise est une, qu’elle soit en Europe, en Afrique, en Asie, ou en Amérique. Dans cette perspective, tout en communiant à la souffrance des églises sœurs et à celle des victimes de ces affreux et terribles contre-témoignages, nous mettons tout en œuvre pour renforcer la formation des séminaristes surtout sur le plan psycho-affectif et spirituel. Ces dimensions de la formation sont plus que jamais nécessaires pour un témoignage sacerdotal authentique. C’est l’occasion de saluer ici la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples qui a initié cette année, du 15 février au 15 mai 2019, une formation des formateurs des séminaires autour de la Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis du 8 Décembre 2016 et de Evangelii Gaudium du Pape François. J’ai eu la grâce d’y participer et je puis témoigner que l’expérience est bien enrichissante pour la qualité de la formation dans les séminaires.

Celle-ci a besoin naturellement d’être soutenue sur le plan matériel, autrement tout projet de formation, aussi noble soit-il, court le risque de ne pas atteindre ses objectifs. Dans cette optique, un séminaire comme Saint-Gall de Ouidah, et tout séminaire dépendant de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, vit de diverses subventions extérieures, de l’apport des diocèses concernés, de la participation que donne chaque séminariste, et des projets d’auto-prise en charge comme l’agro-pastoral et autres activités génératrices de revenus.

Nous rendons grâce au Seigneur pour la floraison des vocations chez nous, tout en le priant pour que les églises sœurs en Europe qui naguère nous ont évangélisés, connaissent une refloraison vocationnelle et que la mission ad intra comme ad extra soit un témoignage vivant de l’universalité de l’Église, et porte du fruit, pour la plus grande gloire de Dieu.

Source: Afrika Strategies France/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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