A Madagascar, le plan « Emergence » peine à convaincre les populations et les bailleurs de fonds

Madagascar’s President Andry Rajoelina delivers a speech during a press conference at the Iavoloha presidential palace in Antananarivo, on April 29, 2019. (Photo by Mamyrael / AFP)

Le programme du président Andry Rajoelina, qui repose notamment sur l’industrie et le tourisme, se heurte à la résistance d’habitants qui craignent d’être expropriés.

A quelques kilomètres d’Antananarivo, dans la commune rurale d’Ambohitrimanjaka, la colère gronde. Samedi 19 octobre, ils sont une petite cinquantaine à manifester contre « Tana Masoandro »(la « ville soleil »). Cette ville nouvelle, qui devrait être bâtie sur 1 000 hectares de culture, est l’un des projets phares du président malgache, Andry Rajoelina. Un moyen, à ses yeux, de désengorger la capitale, saturée par la pression démographique. Tana Masoandro pourrait accueillir 300 000 habitants une fois que ce projet pharaonique aura exproprié les riverains et remblayé les rizières.

« Il nous a trahis ! », s’étrangle Laurette, qui manifeste chaque semaine depuis fin septembre sur la digue de terre pourpre qui sépare ses parcelles de la route. Jeudi 16 octobre, la protestation s’est muée en affrontement avec la gendarmerie, faisant un blessé grave parmi les forces de l’ordre. A 62 ans, Laurette continue de dire sa colère et de cultiver sa rizière non loin d’Ambohitrimanjaka, où sa famille vit depuis plusieurs générations. « J’ai voté Rajoelina, poursuit-elle. Je ne suis pas contre cette ville nouvelle, mais pas chez nous ! C’est la terre de nos ancêtres : que nous reste-t-il reste après ? »Elle marque une pause, le visage crispé sous les volutes de poussière. « Rien. »

Un « nouveau Miami »

Tana Masoandro n’est pas l’unique projet de ville nouvelle du président de la République. D’autres sont prévus pour l’année 2020. Andry Rajoelina avait même promis un « nouveau Miami » pendant la campagne présidentielle. Autant de potentielles « villes radieuses » au design futuriste et flamboyant qui contrastent avec le paysage actuel.

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« On estime le coût de Tana Masoandro à 600 millions de dollars [environ 538 millions d’euros] au minimum, détaille Gérard Andriamanohisoa, conseiller spécial du président et coordinateur du projet. Elle sera financée par une société d’économie mixte qui agit en développeur principal. L’Etat sera actionnaire majoritaire de cette société et le reste sera constitué d’investisseurs privés. » Un mécanisme de compensation est prévu, d’abord pour les propriétaires des terres, puis pour les paysans exploitants. « Les travaux ne commenceront pas tant que les gens ne seront pas indemnisés », assure-t-il.

Cette contestation à laquelle fait face Andry Rajoelina est la première depuis son élection, il y a moins d’un an. Un contretemps délicat pour l’exécutif au moment où celui-ci présente son programme de développement, le Plan émergence Madagascar (PEM), aux bailleurs de fonds. Car l’enjeu des financements est bien évidemment crucial. Pour Andry Rajoelina, qui détaille ses grands projets dans un document de 113 pages, il s’agit de hisser Madagascar aux normes des pays émergents avant la fin de son mandat, grâce à des interventions ciblées de l’Etat.

« Hypothèses optimistes »

Les mesures, détaillées dans ses treize engagements de campagne, comprennent l’éducation pour tous, l’accès à la santé et à un emploi décent, grâce à l’industrialisation de l’île et au développement touristique. Pour cela, des grands travaux sont nécessaires, qui incluent notamment la restauration de 869 km de voies ferrées d’ici à 2023, la création de nouvelles prisons de haute sécurité, mais aussi une refonte de certaines institutions comme la justice, avec un toilettage du pôle anticorruption ou de la Chaîne spéciale de lutte contre le trafic illicite de bois de rose et de bois d’ébène.

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« Le document n’est assez précis », critique le représentant d’un bailleur de fonds qui souhaite garder l’anonymat. Pour lui, le point faible du PEM est qu’il se base « sur des hypothèses optimistes, comme une croissance accélérée des investissements privés ». Ce qui n’est pas garanti… Après avoir été présenté à la société civile et au secteur privé, le PEM sera encore travaillé dans une série d’ateliers de consultation à huis clos avec les partenaires techniques et financiers, avant une version finale et officielle fin novembre.

« Nous sommes très enthousiastes à l’idée de ce PEM, notamment parce qu’il repose sur deux branches très importantes pour nous : l’industrie et le tourisme », confie une source du secteur privé qui a assisté à la consultation. Reste à le mettre en œuvre, ce qui ne sera pas une mince affaire dans ce pays où le développement a du mal à se conjuguer au présent.

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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