Municipales en Afrique du Sud : l’opposition à l’ANC se cherche toujours

Dans les rues sud-africaines, impossible d’ignorer que les élections municipales approchent à grands pas. Les affiches électorales s’entassent et se concurrencent, tout particulièrement sur les lampadaires, où elles se chevauchent parfois jusqu’à leur tête. À Ennerdale, en banlieue de Johannesbourg, une station-service est soudain envahie par une dizaine de militants en tee-shirt vert fluo. Flyers en main, ils viennent promouvoir un nouveau parti : Action South Africa. Le dirigeant du parti, casquette et tee-shirt de circonstance, est là aussi. « L’ANC a mis le pays à genoux. Il faut changer ça, pour l’avenir de nos enfants ! » argumente-t-il. Herman Mashaba n’est autre que l’ancien maire de Johannesbourg, élu en 2016 avec le parti Democratic Alliance (DA). Après avoir claqué la porte en 2019 en raison de différends, il a créé dans la foulée son propre parti, avec un objectif : « Écraser l’ANC ! » Ou tout du moins, s’imposer comme l’opposition de référence.

Les déçus de l’ANC

À la tête du pays depuis 1994, l’ANC (African National Congress) compte en effet de plus en plus de déçus. La faute aux scandales de corruption à répétition – l’affaire Jacob Zuma en est emblématique –, aux inégalités toujours criantes (selon une étude menée en août 2020 par le World Inequality Lab, elles n’ont pas diminué depuis l’apartheid), au chômage endémique (30 % des Sud-Africains sont sans emploi, un chiffre qui grimpe à plus de 60 % pour la jeunesse) et aux services publics délétères.

Herman Mashaba ajoute ses affiches à un pylône déjà bien chargé.© Joséphine Kloeckner

Autant de déceptions, qui éloignent chaque année plus d’électeurs du parti de Nelson Mandela. À l’entrée d’une école primaire, une femme sort de ses gonds lorsque l’on évoque l’ANC. « J’ai 71 ans. J’ai toujours voté pour l’ANC. Et ils sont incapables de voir dans quelle situation je suis. Mes petits-enfants sont au chômage, ils n’arrivent pas à trouver du travail. L’ANC devrait regarder vers le bas, voir tous ceux qui galèrent en bas. Ils n’ont rien fait pour nous. L’ANC, c’est fini pour moi. »

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Même discours du côté de Tshepo Mnisi, assistant pharmacien. « On pensait que Ramaphosa changerait les choses, mais il est encore pire que Zuma. L’ANC a déçu les Sud-Africains. Il n’y a plus de services, plus rien. Ça fait 27 ans qu’ils nous promettent des mensonges. »

Les déçus comme eux choisissent pour les uns l’abstention, pour les autres de nouveaux partis. Mais face à l’ANC, quelles alternatives ? Le principal parti d’opposition, Democratic Alliance (DA), avait réussi à rafler plusieurs grandes villes lors des précédentes municipales, en 2016. Parmi elles, Pretoria, Le Cap, et Johannesbourg, cette dernière est depuis retombée entre les mains de l’ANC. Une percée qui a incarné la plus forte mise à mal de l’ANC depuis 1994. Mais l’ANC garde toujours la majorité absolue, et le DA souffre de problèmes internes et de son image, qu’il essaie sans succès de changer : celle d’un parti blanc. Pour ne rien arranger, sa campagne a été entachée d’une énorme polémique renforçant cette image de parti raciste : dans la ville de Phoenix, à 25 km de Durban, où plus de 30 personnes noires ont été tuées dans des circonstances troubles lors des émeutes de juillet, le candidat local du DA a fait campagne en placardant dans les quartiers indiens (pointés par les accusations de meurtres) un slogan choc : « L’ANC vous a traités de racistes, nous vous appelons des héros. » Sous le feu des critiques, le parti a un peu trop tardé à se désolidariser de ce message.

Des centaines de partis, mais aucune formation forte

Face au DA et à l’ANC, de nouveaux partis comme Action South Africa émergent. Plus de 300 présentent des candidats lors de ces municipales qui concernent 250 communes. Pourtant, peu d’entre eux ont des chances de prendre de l’envergure.

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« Il y a énormément de petits partis en Afrique du Sud, car c’est très facile d’en créer un et de s’inscrire pour les élections, explique la chercheuse Susan Booysen, professeure de politique à l’université de Witwatersrand. Mais ils ont souvent très peu de pouvoir, et certains n’ont de parti que le nom. »

Lors des dernières élections municipales en 2016, l’ANC l’a emporté avec 54 % des voix, suivi par le DA (27 %), l’EFF (Economic Freedom Fighters) (8 %) et l’Inkhata Freedom Party (4 %). Les élections générales de 2019 ont quant à elles une fois de plus consacré l’ANC, avec 57 % des voix.

Une affiche de campagne dans un quartier aisé de Johannesbourg.© Joséphine Kloeckner

Pourtant, les Sud-Africains sont en demande de nouvelles options politiques. Alors pourquoi les partis alternatifs ont-ils si peu de poids ? Et comment l’ANC parvient-il à conserver sa place dominante ?

Pour la chercheuse Susan Booysen, le parti a une méthode bien rodée pour éviter des scissions internes qui risqueraient de lui faire perdre sa majorité. « Il y a parfois des petits partis qui émergent, mais l’ANC veille toujours à les éliminer. Ils sont conscients du risque de perdre la majorité absolue s’ils se divisent. L’ANC utilise donc le clientélisme pour s’assurer de garder la loyauté de ceux qui auraient pu partir et devenir plus puissants dans de nouvelles formations politiques. »

À cela s’ajoute une fidélité historique des Sud-Africains pour le parti qui a libéré le pays de l’apartheid. Pour un militant d’Action South Africa, le DA ne pourra jamais davantage réussir, malgré des bilans positifs dans les villes qu’il gère. « Il y a toujours cette méfiance envers ce qui vient des Blancs. Les gens préféreront toujours voter pour l’ANC, même s’ils sont corrompus, même si le DA peut faire mieux. Ils voteront toujours pour le parti noir. »

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Vers de plus en plus de coalitions

La présence des petits partis ne compte cependant pas pour du beurre dans ces élections. Avec l’ANC s’affaiblissant et un système électoral à la proportionnelle, Susan Booysen anticipe de plus en plus de coalitions.

« Ce dernier mandat a vraiment été un encouragement pour les petits partis. Ils ont acquis un pouvoir disproportionné de faiseur de rois, et ont été importants dans la formation des alliances avec les grands partis, pour former des majorités absolues au niveau local. Dans les petites villes, obtenir un ou deux sièges peut suffire à être faiseur de rois. »

Pour elle, c’est le destin qui attend Action South Africa pour ces élections. À Johannesbourg, les sondages donnent au parti la troisième place.

Source: Le Point Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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