Vue d’Alger, « l’élection tunisienne nous redonne espoir »

Conscients qu’« on ne peut pas récolter les fruits d’un combat dans l’immédiat », les Algériens ont choisi d’apprendre de l’expérience tunisienne.

Hier dimanche, la Tunisie a élu un nouveau président, Kaïs Saïed. Juriste spécialisé en droit constitutionnel soutenu par aucune structure partisane, l’homme, connu pour son intégrisme, a même refusé le financement public pour mener une « campagne atypique » dans un pays excédé par la corruption. Il a remporté le scrutin avec un score important : plus de 72,5 % selon l’Institut Emrhod, 76,9 % selon Sigma Conseil. Il a ainsi devancé de près de 50 points son adversaire Nabil Karaoui, qui a reconnu sa défaite. Sa volonté d’« inverser la pyramide des pouvoirs » séduit au-delà de la Tunisie.

Les Algériens en haleine

En Algérie, où l’élection présidentielle prévue le 12 décembre prochain est d’ores et déjà contestée par les manifestants dans la rue et une partie de l’opposition, le scrutin tunisien suscite l’envie, l’admiration et renforce l’espoir et la détermination de beaucoup d’Algériens. « Au lendemain de la révolution, des figures de l’ancien système tunisien sont restées. Quelques années plus tard, c’est un homme qui n’a rien à voir avec les partis de l’ancien système, ni avec la classe politique, qui remporte la victoire. C’est vraiment encourageant », estime Mounir, médecin âgé de 33 ans.

Ce dernier a suivi le débat du deuxième tour entre Kaïs Saïed et Nabil Karaoui. L’élection tunisienne « donne de l’espoir », selon lui. « Elle prouve que notre mouvement populaire va aboutir, même si cela pourrait encore tarder », insiste le praticien. « Cette élection démocratique est le fruit des années de combat. Cela a pris du temps. Les politiciens ont également fait preuve de sagesse », indique Amine Bendjoudi, 29 ans, militant et cogérant de la société de production audiovisuelle Tahya Cinéma.

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Quelques frustrations

De l’expérience tunisienne, lui aussi retient la patience du peuple. « On ne peut pas récolter les fruits d’un combat dans l’immédiat. Les Algériens doivent patienter », assure-t-il. Amine Bendjoudi souligne également le rôle important joué par la jeunesse dans ce pays. « Ce sont essentiellement les étudiants qui ont fait monter Kaïs Saïed », rappelle-t-il. Pour lui, les étudiants « doivent s’organiser davantage », « créer de nouveaux espaces » et « s’impliquer dans la vie politique du pays ».

Le succès de la présidentielle tunisienne est également le couronnement de « l’investissement » et d’une « implication totale de toute une population », note Zineb, 31 ans, cadre d’une entreprise publique. « J’ai des amis qui sont rentrés d’Europe pour voter dans leur pays alors qu’ils pouvaient le faire là où ils étaient. Pour eux, le changement passe par les urnes et la transparence est imposée par le peuple à travers une participation massive. Chez nous, quand on craint la fraude, on s’abstient », dit-elle.

Et beaucoup de questions

« Des candidats qui peuvent mobiliser ne se présentent pas parce qu’ils ont peur de s’attirer les foudres des citoyens. J’ai l’impression qu’on oublie qu’il faut quelqu’un à la tête du pays, ne serait-ce que pour assurer la période de transition, comme cela s’est passé en Tunisie au début. On ne peut pas passer d’un régime à la Bouteflika à un État moderne et résolument démocratique. C’est un leurre », poursuit la jeune femme, qui ne cache pas ses appréhensions quant à l’évolution de la situation du pays.

À deux mois de l’élection présidentielle, des milliers d’Algériens continuent à sortir dans la rue chaque vendredi pour réclamer le changement radical du système et le départ de ses figures emblématiques, tout en contestant la date du scrutin fixée par les autorités. En face, le pouvoir fait preuve d’une détermination inébranlable. L’idée d’un troisième report reste inenvisageable puisque toutes les conditions sont, selon lui, réunies pour aller vers le scrutin. « Le contexte et la situation des deux pays sont complètement différents », reconnaît Zineb.

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« La Tunisie a franchi une étape importante dans sa vie institutionnelle et politique. Chez nous, on reste toujours dans les conflits liés à un problème de confiance entre le pouvoir et le peuple algérien », résume Me Aïssa Rahmoune, avocat et militant des droits de l’homme. Pour lui, il est difficile, voire impossible, d’adapter le « modèle tunisien » en Algérie. « Nous avons nos spécificités culturelles, économiques, sociales et cultuelles et nos traditions de lutte aussi. Nous sommes aussi déformés par cinquante-sept ans de dictature », rappelle-t-il. « Nous ne pouvons pas calquer le modèle tunisien. Il faut inventer notre modèle et nos mécanismes de démocratisation et de transfert de souveraineté du peuple algérien à travers ses institutions », conclut-il.

Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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