L’Algérie interdit les manifestations, mais se maintient au stade 2

Face à la propagation du nouveau coronavirus en Algérie, les autorités ont interdit mardi soir les manifestations du hirak, le mouvement de contestation au sein même duquel des voix demandaient une suspension de la mobilisation, ininterrompue depuis un an.
© Billal Bensalem / NurPhoto

Le président algérien a interdit les manifestations alors que le pays enregistre son sixième décès dû au nouveau coronavirus.

Les distances sont bien respectées entre clients, certains portent des masques, surtout les femmes, d’autres des gants, le caissier masqué et gants aux mains est affable : dans cette supérette du quartier Hussein-Dey à Alger, on se protège de la propagation, mais sans grande panique. « La semaine dernière, les gens se moquaient de moi à cause du masque, ça a changé, surtout depuis hier », dit Farid, la vingtaine, étudiant désœuvré car les facs algériennes ont fermé depuis jeudi dernier. Hier, mardi, la décision de fermer les mosquées a profondément impacté la morale des Algériens. « Là, j’ai senti que quelque chose de grave était en train d’arriver, que Dieu nous garde », commente Halim, la quarantaine, cadre dans une société publique.

Un choc

Impressionnés, les Algérois n’en revenaient pas, mardi, d’entendre l’appel à la prière, le adhan, se conclure par un inédit « priez chez vous ». La mosquée, plus qu’un lieu de culte, est un lieu de socialisation, de rencontre en fin de journée entre les habitants du quartier, vieux et jeunes, retraités et actifs. Plus que la suspension de toutes les liaisons aériennes et maritimes, la fermeture des frontières terrestres ou des écoles et des universités, celle des mosquées a été un signal fort.

Pourtant, l’Algérie est, officiellement, au stade 2 du niveau de propagation du virus. C’est ce qu’a annoncé le président Abdelmadjid Tebboune dans une adresse à la nation mardi soir. Le discours, épousant la logique des mesures progressives de prévention adoptées par le gouvernement, se voulait rassurant. « Même si cette pandémie venait à passer au stade 3, vous devez savoir que nous avons pris toutes les mesures nécessaires et nos capacités opérationnelles sont intactes et non encore exploitées, au niveau de l’Armée nationale populaire (ANP) mais aussi au niveau de la sûreté nationale », a précisé Tebboune, ajoutant que « les espaces économiques à l’instar des foires peuvent être aménagés en centres d’isolement, au même titre que les édifices et structures publics ».

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72 cas confirmés

Les autorités ont décidé, ce mercredi, de réquisitionner les complexes touristiques Les Andalouses d’Oran et Les Matares, ainsi que les hôtels Mazafran, Riad et Azur à l’ouest d’Alger pour le confinement sanitaire des passagers rapatriés d’Égypte et de France. Mercredi, un sixième décès, un homme de 62 ans, à Blida, au sud d’Alger, et 12 nouveaux cas sont enregistrés par le ministère de la Santé, soit 72 cas confirmés en tout.

Sur les 12 nouvelles contaminations, 4 cas ont été enregistrés dans la wilaya (département) d’Alger. La wilaya de Blida, la plus touchée, enregistre quatre nouveaux cas. Cette progression des cas inquiète dans un pays qui souffre d’un système de santé peu fiable, otage des dysfonctionnements bureaucratiques. Mais, là aussi, les autorités ont tenu à rassurer une opinion qui reste sceptique. Dans son allocution de mardi soir, le président de la République a avancé des chiffres censés tranquilliser les Algériens, énumérant la disponibilité de 1 550 000 masques (en plus de l’acquisition en cours de 54 millions d’autres), 6 000 tests de dépistage (15 000 autres en cours d’acquisition) et plus de 2 500 lits de réanimation, « un nombre appelé à augmenter en cas de nécessité pour atteindre 6 000 lits avec la garantie de 5 000 respirateurs artificiels ». Ces chiffres semblent contradictoires avec les mouvements de colère dans certains hôpitaux où le personnel soignant s’insurge contre le déficit en moyens.

Un système sanitaire fragile

De son côté, le président de l’Ordre des médecins, Mohamed Bekkat Berkani, a appelé sur la radio publique au « déclenchement d’un mouvement de prévention général », craignant « l’enregistrement de nombreux autres cas de coronavirus ». À la question de savoir s’il faut aller rapidement vers le confinement de la population en Algérie, le professeur Mohamed Bekkat Berkani qualifie cette mesure d’« envisageable, voire nécessaire », ajoutant : « L’Algérie, à l’instar de tous les pays émergents, est très fragile, il nous faut trouver des solutions adaptées à notre pays. »

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Chacun a improvisé ses propres mesures en l’absence d’un appel général au confinement. Amel travaille pour une multinationale installée à Alger, elle a, d’un commun accord avec sa direction, choisi de travailler de chez elle. « Je suis une privilégiée, car la majorité des Algériens actifs ne pourront pas se confiner chez eux et adopter le télétravail », regrette-t-elle. À Alger, certains restaurants et hôtels ont décidé de fermer sans attendre une décision des autorités. Des commerces aussi ont pris la même décision. Mais la crainte est ailleurs : la poursuite ou non des manifestations populaires, dont celle de mardi dernier a énormément choqué une partie de l’opinion.

Le hirak, un risque ?

La 56e « marche des étudiants » a eu quand même lieu mardi matin alors que des étudiants activistes ont tenté de dissuader les manifestants, en majorité des non-étudiants, et malgré une campagne menée par des activistes et des « figures » du hirak pour appeler à suspendre provisoirement les manifestations. Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition) a décrété cette semaine l’arrêt de « toutes [ses] activités qui peuvent être un vecteur de propagation du Covid-19 jusqu’à l’amélioration de la situation sanitaire ». Ce parti appelle aussi à « rechercher d’autres moyens de lutte pacifique avec tous les acteurs politiques, syndicaux, associatifs et les activistes engagés dans le combat pour la réappropriation de la souveraineté du peuple algérien ». Mardi soir, dans son allocution télévisée, le président Tebboune a annoncé « l’interdiction des rassemblements et des marches, quelles que soient leur forme et leur nature, et isolement de tout endroit suspecté d’être un foyer de la pandémie ». « Interdire les marches et laisser les restaurants ouverts, ainsi que les marchés, ce n’est pas du tout logique », fait remarquer un activiste du hirak, qui craint, malgré tout, que « le maintien d’une manifestation pour ce vendredi ne soit un coup fatal pour l’image du mouvement populaire chez l’opinion ».

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Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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