Crise anglophone au Cameroun : la guerre des lobbyistes fait rage à Washington

Yaoundé tente de refaire sa réputation à Washington, qui accentue sa pression pour pousser les autorités camerounaises à accepter « un dialogue sans pré-condition » pour résoudre la crise dans les régions anglophones. Au centre du dispositif : un cabinet de lobbying proche des républicains, qui a décroché un contrat de 220 000 dollars pour redorer l’image du gouvernement camerounais.

La tension monte inexorablement entre les États-Unis et le Cameroun. Alors qu’à Washington, sanctions et prises de positions critiques envers les autorités camerounaises se multiplient, à Yaoundé, la contre-offensive s’organise. Le Cameroun a confié à un cabinet de relations publiques proche des républicains la charge de promouvoir une « image positive et favorable », aussi bien auprès de l’opinion publique que des décideurs politiques américains.

Depuis le début du mois de juillet, deux mesures inédites ont été prises par des institutions américaines à l’encontre des autorités camerounaises. Le 2 juillet, c’est le département d’État – équivalent du ministère des Affaires étrangères –  qui a pris une sanction visant le colonel Jean Claude Ango Ango, inspecteur général de la gendarmerie nationale, ainsi que ses proches. Ce haut cadre du ministère camerounais de la défense a été notifié d’une interdiction de séjour sur le sol américain en raison de « son implication dans d’importantes opérations de corruption ».

Le 23 juillet, c’est le Congrès qui adoptait à son tour une nouvelle résolution très critique, condamnant « les abus commis par les forces de sécurité » dans le cadre du conflit en zone anglophone. Ladite résolution recommandait également « un dialogue sans pré-condition » pour résoudre ce conflit, alors même que Yaoundé continue d’exclure la sécession de toute discussion sur la sortie de crise.

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220 000 euros pour redorer le blason du Cameroun

Cela fait plusieurs mois que les relations se tendent entre Yaoundé et Washington. En mars dernier, déjà, Tibor Nagy – le « Monsieur Afrique » de Donald Trump – avait considéré comme « inacceptable » l’incarcération de l’opposant Maurice Kamto « pour ses activités politiques ». Si, après une audience avec Paul Biya le 18 mars, le sous-secrétaire d’État américain chargé des Affaires africaines avait largement tempéré son propos, les États-Unis sont aussi à la manœuvre au Conseil de sécurité de l’ONU.

Les autorités camerounaises n’ont cependant pas attendu les dernières sanctions américaines, ni la dernière résolution au vitriol du Congrès, pour tenter de renverser la vapeur. Le Cameroun a engagé un contrat avec la firme de lobbying Clout Public Affairs, une filiale du groupe Axiom Strategies.

La société est la propriété du célèbre politicien républicain Jeff Roe, qui fut le directeur de campagne du sénateur texan Ted Cruz lorsqu’il a affronté Donald Trump lors des primaires en 2016.

Le contrat, paraphé par les deux parties à Washington le 12 juillet, donne un mandat précis à Clout Public Affairs : promouvoir une « image positive et favorable » du gouvernement camerounais par le biais de publicités numériques, « en plaçant des points de vue ciblés dans des médias conservateurs ». Selon le document du Foreign agents registration act (Fara), le contrat porte sur une période de quatre mois – de juillet à octobre – pour une facture de 220 000 dollars.

Parmi les membres de l’équipe qui ont la charge de redorer l’image de Yaoundé à Washington, David Polyansky et Catherine Frazier, deux anciens collaborateurs du sénateur Ted Cruz, ainsi que Jimmy Soni, un ancien rédacteur en chef du Huffington Post. Un casting de choix, auquel les autorités camerounaises semblent avoir donné carte blanche.

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La nouvelle stratégie pour contrer activistes et opposants

La nouvelle stratégie déployée par Clout Public Affairs a connu son premier effet concret après l’adoption de la résolution 358 du Congrès. Aucun communiqué officiel n’a été émis par les autorités camerounaises, contrairement à ce qui avait été observé lors du vote d’un texte similaire par le parlement européen, en avril dernier. À cette occasion, le Parlement et le gouvernement camerounais étaient simultanément montés au créneau pour dénoncer « une kyrielle de contre-vérités, d’affirmations gratuites, de récriminations infondées et d’injonctions assorties de chantage ».

La tâche s’annonce cependant difficile pour Clout Public Affairs. Dans la course à la séduction et à la quête d’influence, Yaoundé fait face à une multitudes d’acteurs. D’un coté, les activistes anglophones de la diaspora, représentés par les leaders de la cause sécessionnistes, multiplient les actions et interpellations publiques. De l’autre, les opposants, qui militent pour une décrispation du climat politique au Cameroun. Deux courants qui se retrouvent cependant autour d’un objectif commun : amener les États-Unis à peser de tout son poids pour faire fléchir Yaoundé qui, de son côté, demeure sourd aux signaux émis de l’intérieur de pays.

Mais ici, aucune agence de relations publiques liées de près ou de loin à l’administration américaine. Juste des personnalités. L’activiste Ebenezer Akwanga, l’opposant Akere Muna ou encore Me Adil Shaban, l’avocat de Maurice Kamto, sont les figures les plus en vues. Pas de rémunérations faramineuses non plus. Les actions sont financées par crowdfunding, ou sur fonds propres. Et si elles ne présentent pas forcément une lisibilité spectaculaire, les résultats sont clairement perceptibles. L’adoption de la résolution 358 par le Congrès étant l’une des manifestations les plus palpables.

LES ACTIVISTES SÉCESSIONNISTES RÉUSSISSENT À FAIRE PASSER LEUR RHÉTORIQUE AUPRÈS DES ÉLUS AMÉRICAINS

« La résolution du congrès considère notamment que ce sont “les forces gouvernementales qui [ont] attaqué des installations médicales et des agents de santé dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest”, alors que gouvernement et sécessionnistes se rejetaient mutuellement la responsabilité, et que les enquêtes diligentées ici n’ont pas encore livrées leurs conclusions », fait remarquer Eric Leonel Loumou, spécialiste en stratégie de communication. « Cela montre comment les activistes sécessionnistes réussissent à faire passer leur rhétorique auprès des élus américains. »

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Clout Public Affairs fera-t-il mieux que ses prédécesseurs ?

Depuis la mi-juillet, l’opposant Akere Muna effectue une tournée aux États Unis qui l’a notamment conduit au département d’État, le 16 juillet. Deux jours après son passage, Tibor Nagy apportait son soutien au Forum des ex-chefs d’État africain sur la situation politique au Cameroun, une initiative soutenue par un Akere Muna réputé proche de ces anciens chefs d’États présents.

Les lobbyistes de Clout Public Affairs réussiront-ils là où ceux de Glover Park Group, Mercury Public Affair et Squire Patton Boggs ont échoué avant eux ? Le recrutement en 2018 de ces trois compagnies de lobbying n’avait pas permis d’empêcher la suspension de l’assistance militaire américaine en mars 2019, en raison « de graves violations des droits de l’homme » constatées dans le cadre de la lutte contre Boko-Haram.

Source: Jeune Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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