CÔTE D’IVOIRE : Bédié, le dernier ring d’un éléphant qui hennit

« A 86 ans, et alors qu’il tient à peine debout, cet ancien président ( 1993 – 1999) à la raison émoussée par ses égos entend se maintenir coûte que coûte dans une course qui promet d’être sans répit

A 86 ans, alors qu’il a juré par le passé de ne plus briguer la magistrature suprême, Henri Konan Bédié est candidat à la candidature de son parti. Et pour cause, Thierry Tanoh et Jean-Louis Billon ont reçu de fermes consignes de se ranger au risque d’affronter le courroux d’un gourou qui règne depuis trois décennies sur le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). Epuisé par un diabète chronique et un cancer de la prostate à surveiller de près et alors qu’il oscille entre verres de whisky et cigares, ce notable baoulé, ethnie du centre, résume son projet de société à « prendre sa revanche sur Ouattara » tout en surfant, avec l’impudeur qui le caractérise, sur les extrêmes. Sauf qu’il n’a pas tenu comme de l’irruption d’un autre impromptu, Kouadio Konan Bertin dont la candidature à la dernière heure change tout. Chronique d’un patriarche que les années n’ont pas réussi à assagir.

L’image vaut mille mots. Assoupi sur un fauteuil ajusté à l’occasion sur ses 1,60m et les pieds touchant à peine le sol ce 20 juin, l’ancien président ivoirien est soutenu par un coussin pour alléger son mal de dos déclenché dans la foulée de son exil fin 1999 et que de longs traitements en France et en Suisse n’ont pas réussi à guérir. C’est à son domicile à Abidjan qu’il reçoit une courte délégation de cadres de son parti, sélectionnés pour « leur bédié-compatibilité » et à qui il confie être prêt « à faire don de sa personne« . Subtile et éhontée métaphore pour ce pouvoiriste qui, poussé à bout par l’obsession, ne se voit dans aucun autre rôle que celui de chef d’Etat. Une mise en scène qui ne fait pas figure d’exception d’autant que ce parti qui cultive le culte de la personne dans ses extrémités et démesures en a une sacrée habitude. La veille, une réunion dirigée par Jean-Louis Billon avait annoncé les couleurs. « On ne tient pas la tête au chef chez le baoulé » a insisté l’ancien ministre du commerce, dont la plausible candidature avait animé les bruits de couloirs au Pdci. A cette réunion, une absence emblématique, celle de KKB. Kouadio Konan Bertin paie les frais d’une « insubordination » que le Sphinx qualifie, en privé, d’affront. Contre l’avis de Bédié, ce germanophile structuré et ancien chef de la jeunesse du parti a chauffé les bottes lors de la présidentielle de 2015. Si Henri Konan Bédié ne le lui a jamais pardonné, il fait semblant de l’oublier pour éviter un mouvement schismatique qui aurait secoué les mythes du chef incontestable qu’il est à la tête de l’ancien parti unique depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny à qui il a succédé à la tête de la Côte d’Ivoire. Car ce trublion quinquagénaire est encore l’un des derniers éléphanteaux qui barrit au royaume du Pdci où même le leader historique hennit comme un âne égaré. Un autre « enfant têtu » de l’arène Bédié, Kouassi Kouamé Patrice, n’a été informé de la réunion qu’à 10 mn de la fin. Manigance de l’éternel Sphinx, surnom que porte sur mesure Henri Konan Bédié. Annoncée précédemment pour mi-juin, l’investiture du candidat désigné par le parti doit attendre quelques semaines et n’aura lieu que fin juillet. D’ici là, deux consignes, « pas de contestation » et « Ouattara comme principale cible« . Mais c’est sans compté avec l’incontrôlable KKB.

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Le fameux deal avec Ouattara

« C’est un éléphant qui hennit » blague en privé un membre du gouvernement et ancien cadre du Pdci. Kobénan Kouassi Adjoumani préfère quant à lui dénoncer « le monstre de l’ivoirité« . Si ce téméraire buffle du Pdci était resté dans son ancienne famille politique, il porterait sans doute fièrement un « KKA », la pratique des acronymes persistant dans l’ex parti unique. Mais il n’a pas voulu quitter la majorité présidentielle. D’ailleurs, comment oserait-il lâcher le stratégique portefeuille de l’agriculture qu’il tient depuis 8 mois après avoir occupé le ministère des ressources animales et halieutique de 2011 à 2019. Pendant de nombreuses années, au sein du Parti démocratique de la Côte d‘Ivoire (Pdci) qui n’est démocratique qu’en énoncé de son sigle, Bédié faisait mystères et courtes fuites autour d’un supposé deal avec Alassane Ouattara. Selon des indiscrétions que lui et des cadres de son parti enchainent, l’actuel président ivoirien lui aurait promis la présentation, en 2020, d’un candidat issu de son parti pour l’alliance des houphouêtistes lancée par ces deux personnalités pour ratisser large pour la majorité. « Une illusion du vieux » blâme un autre Pdci. En réalité, si Alassane Ouattara n’a jamais fait une telle promesse, il n’est pas non plus contre l’idée. D’ailleurs, au moins une fois selon des témoignages concordant, le président ivoirien a tâté les pools auprès de son aîné. Mais à chaque potentiel candidat issu du Pdci, Bédié trouvait un défaut. « Kablan Duncan n’a pas la poigne, Patrick Achi n’est que l’ombre de lui-même politiquement…« , en résumé, il n’y a pour Henri Konan Bédié qu’Henri Konan Bédié pour lui succéder. L’objectif du président ivoirien étant de laisser la place à une génération plus jeune, l’idée d’une candidature issue du Pdci ne remplirait pas cette condition, Bédié tenant à rempiler. Depuis, Ouattara se faisait déjà une idée d’une succession à l’interne du courant Rdr, son ancien parti. Aucun deal n’a donc jamais existé dans le sens qu’avancent les cadres du Pdci qui perdait de plus en plus son électorat. Lors des dernières élections régionales, le parti n’est pas allé au-delà des 20% contre 60% pour la majorité.

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« Moi ou le naufrage collectif »

Si Billon n’a rêvé de la présidentielle que chaque fois que Bédié lui donne l’impression de ne plus être intéressé, Thierry Tanoh lui, y pense chaque matin en se rasant. Idem pour Kouadio Konan Bertin qui, avant même de devoir se raser, y pensait déjà. Candidat malheureux lors de la précédente présidentielle, il n’a jamais pu revenir vraiment dans le cercle fermé. « Le vieux a du mal à lui faire confiance » tacle un député du parti qui ne nie pas que « KKB ait une force de mobilisation sans pareil« . Mais comme un seul « KK » ne fait pas la révolution, Kouassi Kouamé Patrice (KKP) maugrée depuis peu. Député, il reproche à Bédié de « manipuler contre lui » Maurice Kakou Guikahué (MKG), le numéro deux du Pdci. Ce conflit à priori entre deux personnes est vite ramené au niveau du parti d’autant qu’il permet au Sphinx qui trouve le député de Yamoussoukro « ambitieux et réfractaire » de le tenir à l’œil. « Patrice est pressé de m’enterrer » dit-il, de sa voie efféminée, de celui qui, jusqu’à récemment, était présumé de lui. Un embrouillamini général qu’entretient, en éternel acteur et metteur en scène, Bédié. Il a d’ailleurs craint entre temps que ses principaux lieutenants ne se mobilisent autour d’un autre potentiel ou supposé candidat, Tidjane Thiam. Avant de chuter chez Kering, le numéro 3 du luxe, l’ancien patron de Crédit Suisse avait caressé le rêve d’être candidat. Un puissant réseau de financiers s’organisait pour mobiliser des fonds autour de la candidature du franco-ivoirien plutôt proche du Pdci et pour qui battait le cœur des élites du parti. Mais Bédié est arrivé à ses fins, taillant sur mesure les critères de candidature au sein du parti, exigeant que « tout candidat verse 200 millions au Pdci », montant dont il peut seul disposer aisément avant de descendre à 25 millions. Aussi, a-t-il enchaîné de subtiles interprétations pour finalement se retrouver être l’unique candidat. « Celui que je crains le plus, c’est KKB » murmurait-il, souvent, à Billon et Tanoh, ses hommes de confiance. Et jusqu’à ce mercredi soir, il n’avait jamais pensé devoir affronter celui dont il fut le témoin de mariage.

Le souffre de la ruse…

Il n’y a pas de doute, un malaise s’empare d’une part du parti. Alors qu’il a promis, à plusieurs reprises, ne plus postuler à la magistrature suprême, Bédié est revenu sur ses propos, distillant l’idée selon laquelle il est le seul à pouvoir battre le candidat de la majorité présidentielle. Il faut rappeler que depuis le début de l’année 2018, le torchon brulait entre le président ivoirien et son prédécesseur. Si aucun accord entre le Pdci et le Rhdp ne prévoit, comme le reconnaissent plusieurs proches des deux hommes que « le candidat de la majorité en 2020 ne soit issu de l’ancien parti unique« , le vieux Sphinx s’accroche à l’idée. Et insiste pour que Alassane Ouattara ne tranche avant juin 2018. Il a, pour cela, sollicité l’intervention discrète de Buhari (Nigeria) et de Akufo-Addo (Ghana). Il a aussi mobilisé ses vieux contacts de droite française pour que Macron s’intéresse au sujet, vainement. Obstiné par ses rancœurs, il multiplie des attaques à l’endroit de son ex partenaire et poussant le Front patriotique ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo à signer un accord avec lui. Un accord totalement flou d’autant que, non seulement l’ancien parti socialiste est divisé en trois branches, mais aussi bien Laurent Gbagbo que Henri Konan Bédié, interprète chacun, de son côté, diversement un accord qui n’a jusque-là pas été écrit. Le dernier cercle de l’ancien pensionnaire de la Cour pénale internationale insiste pour que l’exilé de Bruxelles ne soutienne, contre rien, « celui qui l’a trahi en 2010« . Entre temps, Bédié a échoué à se rapprocher de Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien président, sortie de prison grâce à une amnistie prononcée par Ouattara mi-2018. Quant à Charles Blé Goudé qui le voit en « éhonté, sans scrupule et prêt à tous les accords contre nature« , il se méfie de celui que médias locaux et chancelleries associent à la ruse. S’il sait qu’il ne peut plus compter sur les 25,24% qu’il a réussi à rassembler lors de la présidentielle de 2010, arrivant en troisième position, Bédié sait surfer sur l’ivoirité et a repris la rengaine d’étrangers qui profitent du pays « au détriment des ivoiriens ». Un vieux démon dont les relents politico-xénophobes fort nauséeux ont plongé son pays dans le gouffre d’une interminable crise.

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Abandonné par l’essentiel des cadres de son parti qui sont restés loyaux à la majorité et occupent d’importants postes, le digne fils de cultivateurs et ancien étudiant de l’Université de Poitiers en France aura du mal à mobiliser du financement. Et surtout à emballer les ivoiriens qui sont lassés de ses vieux démons et le voient enfin à la retraite. Mais l’irruption inattendue de Kouadio Konan Bertin peut tout changer et peut être susciter de nouveaux dynamismes au sein d’un parti qui créé en avril 1946, a cessé de faire rêver les ivoiriens.

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