Banque africaine de développement : les enjeux d’une élection

Réunis du 26 au 27 août, les 80 gouverneurs de la BAD devraient élire le président de l’institution dans un contexte de lutte d’influences entre plusieurs puissances.

Ce n’était jamais arrivé dans l’histoire de la Banque africaine de développement depuis sa création en 1964. Pour la première fois, la principale institution de financement du continent africain tient du mercredi 26 au jeudi 27 août ses assemblées annuelles sur le mode virtuel à cause de la pandémie du Covid-19. Exit donc les bruits de couloirs, les rumeurs de l’hôtel Ivoire-Sofitel où s’est tenue la dernière réunion des gouverneurs à Abidjan en 2015. Après avoir porté, à la surprise générale, leur choix sur le Nigérian Akinwumi Adesina parmi huit candidats en lice, les décideurs n’auront pas beaucoup d’intrigues à démêler, car l’actuel président de la banque panafricaine est le seul candidat en lice pour un deuxième mandat de cinq ans après avoir été blanchi de toutes les allégations d’abus de pouvoir et de corruption dont il était la cible par un panel indépendant.

Ces accusations ont cependant terni l’image du flamboyant président de la BAD, dont la réélection semblait assurée au début de l’année, avec le soutien de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), et après une augmentation de capital géante de 115 milliards de dollars réussie en octobre 2019. Les réunions annuelles devaient se tenir à la fin mai, elles ont été reportées en raison de la propagation du coronavirus.

Akinwumi Adesina, de la consécration à la tourmente

Ce feuilleton médiatico-financier qui dure depuis avril, lorsque les accusations ont fuité dans les médias, a déstabilisé l’institution panafricaine de développement, et particulièrement son président. Adesina, 60 ans, ancien ministre de l’Agriculture du Nigeria, s’est, dès le début, vigoureusement défendu, rejetant en bloc toutes les accusations et clamant son « innocence ».

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Le panel, dirigé par Mme Robinson, avocate de profession qui a aussi été haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme de 1997 à 2002, a considéré que les seize accusations qui visaient cet économiste spécialiste de l’agriculture et du développement avaient été correctement examinées par le comité d’éthique de la BAD, au regard des règlements et procédures internes de la banque, considérant notamment que les lanceurs d’alerte n’avaient pas apporté de preuves.

Mais Mme Robinson et les deux autres experts, le magistrat gambien Hassan B. Jallow et le Sud-Africain Leonard F. McCarthy, ancien vice-président pour l’intégrité à la Banque mondiale, n’ont pas enquêté sur les accusations elles-mêmes, ce qui n’était pas leur mandat.

Les États-Unis, deuxième actionnaire de la BAD après le Nigeria, avaient exigé, fin mai, le lancement d’une enquête indépendante sur ces accusations, remettant en cause le travail du comité d’éthique qui avait disculpé le Nigérian quelques semaines plus tôt. Avant de se ranger à la position du conseil des gouverneurs de la BAD, favorable à une simple « revue ».

Les lanceurs d’alerte, qui se présentaient comme des « employés préoccupés de la BAD », accusaient Akinwumi Adesina d’enrichissement personnel, de favoritisme dans de nombreuses nominations de hauts responsables, en particulier de compatriotes nigérians, d’avoir nommé ou promu des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de fraude ou de corruption, ou encore de leur avoir accordé de confortables indemnités de départ sans les sanctionner.

Charismatique, beau parleur, anglophone mais parfaitement à l’aise en français, cet excellent communicateur, toujours élégamment habillé de costumes et nœuds papillon, a en effet donné une visibilité internationale à l’institution panafricaine de développement, attirant les capitaux et multipliant les annonces de financements de projets sur le continent.

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En interne, sa gestion du personnel a causé des remous depuis cinq ans, entraînant le départ de nombreux cadres. Il compte également un adversaire de poids à sa réélection, les États-Unis, suivis par les pays de la zone euro et les pays scandinaves, selon des observateurs.

Le Nigeria a presque doublé ses droits de vote

Si l’élection du président de la BAD constitue le principal enjeu de ce rendez-vous, le Nigeria, pays dont est originaire Adesina, a fait preuve d’une certaine anticipation en doublant presque ses droits de vote au sein de l’institution multilatérale africaine à 16,8 % avant l’assemblée générale annuelle. Selon une information donnée par

l’agence Bloomberg, un mémorandum envoyé au conseil des gouverneurs de la BAD indique que le Nigeria est devenu le plus grand détenteur de droits, suivi des membres non régionaux, l’Allemagne avec 7,4 % et les États-Unis 5,5 %. « La disculpation d’Akinwumi Adesina de toutes les allégations contre lui confirme sa compétence et son intégrité à la tête de la BAD […]. Le Nigeria le soutient pleinement » pour un second mandat, avait réagi le président nigérian Muhammadu Buhari.

Comment est élu le président de la BAD ?

Créée en 1964, la BAD compte 80 pays actionnaires (54 pays africains et 26 non africains, d’Europe, d’Amérique et d’Asie), d’où le nombre de gouverneurs qu’on appelle communément les « faiseurs de rois ». Elle est la seule institution africaine cotée triple A par les agences de notation financière. Le président élu doit avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés. Soit 58,8 % des pouvoirs de vote des membres africains et 41 % des membres non africains. Cette nouvelle évolution du pouvoir nigérian pourrait garantir à Adesina un autre mandat à la tête de la BAD. En effet, plus un pays souscrit au capital de la banque, plus il pèse au moment du scrutin. Le Nigeria a toujours été le seul pays africain à être aussi influent au sein du conseil des gouverneurs.

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Habituellement, le suspense débute dès le premier tour puisque chaque gouverneur est appelé à voter pour l’un des candidats en lice. Après chaque tour, le candidat ayant reçu le moins de voix se retire. Mais il peut arriver qu’aucun ne remporte le scrutin. Cela s’est déjà produit en 1995, lors de l’élection du Marocain Omar Kabbaj et, en 2005, pour le premier mandat de Donald Kaberuka.

Reste à savoir si les gouverneurs tiendront compte des efforts déployés par la banque pour contrer la pandémie du Covid-19 sur le continent. Depuis que la pandémie de Covid-19 a frappé les côtes du continent début mars, plus d’un million de cas confirmés de virus ont été enregistrés en Afrique. Elle a durement frappé les économies de la région à la suite de la chute des prix des produits de base et des mesures de confinement prises par les gouvernements qui ont conduit à des fermetures de pays. Au mois d’avril, la Banque a mis en place un plan de riposte de 10 milliards de dollars. Elle a également levé un montant de 3 milliards de dollars grâce à une obligation sociale Covid-19 introduite à la Bourse de Londres.

Source: Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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