Algérie : une bien problématique présidentielle

La date est officielle, mais la défiance d’une partie de la classe politique remet un peu plus en question la crédibilité du scrutin.

« Le système seul dans l’isoloir ». Le titre en une du quotidien privé Liberté ce lundi 30 septembre résume la pensée d’une bonne partie de l’opposition en Algérie qui tend vers le boycott de la présidentielle du 12 décembre prochain. Sur le papier, quelque 82 personnes postulent à la candidature, dont deux ex-Premiers ministres, Ali Benflis et Abdelmadjid Tebboune. Azzedine Mihoubi, ex-ministre de la Culture et nouveau secrétaire général du RND – dont l’ex-patron, Ahmed Ouyahia, est en prison pour corruption –, a exprimé également sa volonté de se porter candidat. « L’élection présidentielle est la pièce maîtresse de la stratégie de sortie de crise. Il y a bien sûr, l’environnement politique à assainir, les doutes à lever chez les plus sceptiques, la confiance à établir », a déclaré Ali Benflis le 26 septembre dernier, officialisant sa participation au scrutin. Mais ce n’est pas l’avis de ses ex-partenaires politiques dans l’opposition, qui, comme le Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), ont décidé de boycotter la présidentielle et de ne soutenir aucun candidat.

Pour les islamistes, un « non » prudent

Le niet du MSP, ainsi que de trois autres partis islamistes et conservateurs, risque d’entamer encore plus la crédibilité d’une présidentielle que les autorités veulent organiser tambour battant. Le maintien du Premier ministre Noureddine Bedoui qui serait, selon Abderrezak Makri, président du MSP, un sérieux « indicateur de la persistance de la même mentalité qui prévalait au sein du pouvoir » et la pression populaire lors des manifestations hebdomadaires ont motivé la décision du MSP, poids lourds de l’opposition. « Certains proches du pouvoir, connus pour leur implication dans des affaires de corruption et dans la fraude électorale, sont libres dans leur mouvement et sillonnent le pays sans être inquiétés », a martelé le président du MSP. Et même l’installation d’une autorité indépendante pour l’organisation des élections ne satisfait pas le MSP : « Nous avons demandé une autorité indépendante de l’administration pour l’organisation des élections. Là, nous avons eu une autorité indépendante des partis. Au niveau local, le FLN et le RND (partis du pouvoir, NDLR) vont continuer à désigner les représentants au sein de cette autorité parmi le personnel administratif », a estimé Makri lors d’une conférence de presse dimanche 29 septembre. « D’un côté, le MSP craint effectivement de se retrouver du mauvais côté face à une contestation politique populaire insistante, estime un expert des mouvements politiques islamistes. » « Mais il veut surtout éviter de s’embarquer dans un processus incertain : y aurait-il vraiment une présidentielle le 12 décembre ? Le chef de l’armée céderait-il son poste après l’élection éventuelle d’un nouveau président ? Son électorat pardonnerait-il au MSP la succession de manœuvres politiciennesentamées ces derniers mois ? Makri préfère attendre son heure, mais le 12 décembre lui semble être trop prématuré comme rendez-vous avec l’histoire », poursuit notre expert. Prudent, Makri n’a pas appelé les Algériens à boycotter le scrutin du 12 décembre, avançant qu’il existait, au sein même du mouvement populaire, une « majorité silencieuse » qui souhaiterait aller vers la présidentielle pour « en finir avec la crise ».

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Le « non » tranché des FAD

Du côté des autres partis de l’opposition, rassemblés au sein des « Forces de l’alternative démocratique », automatiquement empêchés de tenir des réunions publiques par les autorités, la position est encore plus tranchée. « Le pays subit, depuis quelques semaines, la pire des arnaques politiques que l’Algérie n’ait jamais connue depuis son indépendance », s’insurge Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) sur sa page Facebook. « Recrutant les fonctionnaires du ministère de l’Intérieurpour les injecter dans une nouvelle structure de l’État chargée des scrutins ; faisant défiler des candidats de la continuité du pouvoir qui a régné ses vingt dernières années ; usant de répression et menaces éhontées au nom d’un État indûment squatté à l’encontre du peuple… », énumère le président du RCD alors que, selon des médias locaux, 92 personnes sont poursuivies en justice en raison de leur engagement politique en faveur du mouvement populaire, selon des avocats, dont une quarantaine placées en détention provisoire.

La neutralité promise par l’armée

Côté autorités, le patron de l’armée, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, insiste sur la tenue de la présidentielle du 12 décembre, proclamant depuis la base maritime de Mers el Kebir près d’Oran ce dimanche 29 septembre : « L’armée nationale populaire ne soutient personne, et c’est un engagement que je prends devant Allah, la patrie et l’Histoire. » « J’ai donné des instructions aux commandants de régions et de forces ainsi qu’aux différents services de sécurité pour entamer immédiatement toutes les mesures nécessaires pour sécuriser le processus électoral à travers tout le territoire national », poursuit le chef d’état-major.

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Des maires réfractaires

Entre-temps, plusieurs maires et magistrats ont annoncé leur non-participation à l’organisation de ce scrutin. Du coup, la nouvelle autorité indépendante pour l’organisation de l’élection a menacé de déposer une plainte contre les maires réfractaires. « Ceux qui se mettront en travers de cette solution constitutionnelle et de la revendication populaire, ou qui œuvrent à faire obstacle à ce processus national vital, sous quelque forme que ce soit, trouveront une sanction juste et rigoureuse, voire dissuasive, conformément à la loi », a averti, le 26 septembre dernier, le patron de l’armée.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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