Algérie : quel dialogue pour sortir de la crise ?

La question est d’autant plus prégnante que l’instance de dialogue approuvée par le pouvoir est rejetée par une grande partie de la classe politique et de la société civile.

Fin juillet, un panel composé de six personnalités, dont un ancien président de l’Assemblée populaire nationale (APN), et une constitutionnaliste, s’est constitué dans l’objectif de lancer le processus de dialogue afin de sortir le pays de la crise qu’il traverse depuis plusieurs mois. Il est reçu par Abdelkader Bensalah, chef d’État par intérim, à qui il exposera ses conditions préalables. Il s’agit notamment de la libération des détenus d’opinion et de l’allègement du dispositif de sécurité lors des manifestations populaires, notamment celles du vendredi. Ces mesures d’apaisement sont acceptées dans un premier temps par le pouvoir, puis catégoriquement rejetées. Un membre de l’instance démissionne alors en évoquant « l’absence de réponse positive [du pouvoir, NDLR] aux revendications populaires ». Les autres décident de poursuivre leur mission malgré le peu de garanties et entament rapidement les consultations avec les acteurs de la classe politique et de la société civile. Sauf que plusieurs personnalités sollicitées déclinent, dans les jours qui suivent, l’offre du panel. Celui-ci et ses membres sont surtout rejetés par les manifestants. Depuis son déplacement à la présidence de la République où il a rencontré le chef de l’État par intérim, le groupe dirigé par Karim Younes et son « projet » sont décriés par la rue pratiquement chaque vendredi. « Karim Younes à la poubelle », « Makach hiwar maa issabat (pas de dialogue avec les bandes) », ont scandé les manifestants au lendemain de l’installation de la commission. Durant tout un mois, sa commission tâtonne, mais résiste.

Discrédit

Pourquoi le panel chargé du dialogue et de la médiation a-t-il aussi vite été discrédité et par la suite complètement rejeté par l’opinion publique ? Au tout début, le projet était pourtant présenté comme une initiative émanant de la société civile. C’est une liste de 13 personnalités proposées par le Forum civil pour le changement afin de mener la médiation. Des discussions ont été menées. « La méthode choisie pour son installation était tout de suite problématique », note Louisa Dris-Aït Hamadouche. « On peut difficilement dire que c’est une commission issue de la société civile et installée par la société civile (Forum civil pour le changement d’Abderrahmane Arar), et d’un autre côté être accueilli et institutionnalisé par le chef de l’État en suivant un protocole très officiel et très formel. Le discrédit a commencé le jour même d’un point de vue procédural », indique au Point Afrique la politologue, qui revient également sur la composante initiale de ce panel. Six membres rencontrent donc au début Abdelkader Bensalah. « Tout de suite, des questions ont été posées [sur la composante, NDLR] et notamment sur la présence d’un constitutionnaliste qui avait contribué à la réforme très controversée de la constitution algérienne de 2016. Ce membre était sénateur du tiers présidentiel. Des questions étaient posées aussi sur la présence d’un syndicaliste qui avait expliqué la façon très étrange dont il a été sollicité pour faire partie du panel. Le discrédit ne s’est depuis jamais arrêté », assure-t-elle.

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Louisa Dris Aït Hamadouche dresse un bilan négatif du travail de cette instance sur le plan de la « crédibilité de sa démarche ». Quelques jours après l’installation de l’instance, les mesures d’apaisement ne constituent plus une exigence pour ses membres dont l’unique mission semble être celle de mener des consultations pour l’organisation d’une présidentielle dans les plus brefs délais. « Karim Younes avait bien précisé que la mission de la commission ne commencerait que quand les préalables seraient réunis », rappelle-t-elle. « Il avait également dit que la commission s’autodissoudrait si les préalables n’étaient pas réunis », poursuit-elle. Dans les faits, cela n’a pas été le cas. « Il avait aussi insisté sur le fait que la commission n’intégrerait pas les acteurs directement impliqués dans le soutien au cinquième mandat. Là aussi il est allé à contre-courant de ce qu’il dit », précise la politologue. Mercredi, le panel a adressé une invitation au nouveau patron du Rassemblement national démocratique (RND), l’un des principaux piliers, avec le FLN, du régime du président déchu.

Monologue du système

« Au début, il était question d’un panel de médiation en vue de rapprocher les différentes opinions et propositions qui ont émergé dans la société », indique au Point Afrique Said Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH). Ce militant dont le nom figurait sur la liste des 13 personnalités citées ci-dessus poursuit : « Il ne s’agissait pas du tout d’un dialogue fermé. Il ne s’agissait pas d’un dialogue préétabli. C’est-à-dire à sens unique dans la seule option d’aller vers une élection présidentielle. » Pour les acteurs de la classe politique et de la société civile comme pour les Algériens qui continuent à sortir chaque vendredi, le panel dirigé par Karim Younes dialogue au nom du pouvoir et de sa feuille de route. Le discrédit est total. « Dans le fond, le panel souffre d’un problème qui me semble important dans la mesure où il ne produit pas un discours cohérent. Ses membres semblent transmettre des messages qui n’ont pas le même contenu », relève la politologue. « Le coordinateur a parlé de préalables. Il a ajouté que le dialogue était ouvert et souverain et qu’il se terminerait sur une conférence nationale qui décidera de ce dialogue.

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Les autres membres ont un discours totalement différent dans la mesure où ils s’inscrivent clairement dans la démarche selon laquelle le panel a pour mission de mettre en place les mécanismes techniques visant à aller vers une élection présidentielle », explique-t-elle. Le panel salué par le commandement de l’état-major de l’armée est désavoué même par les moins radicaux de la classe politique et les plus disposés à aller rapidement vers une élection présidentielle. C’est notamment le cas du Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui a annoncé cette semaine avoir reçu une invitation qu’il a déclinée. Le parti islamiste était soucieux d’apporter rapidement un démenti après la déclaration d’un responsable politique évoquant des rencontres secrètes entre Karim Younes et des partis politiques.

Un dialogue « sérieux »

Au sein de la classe politique en général et de l’opposition en particulier, la nécessité d’aller vers un dialogue « sérieux » avec le pouvoir fait toutefois l’unanimité depuis plusieurs mois même si les différents acteurs rejettent totalement la démarche et le processus lancé par le panel de Karim Younes. Durant ces dernières semaines, les représentants de la société civile et des partis politiques multiplient les rencontres pour trouver un consensus autour des propositions de sortie de crise. La dernière remonte au 24 août dernier. Les dynamiques de la société civile qui regroupe de nombreux syndicats et associations se sont réunies avec les partis politiques regroupés dans deux pôles différents. « Deux tendances lourdes traversent la société : celle de l’alternative démocratique qui prône une transition démocratique et un processus constituant et celle de la conférence du 6 juillet qui prône des élections présidentielles avec des préalables et un mandat transitoire », développe Said Salhi. Pour lui, l’objectif de ces rencontres est de « réunir les différents acteurs qui animent la société », « essayer d’échanger les points de vue », « faire ressortir les points de convergence » et de « divergence ». « Pour une première réunion, nous avons discuté de la possibilité de tenir une conférence nationale de consensus pour une feuille de route de compromis. Et des questions font consensus, notamment la défense des libertés publiques », avance-t-il.

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Rapport de force

Une démarche importante pour construire un rapport de force qui permettra l’avènement d’un dialogue pour un véritable changement. « Le point de départ de ce dialogue, et qu’on va appeler négociation, car il faut appeler les choses par leur nom, c’est la conviction des parties prenantes de la nécessité d’aller vers des négociations. Et il semble que l’on ne soit pas encore là », souligne Louisa Dris-Aït Hamadouche. « En attendant, il y a au sein des forces du changement des actions à entreprendre pour faire en sorte que l’option des négociations soit acceptée par les protagonistes notamment par le pouvoir en place », selon elle. Pour la politologue, cette conviction ne semble pas encore être assumée parce que le rapport de force n’est pas suffisamment en faveur des forces du changement ». Est-ce le fait de la faiblesse de la mobilisation enregistrée durant ces dernières semaines ? « C’est plutôt dû à la faiblesse des forces politiques structurées. En ce qui concerne le niveau de la mobilisation, c’est un reflux naturel compte tenu des circonstances. On peut parler d’un affaiblissement du soulèvement si en octobre il n’y a pas de retour en force à la mobilisation. Le ralentissement durant le ramadan et les vacances est naturel », explique-t-elle.

Élection peu probable dans l’immédiat

En Algérie, de nombreux observateurs s’attendent à un retour en force de la mobilisation dès le mois de septembre. La possibilité de tenir des élections au début de l’année prochaine semble peu probable. « En trois mois, l’organisation d’une élection semble totalement impossible sur le plan technique. Pour le faire, il faudrait convoquer le corps électoral d’ici à la fin du mois de septembre. Et dans le contexte actuel, ça serait mettre de l’huile sur le feu », estime Louisa Dris Aït Hamadouche. « Les aspects techniques sur lesquels tout le monde semble être d’accord, y compris les tenants du pouvoir, dont la mise en place d’une instance indépendante semble difficile ex nihilo. Les experts estiment aussi qu’on ne peut faire un véritable assainissement du fichier électoral en trois mois », détaille-t-elle. Le pouvoir peut cependant imposer une élection présidentielle « qui soit exactement la copie ou la reproduction de l’élection qu’on voulait avoir le 18 avril », conclut-elle.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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