A Alger, « le pouvoir se moque de nous, il ne comprend pas que la société a changé »

Les autorités algériennes ont annoncé que la présidentielle se tiendrait le 12 décembre. Dans la capitale, la décision est contestée dans la rue.

« Ah, le Hirak ne veut pas s’arrêter ! » A l’entrée de son magasin de tissus, le vendeur secoue la tête. Mardi 17 septembre, plusieurs milliers de personnes marchent vers le square Port-Saïd, dans le centre-ville d’Alger, en scandant « Pas d’élection avec la mafia ! », sous le regard des commerçants et des clients des petites boutiques des arcades et des ouvriers rénovant les façades. Dimanche soir, lors d’un discours télévisé, le chef de l’état par intérim, Abdelkader Bensalah, a annoncé qu’une élection présidentielle se tiendrait le 12 décembre, comme l’avait demandé le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah deux semaines auparavant. « Je ne voterai pas, ajoute le vendeur de tissus qui dit soutenir les manifestants. Il faut qu’ils fassent partir toute la mafia. Mais c’est long cette situation, ça devient difficile. Il faut qu’on trouve une solution. »

Dans le cortège, trois étudiants brandissent une pancarte. Anis, 20 ans, étudiant en informatique, est opposé à la tenue du scrutin :« Le préalable, c’est la libération des détenus. Ce sont toujours les mêmes qui sont au pouvoir. On est toujours dans un Etat militaire puisque c’est Gaïd Salah qui décide de la date de l’élection. » La foule chante : « Ecoute Gaïd, écoute Gaïd, Etat civil, pas militaire ! »Habituellement organisée par les étudiants, la manifestation du mardi rassemble cette fois des hommes et des femmes plus âgés, et un nombre important de retraités. « Pendant les vacances, le nombre d’étudiants a diminué, mais les gens nous rejoignent, et ça devient presque la deuxième manifestation de la semaine [avec celle du vendredi] », estime Anis. Quelques mètres plus loin, Abdenour, 22 ans, étudiant lui aussi, chante « Je ne voterai pas pour la mafia, il faut qu’ils s’en aillent tous ! » : « Ceux au pouvoir sont corrompus comme les autres. Je suis contre cette élection parce que j’ai peur qu’il n’y ait pas de vrai changement », explique-t-il.

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Dans un quartier populaire de la périphérie de la capitale, El-Hadj, la cinquantaine, dit être « mal à l’aise » à propos de la façon dont l’élection sera organisée. « Mais si on reste sans président, les pays étrangers peuvent nous menacer », s’inquiète-t-il. Ali, gérant d’une petite entreprise sous-traitante dans le bâtiment, est plus radical : « Si je le pouvais, je voterai demain. Je ne travaille plus, je vais mettre la clé sous la porte. Il faut que les décisions soient prises mais tout est paralysé en ce moment. » Meriem, la cinquantaine également, répète : « J’espère que ça ira. J’espère que ça ira. » Cette mère de famille n’a jamais manifesté. Totalement opposée au cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, « fatiguée » de ne pas voir ses enfants s’en sortir, elle soutient les manifestants. « Le problème de l’élection, c’est que le peuple n’en veut pas. Je ne sais pas ce qu’il va se passer », avoue-t-elle.

« Réponse vouée à l’échec »

« Les positions vont se durcir », craint Soufiane Djilali, 61 ans, président du parti Jil Jadid, et ancien membre du collectif Mouwatana, qui organisait il y a un an des rassemblements contre un éventuel cinquième mandat du président Bouteflika. « Le pouvoir n’était intéressé ni par le dialogue, ni par le consensus, explique-t-il. Il a sa solution à lui et il préfère passer en force. » Soufiane Djilali était pourtant favorable aux principes du dialogue et de l’organisation d’une élection présidentielle, mais avec des garanties, comme par exemple la libération des manifestants incarcérés parce qu’ils portaient un drapeau berbère ou l’engagement du futur président à faire un certain nombre de réformes au cours de son mandat. « Le pouvoir a dit niet. Le dialogue officiel est terminé et il n’y a eu aucune mesure d’apaisement. Cela confirme une volonté de reproduction du système », conclut-il.

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Dans une déclaration publiée samedi, avant l’annonce officielle de la tenue du scrutin, le Collectif de la société civile, qui réunit des organisations comme les différentes ligues des droits humains, le Snapap, un syndicat autonome, RAJ ou encore SOS Disparus, estimait qu’un agenda électoral était « une nouvelle insulte » pour les Algériens : « Le pouvoir politique (…) a choisi de répondre aux revendications légitimes des Algériens par le statu quo imposé et le recours à la répression pour le faire accepter. Cette réponse est vouée à l’échec », écrivent-ils.

Lundi soir, dans un communiqué, l’ancien chef de gouvernement, et candidat déçu aux scrutins présidentiels de 2004 et de 2014, Ali Benflis, accueillait positivement la convocation du corps électoral. Il estime que « la présidentielle se présente comme la voie de sortie de crise la moins risquée et la moins dommageable pour le pays » et que les conditions de la tenue du scrutin sont acceptables, « en dépit de quelques lacunes dont le caractère n’est pas déterminant ». « L’élection présidentielle est le vœu de la majorité des Algériens », a quant à lui assuré le ministre de la communication, Hassane Rabehi, lors d’une conférence de presse tenue mardi. « Ils se moquent de nous, rétorque Imène, 29 ans. Ils veulent faire gagner l’un des leurs. Ils ne comprennent pas que la société a changé. »

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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