Verdicts Aïvo et Madougou : le ton se durcit entre le Bénin et les États-Unis

Après les condamnations de Joël Aïvo et de Reckya Madougou à des peines de prison ferme, Washington dénonce le « ciblage systématique des figures de l’opposition politique ». Le Bénin rétorque que la justice est libre et transparente sur son territoire.

Le communiqué n’y va pas par quatre chemins. Réagissant aux lourdes peines de prison ferme prononcées quelques jours plus tôt contre les opposants Joël Aïvo (dix ans) et Reckya Madougou (20 ans), reconnus coupables de blanchiment d’argent pour l’un et de financement du terrorisme pour l’autre, les États-Unis ont dit leur préoccupation. Exprimant de « graves inquiétudes quant à l’ingérence de la politique dans le système de justice pénale du Bénin », le communiqué du département d’État dénonce un « ciblage systématique des figures de l’opposition politique ».

Une sortie que le gouvernement béninois a peu goûtée. Par la voix de son porte-parole, il a tenu à réaffirmer que la justice était libre et indépendante au Bénin. « Les institutions jouent leur rôle étant entendu que nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs, a répliqué Wilfried Léandre Houngbédji. Tout le reste n’est que conjecture. »

Tout près de l’incident diplomatique

Ce n’est pas la première fois que le ton monte entre Porto-Novo et Washington. En avril dernier déjà, quelques semaines après l’arrestation d’Aïvo et de Madougou, le département d’État américain avait fait part de ses inquiétudes, et l’on avait frôlé l’incident diplomatique. Le ministre béninois des Affaires étrangères, Aurélien Agbenonci, ne s’était pas privé d’exprimer son mécontentement à l’ambassadrice américaine à Cotonou. L’affaire n’avait pas connu de suites publiques.

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Cette fois-ci, les États-Unis ont décidé de frapper le Bénin au portefeuille. Au lendemain de la publication du communiqué du département d’État, le Millennium Challenge Corporation (MCC) a annoncé la réduction du montant de ses investissements au profit du Bénin. Le conseil d’administration du MCC s’est justifié en mettant en avant « le déclin des principes de gouvernance démocratique » au Bénin. Il ne mentionne pas directement la condamnation des deux opposants, mais le timing laisse peu de place au doute.

LE BÉNIN S’EMPLOIE À CONSTRUIRE UNE DÉMOCRATIE RÉSILIENTE. SI TOUT CELA EST PERÇU, POUR CERTAINS, COMME UN DÉCLIN DÉMOCRATIQUE, C’EST LEUR PERCEPTION DES CHOSES

Le MCC est un programme d’investissement dont le Bénin bénéficie depuis 2004. Il avait notamment permis, dans une première phase, de renforcer les infrastructures du port de Cotonou et de faciliter l’accès à la justice. Le second volet, signé en 2015, s’accompagnait lui d’une enveloppe de 375 millions de dollars et était orienté vers la production d’énergie électrique.

Au sein de l’exécutif béninois, on dit « prendre acte » de la décision américaine et l’on tente de relativiser. « Le Bénin s’emploie à construire une démocratie résiliente avec des institutions fortes, une justice qui juge autant les soutiens que les opposants au pouvoir, commente Wilfried Léandre Houngbédji. Si tout cela est perçu, pour certains, comme un déclin démocratique, c’est leur perception des choses. »

Ils ne feront pas appel

Cette passe d’armes intervient alors que l’on a appris qu’Aïvo et Madougou ne comptaient pas faire appel. Leurs avocats dénoncent une justice « prise en otage ». « Faire appel serait une perte de temps et d’énergie, tacle Me Renaud Agbodjo, l’avocat de Reckya Madougou. Car ce sont les mêmes juges de la même juridiction qui [se prononceront] en appel. »

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Joël Aïvo, qui avait jusqu’à ce lundi 20 décembre pour déposer un recours contre sa condamnation, n’a pas expliqué pourquoi il ne poursuivait pas son combat judiciaire. Mais l’un de ses avocats, Me. Nadine Dossou Sakponou, a estimé que l’universitaire avait perdu foi en la justice de son pays. Le choix de Joël Aïvo correspondrait à sa volonté de rester « digne et cohérent ».

Les proches des deux opposants espèrent maintenant que leur sort fera l’objet de tractations politiques et diplomatiques. « Aujourd’hui, seul le chef de l’État détient la clé de la situation, a indiqué Me Renaud Agbodjo. Nous allons concentrer nos efforts sur ce terrain-là. »

Source: Jeune Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makayya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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