Un chef de milice janjawid se rend à la Cour pénale internationale

Ali Kushayb, lié au régime déchu du dictateur soudanais Omar Al-Béchir, a été transféré depuis la Centrafrique à La Haye.

Fin de cavale pour l’un des plus anciens criminels poursuivis par la Cour pénale internationale (CPI). Ali Muhammad All Abd-Al-Rahman, dit Ali Kushayb, un chef de milice janjawid, a été transféré depuis la Centrafrique vers la Cour pénale internationale à La Haye, mercredi 9 juin. Il est suspecté de crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour meurtre, déportation, torture, viol, persécution, attaque intentionnelle contre des civils, pillage, destruction.

Selon le mandat d’arrêt émis fin avril 2007 par la CPI, Ali Kushayb aurait, en 2003 et 2004, « enrôlé, armé, financé et approvisionné les janjawids placés sous son commandement », et « participé personnellement à certaines attaques contre les civils ». La milice était alliée aux forces gouvernementales dans la guerre qui, au début des années 2000, opposait Khartoum à plusieurs mouvements rebelles. Un conflit qui, selon l’ONU, aurait fait 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés.

Le « colonel des colonels » aura finalement décidé de se rendre à la Cour. Depuis fin mai, les choses s’étaient accélérées du côté du bureau du procureur à La Haye, remobilisé sur ce dossier vieux de treize ans. A plusieurs reprises au cours des dernières années, le bureau du procureur avait été en contact, via des intermédiaires, avec Ali Kushayb.

Car, avant même la chute du régime d’Al-Béchir, à la tête du Soudan, le chef janjawid se rendait en Centrafrique, trois à quatre fois par an, pour son commerce d’ivoire avec l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony, lui permettant notamment de financer ses combats au Darfour.

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Suspecté d’avoir franchi la frontière

Il y a trois ans, en délicatesse avec le régime d’Al-Béchir, il avait lui-même approché le bureau du procureur de la CPI, par l’entremise d’un de ses proches. S’en est suivie à La Haye une discussion sur sa reddition, raconte une source proche de la Cour, le fugitif réclamant que la prime de 5 millions de dollars offerte pour son arrestation par le département d’Etat américain soit versée à sa famille. Trois ans plus tard, le chef janjawid a finalement cédé.

Depuis février, la rumeur courait de la présence d’Ali Kushayb dans la zone de Birao, au nord-est du pays, à frontière avec le Tchad et le Soudan. L’ancien commandant janjawid allait-il offrir ses services à l’un des groupes armés qui continuent de s’entre-déchirer dans le nord du pays ? Souhaitait-il monter sa propre organisation criminelle en Centrafrique ?

Les liens entre les troubles politico-militaires qui continuent d’empoisonner la Centrafrique et la crise au Darfour frontalier ne sont pas nouveaux et les rumeurs sont allées bon train ces derniers mois, d’autant que le trafic d’armes, l’exportation illégale de diamants, les pillages et razzias qui dominent dans la région n’ont jamais cessé depuis des décennies.

Selon le groupe des experts des Nations unies, des liens étroits unissent différents groupes ethniques de part et d’autre de la frontière. Ali Kushayb faisait partie des principaux commandants suspectés d’avoir franchi la frontière. D’autant que, depuis la chute du régime d’Omar Al-Béchir au Soudan, ses anciens supplétifs du Darfour, qui ont soutenu le dictateur soudanais jusqu’au bout en réprimant dans le sang les manifestations du printemps 2019 à Khartoum, ne sont plus dans les petits papiers du nouveau régime.

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Sept mandats d’arrêt

En 2003 et 2004, Ali Kushayb a été l’un des leaders les plus haut placés et les plus connus de la hiérarchie tribale de Wadi Salih, dans l’ouest du Darfour. A la tête de « dizaines de milliers » de miliciens, intégrés au sein des Forces de défense populaire, liées à l’armée soudanaise, il aurait « personnellement dirigé » plusieurs attaques. Ces attaques ne visaient pas spécifiquement les mouvements rebelles, estime le bureau du procureur, mais étaient dirigées contre des villageois accusés de les soutenir.

« Cette stratégie est devenue la justification pour les meurtres de masse, les exécutions sommaires, et les viols de civils » qui ne participaient pas au conflit armé, selon le mandat d’arrêt. Ce qui a entraîné le déplacement forcé de villages entiers.

La CPI avait ouvert une enquête sur les crimes du Darfour en juin 2005, après avoir été saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le Soudan n’a pas ratifié le traité de la Cour, mais avait, dans un premier temps, montré un semblant de coopération, tout en espérant pouvoir corrompre les enquêteurs de la Cour, rappelle une source à La Haye.

Avec l’annonce en juillet 2008, de l’inculpation à venir d’Omar Al-Béchir, pour génocide et crimes contre l’humanité, le dictateur n’a plus accordé son soutien au Conseil de sécurité de l’ONU ni prêté l’oreille aux interpellations concernant les entraves de Khartoum à toute arrestation.

Depuis 2005, la Cour a émis sept mandats d’arrêt visant quatre personnalités du régime militaro-islamiste d’Omar Al-Béchir, dont lui-même, et trois rebelles du Darfour. Renversé en avril 2019, l’ancien président a été reconnu coupable de corruption en décembre et condamné à deux ans de prison par un tribunal de Khartoum.

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En février, le gouvernement soudanais de transition a annoncé son intention de le remettre à la CPI, une fois purgées toutes les procédures ouvertes contre lui dans le pays, tout comme les autres suspects ciblés par La Haye, les deux anciens ministres Ahmed Harun et Abdel Raheem Muhammad Hussein. Avec la comparution à venir d’Ali Kushayb, la procureure Fatou Bensouda aura besoin de la coopération des nouvelles autorités soudanaises. Mais selon plusieurs sources à La Haye, Khartoum n’a pas encore manifesté son approbation.

Source: Le Monde Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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