Tunisie : la présidentialisation est-elle vraiment en route  ?

La mort de Béji Caïd Essebsi a conduit à ce que, contrairement à l’ordre habituel du calendrier électoral, la présidentielle ait lieu avant les législatives. De quoi bouleverser le système politique  ?

« Tout est chamboulé », lâche un candidat aux législatives. Idem chez Ennahdha, le parti islamiste : « Nous avons un candidat à la présidentielle parce que nous ne pouvons pas être absents des débats avant les législatives. » L’inversion du calendrier a modifié la stratégie de nombreux partis. Désormais, la campagne officielle pour Carthage démarrera le 2 septembre. Le premier tour, le 15 septembre, précédera l’élection de la nouvelle Assemblée, le 6 octobre. Le second tour de la présidentielle aura lieu après, il n’est pas daté. Un casse-tête pour spin doctors chevronnés.

Géographie des pouvoirs

Tunis compte trois centres politiques : le palais de Carthage, celui de la Kasbah et le palais beylical du Bardo. Dans l’ordre : la présidence de la République, un édifice de plus de 350 pièces, piscines et port en sus ; le dédale chatoyant de la présidence du gouvernement niché dans la médina de Tunis ; l’hémicycle de l’Assemblée des représentants du peuple. Tous ne sont pas égaux au regard de la Constitution ratifiée en janvier 2014. À Carthage, le président de la République règne sur deux portefeuilles régaliens : les Affaires étrangères et la Défense. Il est la voix, la figure, l’incarnation de la Tunisie à l’international. À la Kasbah, le président du gouvernement maîtrise le reste des maroquins sous la houlette des députés. Il est élu par les députés dans le cadre de ce régime semi-parlementaire. Aux trois quarts parlementaire, pour être exact. Les 217 députés sont censés être le réacteur nucléaire du pouvoir. Une force de proposition législative, une vigie.

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Des députés qui proposent peu de lois

Mais le Parlement joue peu son rôle. 90 % des textes de loi sont proposés par le gouvernement. Après cinq années de mandature, les initiatives parlementaires se font rares. Et Youssef Chahed, malgré la dislocation de son parti d’origine Nidaa Tounes, a pu faire voter la quasi-totalité de ses projets de loi. « C’est la IVe République française », résume Ghazi Chaouachi, secrétaire général du Courant démocrate. Un parallèle fréquemment évoqué avec cette époque dans laquelle les gouvernements français valsaient au rythme des jeux partisans à l’Assemblée : 24 gouvernements se sont succédé de 1947 à 1958. L’un d’entre d’eux eut une brève durée de vie : une journée. Une comparaison cependant exagérée.

La philosophie du mode de scrutin

À l’orée de la révolution, une nouvelle Constitution a été mise en écriture. La loi électorale a été conçue afin que les péchés du passé ne se reproduisent pas : présidence à vie de Bourguiba, vingt-trois ans de Ben Ali via quatre élections en carton-pâte, avec plus de 90 % des voix à chaque round. L’idée maîtresse : privilégier une Assemblée représentative de toutes les tendances, le consensus, l’union nationale avant les jeux partisans. Le scrutin proportionnel n’a pas empêché la constitution d’une coalition. À l’initiative de Béji Caïd Essebsi, une alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha a été nouée. Et seulement deux gouvernements se sont succédé en cinq ans. Un choix dicté par BCE, qui avait voulu imposer Chahed après deux années de pouvoir. Le facteur humain en a voulu autrement. La stabilité a prévalu plus que prévu.

Plus de soixante candidatures

La mort du président de la République, le 25 juillet dernier, rebat donc la physionomie des scrutins. Désormais, tous les partis sont contraints d’avoir un candidat à la présidentielle, sinon ils seront absents des débats télévisés, d’une première campagne qui va imposer une dynamique aux deux finalistes. L’ISIE (l’instance électorale) a enregistré plus de soixante candidatures en une semaine. Après analyse des dossiers (parrainages, déclarations de biens en règle…), ils ne devraient plus être qu’une grosse dizaine. Ce plein de candidatures fait sourire. Il peut aussi être interprété comme un regain démocratique, après des décennies de candidature unique, d’élections parodiques, de parti unique, d’opposition « officielle ». Les candidats qui rempliront les critères de l’ISIE seront tous issus de partis politiques installés, ayant des instances internes, des militants.

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Quel impact sur les législatives ?

Ce renversement de calendrier aurait-il un impact sur le futur visage de l’Assemblée ? Les deux finalistes de la présidentielle provoqueront-ils une dynamique en faveur de leurs partis respectifs ? Chacun pourra demander d’avoir une majorité à l’Assemblée afin qu’il y ait une cohérence des pouvoirs, que Carthage, la Kasbah et le Bardo soient en harmonie et non en conflit politique perpétuel. Le second tour se déroulera après le résultat des législatives, ce qui pourrait également avoir un impact. L’incertitude est complète. Si les instituts de sondage donnent la même photographie de l’opinion depuis le mois de mai (Nabil Karoui en tête), rien n’est figé. Pour la future Assemblée, Ennahdha devrait virer en tête avec 23 à 24 % des suffrages. C’est le seul parti ayant encore une réelle base militante. La mort du président de la République aura donc provoqué un bouleversement du tempo électoral. À voir, à l’usage, si la démocratie tunisienne va se présidentialiser. La séquence qui s’ouvre s’avère passionnante pour la consolidation de la transition démocratique.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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