Restitutions : l’Afrique doit prendre l’initiative

La restitution par la France de 26 œuvres au Bénin restera une victoire à la Pyrrhus pour l’Afrique si de nouvelles lois ne sont pas adoptées. Et si les détenteurs des objets restent les maîtres des horloges.

En venant assister à la restitution des 26 œuvres au Bénin, le président Talon a commencé son intervention par dire « merci » à Emmanuel Macron. Merci ? Ou pardon ? Merci pourquoi ? Même si certains peuvent aisément imaginer la réponse, il serait bien de préciser pourquoi on doit dire merci dans de telle circonstances après tant d’années. Merci d’avoir conservé les objets en bon état ? Oui, bien évidemment.

Mais nous aurions aimé qu’il commence plutôt par dire « pardon ». Surtout quand on pense que les 26 œuvres ont fait l’objet d’un choix unilatéral de la France. Le Bénin aurait, à la place, préféré d’autres objets culturels ou cultuels plus chargés symboliquement (tel que le Dieu Gou, par exemple). Donc, pardon aux ancêtres, d’avoir attendu aussi longtemps (130 ans !) pour ramener ces objets sur leurs terres.

Réveiller nos gouvernants

Un pardon accompagné d’un coup de clairon pour réveiller les gouvernants africains. Doit-on attendre encore une initiative française pour voir un jour une nouvelle restitution ? Pourquoi les Africains doivent-ils participer à des rituels festifs en grande pompe organisés par le détenteur des objets lors des restitutions ? Pourquoi le détenteur doit-il être le maître des horloges et le maître des cérémonies ? La situation actuelle des 26 œuvres, dans des caissons, au palais de la Marina – même s’il y a des explications rationnelles fournies par les autorités, soulève quelques questions sur le processus.

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Les pays africains devraient garder en tête l’enjeu de chaque restitution. Ces œuvres qui manquaient au Bénin manquaient également à toute l’Afrique. Il est illusoire de ne prendre les restitutions qui sont décidées que pour soi. Cette situation issue du bilatéralisme voulu par la France est trompeuse, car elle nous éloigne du fait que tout Africain, quel que soit son pays d’origine, s’est senti Béninois par cette restitution.

IL FAUT POSER DES ACTES QUI SERVIRONT AUX AUTRES DEMANDEURS AFRICAINS, À LA LIBÉRATION D’AUTRES OBJETS

Cette problématique nous oblige par conséquent à garder en perspective deux choses : l’Afrique (le bénéficiaire ultime) et le sort des autres objets restés en exil. Une victoire obtenue sur ce chemin de la restitution serait une victoire à la Pyrrhus si les protagonistes ne posent pas des actes qui serviront également aux autres demandeurs africains et à la libération d’autres objets exilés dans les musées.

Une loi sur les biens restituables

Dans mon livre Sur le chemin de la restitution des œuvres aux africains, j’ai exprimé ma préférence pour une solution uniforme et un traitement multilatéral impliquant les Africains et la France dans la recherche d’une solution partagée et sans équivoque. L’éventualité d’une loi-cadre en France signe une démarche qui va dans le bon sens, mais qui reste perfectible.

S’IL EST ACQUIS QUE CES BIENS PEUVENT ÊTRE RESTITUÉS, POURQUOI ATTENDRE QUE LES AFRICAINS SE PROSTERNENT POUR Y AVOIR DROIT ?

Je propose l’adoption d’une loi unique en France qui sortirait tous les biens restituables du patrimoine du détenteur sans pour autant les intégrer dans le patrimoine des États sources. Si elle est adoptée, celle-ci consoliderait la volonté de Paris de mettre fin à cette situation de possession douteuse. Elle permettra de s’affranchir de la dictature des trois « I » (inaliénabilité, insaisissabilité, imprescriptibilité) et leur remplacement par les trois C : compassion, coexistence et coopération.

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En complément, je préconise la création d’un CIC (Comité interculturel) composé de conservateurs et artistes africains et français et chargé d’instruire les demandes de restitution et de coopérer sur un travail de documentation autour des objets (origines, fonctions…). On détacherait ainsi les décisions en la matière des agendas diplomatiques. Enfin, je propose avec humilité des moyens de financer de façon autonome tout ce processus…

Relation infantilisante

Emmanuel Macron précisait que le Benin a eu le courage de « demander et de redemander ». Le temps est venu pour les deux parties de mettre fin à cette forme de relation infantilisante. S’il est acquis que ces biens doivent être restitués car ils ont été « mal acquis », pourquoi attendre que les Africains se prosternent pour y avoir droit ? Dans ce même élan, nous réfutons l’idée, bien commode, qu’il s’agit là d’un premier pas. On utilise cette expression pour les enfants. Or, ici, nous avons affaire à un vieux continent qui, depuis des lustres, réclame ces objets par la voix, rarement audible,  de ses enfants. Des enfants tributaires des humeurs et du bon vouloir des détenteurs actuels de ces objets.

EN CAS DE CHANGEMENT DE PRÉSIDENCE EN FRANCE, IL N’EST PAS CERTAIN QU’IL Y AURA CONTINUITÉ

Sur le chemin de la restitution des objets aux africains, l’initiative doit changer de camp. Car après quatre ans de négociations, force est de constater que nous sommes revenus à la case départ. Le processus n’a concerné que 26 œuvres du Benin et surtout, il doit son existence à la seule volonté personnelle d’Emmanuel Macron. En cas de changement de présidence en France, il n’est pas certain qu’il y aura continuité. « La restitution des 26 œuvres que nous consacrons aujourd’hui n’est qu’une étape », assure le président Talon. Mais pour  qu’il en soit ainsi, il faut que les Africains commencent par décroiser les bras. Cela passe inévitablement par une prise de conscience des gouvernants sur l’importance du sujet.

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Enfin, la restitution est une opportunité pour construire une nouvelle éthique relationnelle entre la France et les anciennes colonies. Les mentalités doivent évoluer des deux côtés. Il faut sortir de la diplomatie de « l’hirondelle » : on te sort une hirondelle pour te faire croire que le printemps est arrivé ! Le transfert d’objets d’un musée occidental vers un musée du continent ne peut être l’unique issue pour cette problématique. Une fois le droit de propriété reconnu aux Africains, nous aurions une ouverture vers de multiples possibilités d’honorer et de jouir de ces œuvres, tous ensemble. Ne ratons pas ce rendez-vous avec l’universalisme !

Source: Jeune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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