RDC : le président Félix Tshisekedi désormais en position de force

Le chef de l’Etat semble enfin être en mesure de gouverner le pays, longtemps entravé par un pacte secret conclu en 2018 avec son prédécesseur Joseph Kabila.

Plus de deux ans après son entrée en fonction, Félix Tshisekedi semble enfin en mesure de présider son pays. Le chef de l’Etat congolais, longtemps entravé par un pacte secret conclu en 2018 avec son prédécesseur Joseph Kabila, a désormais les mains libres. En moins d’un mois, une nouvelle majorité parlementaire s’est dessinée autour de lui, acculant l’ancien premier ministre Sylvestre Ilunga – un proche du camp Kabila – à la démission. L’élection d’un nouveau président de l’Assemblée nationale mercredi 3 février est venue parachever l’édifice.

Candidat unique, Christophe Mboso, 79 ans, a été élu avec 389 voix de députés sur 466. Il s’était rallié officiellement à Félix Tshisekedi en décembre 2020 après avoir quitté le Front commun pour le Congo (FCC) dominé par les partisans de Joseph Kabila. Un changement de bord qui n’a pas concerné le seul doyen de la chambre basse.

Après des mois de tensions au sein de la coalition au pouvoir, plusieurs poids lourds du camp de l’ancien chef de l’Etat ont rejoint ces dernières semaines « l’union sacrée pour la nation », la plate-forme politique en voie de constitution autour de Félix Tshisekedi. Même Lambert Mende, porte-voix de Joseph Kabila pendant près d’une décennie, a fini par sauter le pas.

A croire que les menaces de dissolution de l’Assemblée nationale lancées par le président ont fini par convaincre. Selon plusieurs témoignages, de l’argent a également été distribué pour séduire les élus indécis. Officiellement, les convertis expliquent leur départ du FCC par la volonté d’accompagner Félix Tshisekedi dans sa « vision ».

Une cohésion qui s’effrite

Sous cape, les propos sont moins amènes. « Le mutisme de Joseph Kabila ne rassurait plus. On a reçu des coups, on attendait sa réaction, mais rien. Les jours, les semaines, les mois ont passé. Il fallait se prendre en charge », confie un ancien ministre.

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Le Sénat est, certes, encore majoritairement contrôlé par les partisans de l’ex-chef de l’Etat, mais le président de la chambre haute, Alexis Thambwe Mwamba, est lui aussi sur la sellette. Soupçonné d’avoir détourné plusieurs millions d’euros, il est visé par une motion de censure. Un bureau provisoire, présidé par le doyen, a été installé jeudi 4 février. « Nous demandons au président de la République, chef de l’Etat, d’arrêter cette dérive dictatoriale », s’est ému Tshikez Diemu, porte-parole des sénateurs FCC.

Longtemps en position de force, le camp Kabila voit de plus en plus sa cohésion s’effriter. De timides contestations du leadership et d’anciennes frustrations ont refait surface au fil des mois. Pourquoi, s’interrogent certains caciques, avoir choisi Emmanuel Ramazani Shadary comme dauphin en le désignant candidat à la présidentielle de 2018 ?

« On lui reprochait beaucoup de choses. Il n’était pas apprécié de la population. Il n’était pas le meilleur d’entre nous. C’est pour ça que beaucoup de cadres du FCC ont travaillé contre lui et ont contribué à l’échec à la présidentielle », affirme un sénateur.

« Vérité des urnes » ?

Des zones d’ombres persistent par ailleurs sur le contenu du fameux « deal » secret entre leur chef et Félix Tshisekedi. A l’issue des élections contestées de 2018, Joseph Kabila avait cédé la présidence au fils de l’opposant historique, tout en prenant soin de conserver la mainmise sur le Parlement, les exécutifs provinciaux, les forces de sécurité et le pouvoir judiciaire. Mais que prévoyait exactement cet arrangement conclu au détriment de la « vérité des urnes » ? Plusieurs membres influents de ce que les opposants appelaient « la Kabilie » s’interrogent.

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Les plus amères soupçonnent leur ancien « raïs » (« chef », en swahili), dans le viseur des autorités américaines, d’avoir négocié des garanties pour lui et les siens. Ils lui reprochent d’avoir fait primer sa famille biologique sur sa famille politique.

Le traitement réservé à Kalev Mutond, ancien administrateur général de la puissante Agence nationale de renseignement (ANR), en témoignerait. Interpellé en février 2020 à l’aéroport de Ndjili pour « usage illégal d’un passeport diplomatique », l’ancien homme fort des services de sécurité a été accusé de « tentative de déstabilisation du pays ». Il a vite été relâché mais l’affaire, à l’époque, a fait grand bruit.

Lambert Mende a lui aussi subi « une humiliation », selon l’un des ses proches. Alors qu’il tentait de se faire élire gouverneur de la province du Sankuru en juillet 2019, l’indéfectible ministre de la communication des années Kabila a été brièvement interpellé pour le vol présumé d’un diamant de 87 carats. « Comme un vulgaire vendeur de poulets », s’est-il plaint à l’époque.

Joseph Kabila n’a que 50 ans…

A chaque fois, tout le monde a attendu la riposte. Et, à chaque fois, Joseph Kabila a gardé le silence. Félix Tshisekedi, lui, avançait ses pions. Fin 2020, il a multiplié les réunions avec les généraux des forces armées de la RDC. La partie bascule finalement à la mi-décembre 2020 quand Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale et ancienne ministre de Joseph Kabila, est déchue de son perchoir.

Entretenant plus que jamais le flou sur ses intentions, l’ancien président, lui, se retire dans sa propriété de Kashamata, dans la banlieue de Lubumbashi. Là-bas, au Haut-Katanga, il s’occupe de ses champs de maïs et de tournesol. Une vie de fermier, loin, très loin de la capitale congolaise.

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Face à la saignée, un comité de crise a été constitué au sein du FCC, mais aucun plan d’action n’a été décidé pour le moment. Un premier rapport de situation a été présenté à Joseph Kabila mi-décembre 2020. Quatre scénarios sont envisageables : ancrer le FCC dans l’opposition, se joindre à l’union sacrée, tout mettre en œuvre pour conserver une majorité ou paralyser les institutions en utilisant notamment ses militants. Jusque-là, aucune option n’a été encore été levée et l’ancien président semble décidé à laisser ses lieutenants trancher.

Qu’attend donc Joseph Kabila ? « On disait que rien n’allait au Congo parce qu’il bloquait tout. C’est pour ça qu’il a décidé de se taire et de s’éloigner. Et c’est ce qui explique que beaucoup de ceux qui viennent le voir rentrent bredouille, justifie Kikaya Bin Karubi, ancien conseiller diplomatique. Mais l’homme n’a pas 50 ans. Il n’est pas aux affaires. Il n’a pas pris sa retraite. Rien n’empêche qu’il revienne un jour. »

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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