Professeur Awa Marie Coll Seck : « Il ne faut pas rejeter la piste de la chloroquine, qui en plus est à la portée des pays africains »

Professeur Awa Marie Coll Seck

Le Coranovirus a surpris le monde entier y compris l’Europe et les États-Unis, où le virus fait des ravages. L’Afrique, qui semblait au tout début de l’épidémie épargnée, est-elle aussi contrainte de prendre des mesures drastiques  pour éviter la propagation de la maladie, qui prend chaque jour un peu plus d’ampleur sur son sol. Quel est l’état de la situation sur le continent ? La riposte de l’Afrique face au Covid-19 est-elle à la hauteur ? La chloroquine, qui fait actuellement tant débat, pourrait-elle être la solution pour les malades ? Le professeur Awa Marie Coll seck, médecin spécialiste des maladies infectieuses, ancienne ministre de la Santé du Sénégal (2001-2003 et 2012-2017), livre son analyse de la situation à Afrika Strategies France.

En matière de santé, le professeur Awa Marie Coll Seck est une voix incontournable au Sénégal. Cette mère de famille de quatre enfants, qui raffolent des séries américaines scientifiques tels que Les Experts, a formé des générations de médecins qui exercent aujourd’hui aux quatre coins de la planète. Il faut dire que l’expérience de terrain de cette infectiologue, ancienne basketteuse de l’équipe de basket-ball de Dakar, ne date pas d’aujourd’hui. En 1984, à tout juste 33 ans, elle est la première femme agrégée de médecine au Sénégal. Deux ans plus tard, en 86, elle diagnostique le premier cas de sida dans le pays. La médecine n’empêche pas le professeur Seck de s’engager dans le syndicalisme puisqu’elle devient membre fondateur du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas). En 89, sa carrière professionnelle décolle avec sa nomination comme professeur titulaire de la chaire des maladies infectieuses à l’Université de Dakar et chef du service des maladies infectieuses au centre hospitalier universitaire de Fann. Elle a notamment eu une carrière internationale fulgurante. Chercheuse très impliquée dans la lutte contre le sida, auquel elle consacre de multiples publications, elle a dirigé le département de la recherche à l’ONUSIDA de 1996 à 2001, et le Partenariat Roll Back Malaria (RBM) de 2004 à 2012, à Genève. Elle fait son entrée en politique en 2001, où elle est nommée ministre de la Santé, sous la présidence d’Abdoulaye Wade, jusqu’en 2003. Une fonction qu’elle exerce de nouveau sous le mandat du président Macky Sall, de 2012 à 2017. Aujourd’hui au pays de la Téranga, aucune grande mesure sanitaire, surtout en cas d’épidémie, n’est prise sans qu’elle ne soit consultée. Lorsque l’épidémie d’Ebola s’est déclarée en Afrique de l’ouest, elle a organisé de bout en bout la riposte du Sénégal, qui n’a eu qu’un cas, un jeune Guinéen de passage dans le pays, traité sur place, jusqu’à l’annonce de sa guérison complète. Désormais c’est face au Covid-19, qu’elle compte une fois de plus mettre son expertise au service de son pays et du continent.

Face au Coronavirus, de nombreux pays d’Afrique ont pris une multitude de mesures pour protéger leurs populations. Leurs ripostes sont-elles à la hauteur de l’enjeu?

C’est très important que les pays africains réagissent au plus haut niveau face au Covid-19. Chacun l’a fait en fonction de ses réalités, ce qui fait qu’on a différents exemples dans les mesures prises comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui n’ont pas hésité à décréter l’état d’urgence. D’autres pays du continent ont choisi le confinement pour contrer la propagation de la maladie. Chaque Etat est en train d’essayer de prendre des mesures à la hauteur de ses moyens. D’autant que certains pays ont été confrontés à Ebola et ont déjà eu à prendre des mesures sanitaires strictes. La propagation de l’épidémie à Coronavirus à partir de la Chine et faisant aujourd’hui des ravages en Europe doit nous interpeller sur la gravité de la situation. C’est la première fois que je vois une détermination aussi importante de nombreux pays africains, qui ont été sensibles aux alertes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et ont pris des mesures concrètes pour contrer l’épidémie. Les pays qui ont compris la gravité de la situation sont sur la bonne voie. Mais attention, malheureusement, ce n’est pas le cas de tous les Etats africains. Certains n’ont pas encore mis en place les mesures à la hauteur de la menace et constituent les maillons faibles du continent.

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On voit en effet beaucoup de pays annoncer des mesures contre le Coronavirus mais qu’en est-il réellement de leur mise en application ?

En effet prendre des mesures ne suffit pas car encore faut-il les mettre en application. Pour cela, il faut une coordination au plus haut niveau, une approche multisectorielle inclusive et communautaire. Une communication appropriée et une sensibilisation des communautés sont déterminantes. En effet si les populations ne suivent pas les directives ou recommandations et n’ont pas le sens de la discipline ou continuent à avoir des comportements à risques, ces grandes décisions ne porteront pas leurs fruits. Concernant le Sénégal, le président de la République, en plus des mesures fortes, a décidé d’impliquer tout le monde. Il a reçu les partis d’opposition et les leaders religieux, qui ont aussi été mis à contribution face à cette crise sanitaire. Tout le monde doit s’impliquer et aller dans le même sens pour en venir à bout, non seulement les décideurs mais aussi les populations qui, encore une fois, doivent être disciplinées.

Plusieurs gouvernements en Afrique ont choisi de confiner leur population. Mais n’est-il pas risqué de confiner un pays entier, quand la majorité de la population vit du secteur informel,  sans ressources, et est contrainte de vivre au jour le jour pour se nourrir? Les populations africaines ont-elles vraiment les moyens du confinement ?

Pour le cas du Sénégal, on a décrété un état d’urgence mais pas le confinement. On a décidé d’abolir les rassemblements, de fermer les lieux publics, de sensibiliser sur une large échelle les populations afin de les inciter à rester chez elles et à ne sortir juste qu’en cas de nécessité. Dans la dernière déclaration à la Nation, le Président a annoncé aussi la création de fonds de solidarité pour les denrées de premières nécessité et d’appui des secteurs comme le tourisme qui souffrent particulièrement de cette crise. Toutes ces mesures ont été mises en place pour soutenir la population en cas de confinement. Un confinement se prépare ! On ne peut pas décider de confiner les gens sans n’avoir pris aucune disposition en amont pour les soutenir dans une telle situation.

Etes-vous de l’avis de l’OMS qui estime que l’Afrique doit se préparer « au pire » face au Covid-19?

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Il faut savoir dans un premier temps dans quel contexte le directeur général de l’OMS a fait cette déclaration. Il a affirmé cela car il sait pertinemment que les systèmes de santé en Afrique sont fragiles et que si l’on ne réagit pas rapidement et qu’on se laisse déborder on ne pourra pas gérer cette crise. Cette déclaration n’a pas été dîte de manière péjorative contre les Etats africains mais uniquement pour qu’ils prennent la mesure de l’urgence de la situation et prennent au sérieux cette pandémie. Effectivement, on doit s’attendre au pire, c’est la raison pour laquelle il faut agir vite et mettre en place sans attendre les mesures nécessaires.

Concrètement quelles sont les mesures les plus adaptées à l’Afrique pour lutter contre le Covid-19 ?

Premièrement, il faut une bonne coordination de la lutte au plus haut niveau. Deuxième, il faut avoir une riposte organisée et multisectorielle. Les mesures prises par les ministères particulièrement concernés par ce types de crise, à savoir les ministères de la Santé, de l’Education, de l’Intérieur, ou encore des Transports sont capitales. Il faut aussi une réponse décentralisée, c’est-à-dire que les dispositifs sanitaires et les mesures de prévention ne doivent pas juste concerner la capitale. Il faut travailler sur tout le territoire et ne surtout pas oublier les zones reculées. Et il faut que la communication soit une communication vraie, que l’Etat soit transparent dans les informations qu’il donne aux populations car si elles apprennent qu’on leur a caché des éléments elles peuvent se méfier et ne plus avoir confiance en leurs décideurs, ce qui complique les choses. Il est aussi très important d’avoir une approche communautaire, c’est-à-dire faire en sorte que la communauté soit compétente face à la situation, comprenne ce qui se passe et ait les outils pour mettre en œuvre les mesures préventives, comme le lavage des mains avec du savon, les règles d’hygiène à respecter… Il faut appeler les populations à la discipline sans oublier de les accompagner psychologiquement et socialement. Et le dernier point c’est d’avoir un système de santé qui fonctionne correctement. Si vous n’avez pas un système de santé solide, il finit par s’écrouler en cas de crise de ce genre. On ne le redira jamais assez : la santé a un coût ! Il faut lui donner les moyens qu’elle requiert. En Afrique,on ne donne pas suffisant de moyens à la santé et c’est un vrai problème. Par exemple partout sur le continent, il y a peu de système de réanimation, ce qui est vraiment problématique pour les formes grave de Covid 19. Les décideurs du continent doivent comprendre qu’il est primordial d’investir dans la santé.

Aujourd’hui, l’utilisation de la chloroquine pour soigner les malades du Covid-19 fait polémique. Quelle est votre avis sur la question ? Ce médicament est-il efficace ? Permet-il aux patients qui l’utilisent de guérir? Et pourquoi en fin de compte fait-il polémique?

Je n’ai pas une expérience de l’utilisation de la chloroquine contre le Covid-19 puisque c’est un nouveau virus. Mais à mon avis il ne faut négliger aucune piste.  Le travail effectué par le professeur Didier Raoult me semble prometteur et est une piste à ne pas négliger. Il ne faut pas rejeter la chloroquine. Certains affirment qu’elle est toxique mais c’est surtout le cas lorsqu’elle est utilisée à forte dose. Et si le patient est cardiaque, une surveillance assidue est nécessaire en cas de prise de ce médicament. Cette piste est intéressante, d’autant que ce médicament est à la portée des pays africains. Il faut donc pousser plus loin les investigations et ne pas négliger également les autres pistes qui permettraient la guérison des malades, sans oublier la recherche vaccinale.

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Comment expliquez-vous, que pour le moment, le continent ait peu de cas, en comparaison à l’Europe où la pandémie fait des ravages… Peut-on penser que son expérience avec Ebola, lui aurait servi ?

Le virus est passé de la Chine à l’Europe puis aux Etats-Unis, où il y a des vols réguliers avec la Chine. Ce n’est pas le cas pour l’Afrique qui n’a pas de vols réguliers avec la Chine contrairement à ce qu’on pourrait penser. Les cas qui ont été recensés ont été contaminés à partir de l’Europe et non de la Chine. L’Afrique ne fait pas exception face au Covid-19. Tous les pays ont commencé avec six ou huit cas avant que la maladie ne se propage rapidement. Il faut être vigilant pour éviter que le nombre de malade augmente de jour en jour et être ferme par rapport aux mesures prises. L’épidémie d’Ebola a aidé certains pays, notamment en Afrique de l’ouest, largement touché. Actuellement elle est encore présente en République démocratique du Congo (RDC), bien qu’elle semble s’éteindre. Mais on ne peut pas malgré tout dire que l’Afrique a l’expérience d’Ebola car ce n’est pas toute l’Afrique qui a été touché par ce virus.

Que tirez-vous de votre expérience face à Ebola, qui pourrait vous être utile contre le Covid-19 ?

Ebola nous a montré que quand il y a une épidémie importante il faut mettre toute son énergie pour surveiller, diagnostiquer, traiter, identifier les contacts des malades. Actuellement, pour en revenir au Covid-19, dans le cas du Sénégal, dès qu’une personne soupçonne d’être malade elle doit appeler un numéro mis à la disposition de la population et une équipe médicale se rend vers elle afin de pouvoir faire des prélèvements ensuite à l’institut pasteur pour confirmer ou non l’infection. La même démarche est faite par le personnel de santé dans les structures sanitaires devant un malade suspect. Les personnes susceptibles d’être infectées sont confinées dans un premier temps dans l’endroit où elles se trouvent avant d’être prises en charge par des structures médicales spécialisées si le résultat revient positif. Par ailleurs, la préparation et l’unique cas que nous avions eu durant l’épidémie d’Ebola nous a pris tout notre temps au risque de négliger les autres priorités sanitaires. Nous avons alors pensé créer un centre d’urgence des opérations sanitaires, qui s’occuperait de la gestion et coordination de la lutte contre les épidémies. Aujourd’hui, la mise en place de ce dispositif est une fierté pour le Sénégal. La preuve est que beaucoup de pays voisins en Afrique nous demande de les aider à mettre en place un tel centre, qui, bien utilisé, est d’une efficacité remarquable.

Assanatou Baldé, Afrika Stratégies France 

Tribune d'Afrique

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