Le Zimbabwe s’engage contre l’extrémisme violent aux côtés du Mozambique

La multiplication des attaques à Cabo Delgado a poussé le Zimbabwe à s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme au Mozambique dans le cadre de la mission SAMIM portée par la SADC. Cependant, les sanctions internationales et l’embargo sur les armes freinent son intervention alors que la menace terroriste se rapproche et que le pays fait face à une augmentation exponentielle de l’islamisation à l’intérieur de ses frontières.

« Le chemin du Zimbabwe vers sa libération a été pavé par les sacrifices consentis par nos frères et sœurs au Mozambique », déclarait Frederick Shava, ministre des Affaires étrangères et du Commerce international du Zimbabwe, à l’occasion de la 12e session de la Commission permanente mixte de coopération entre le Zimbabwe et le Mozambique en novembre 2021, pour souligner les liens anciens qui cimentent les deux pays. Sur le plan économique, la relation bilatérale entre le Zimbabwe et le Mozambique se renforce. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays a atteint 543 millions de dollars en 2020 (le niveau le plus élevé en 10 ans) en dépit de la pandémie de Covid-19.

Le Mozambique offre l’accès le plus direct à la mer à son voisin zimbabwéen avec lequel il nourrit une relation étroite depuis l’époque des indépendances, renforcée par une culture commune et une proximité géographique qui pousse aujourd’hui Harare à s’engager dans la lutte contre le terrorisme au Mozambique, car depuis 2017, les Shebabs (homonymes des Shebabs somaliens) font régner la terreur dans la province septentrionale de Cabo Delgado. La menace s’étend peu à peu aux régions voisines selon une étude de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale basée à Genève et de la Fondation Hanns Seidel en Allemagne, publiée en février 2021 et intitulée « Insurrection, marchés illicites et corruption : le conflit de Cabo Delgado et ses implications régionales ».

Cabo Delgado est un corridor qui voit passer l’héroïne venue d’Afghanistan via l’Iran pour rejoindre l’Afrique du Sud et y être consommée sur place ou redirigée vers l’Europe et les Etats-Unis. La cocaïne du Brésil transite également par le nord du Mozambique avant d’être envoyée vers l’Australie. Exportation illégale de bois, d’or ou de pierres précieuses : des flux illicites de toutes natures circulent à Cabo Delgado, mais les Shebabs ne participeraient que modestement à ces trafics selon la récente étude de la Fondation Hanns Seidel, l’essentiel de leurs revenus proviendrait du pillage de banques, des raids sur les commerces locaux et des rançons reçues pour la libération des otages.

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L’intervention du Zimbabwe limitée par l’embargo sur les armes

Un SOS dessiné à même le sol, Mozambicains et expatriés réfugiés dans l’hôtel Amarula dans l’attente de secours qui ne viendront pas : les images de la prise de la ville de Palma ont fait le tour du monde, relayées par le téléphone portable d’un témoin pris au piège, un 24 mars 2021, dans la province de Cabo Delgado. Quarante-huit heures de siège, une ville détruite, des corps sans têtes disséminés dans la ville : cette attaque retentissante avait été revendiquée par les Shebabs (qui ont fait allégeance à l’Etat islamique en 2019). La faillite de l’armée mozambicaine appuyée par  la société sud-africaine paramilitaire D.A.G. (alors sous contrat avec l’Etat mozambicain) face à des Shebabs surarmés avait provoqué l’effroi bien au-delà des frontières du Mozambique, poussant la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) à intervenir. En juillet, l’organisation régionale décidait de mobiliser quelque 3.000 hommes pour soutenir la région de Cabo Delgado à se libérer du joug des terroristes, dans le cadre d’une mission spéciale, la SAMIM.

« Des progrès significatifs ont été réalisés », déclarait Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, lors d’un sommet extraordinaire qui se tenait en janvier dernier au Malawi. Cependant, malgré des avancées manifestes, les raids perpétrés en novembre dernier dans les districts de Mueda et Macomia, ont conduit la SADC à prolonger la mission SAMIM pour une durée indéterminée, alors que mille soldats venus du Rwanda combattent également sur le terrain et que l’Union européenne (UE) a mis en place une mission de formation militaire (EUTM Mozambique) pour soutenir le renforcement des capacités des forces armées locales.

« Le Mozambique est un pays frère et nous avons déjà coopéré militairement ensemble contre le Renamo (mouvement politique soutenu jadis par le régime d’apartheid sud-africain, ndr). Trois cent quatre de nos instructeurs ont formé un premier bataillon qui est actuellement déployé à Cabo Delgado », indique Oppah Muchinguri, ministre de la Défense, qui regrette de ne pas être en mesure d’en faire davantage. « Nous sommes particulièrement affectés par la situation au Mozambique en raison de notre proximité géographique, mais nous faisons face à des sanctions internationales ainsi qu’à un embargo sur les armes qui limitent nos capacités techniques ainsi que nos moyens d’intervention. Si ces sanctions étaient levées, le Zimbabwe s’impliquerait davantage, mais pour l’instant cela nous est impossible », ajoute-t-elle.

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Le développement comme arme pour éviter le scénario mozambicain

Cabo Delgado, aussi appelé Cabo Esquecido ou le « cap oublié », est situé à la frontière tanzanienne. Il a longtemps été considéré comme la région la plus pauvre du Mozambique. Marginalisé politiquement, il concentre pourtant des richesses considérables. En septembre 2021, cette région abritait près d’un million de personnes classées par l’ONU en état « d’extrême insécurité alimentaire ». Entre rupture de la gouvernance, exclusion socio-économique, corruption, crime organisé et accaparement des ressources naturelles par des élites locales, Cabo Delgado est devenu un terreau fertile pour l’extrémisme religieux.

Dans les années 2010, la découverte de ressources en gaz naturel généra des investissements sans précédent sur le continent, avec le projet de construction d’une usine de GNL à 20 milliards de dollars. Ces découvertes n’ont cependant pas eu les retombées escomptées pour les populations locales. Les déplacements souvent forcés de populations ont renvoyé nombre de Mozambicains au souvenir de l’expropriation sans ménagement des mineurs artisanaux à la suite de la découverte d’un champ de rubis près de Montepuez en 2009, qui avait mis le feu aux poudres, attisé par des mouvements radicaux. Privés de leurs moyens de subsistance, nombre de mineurs, souvent jeunes, s’étaient alors radicalisés, rejoignant les extrémistes religieux, selon les experts régionaux.

« Les déplacements de populations sans dédommagement qui ont suivi le projet de Total à Cabo Delgado sont à l’origine du problème. Pour lutter contre le terrorisme, l’action militaire ne suffit pas ; elle doit s’accompagner d’une stratégie de développement social inclusive sans quoi, le gouvernement sera considéré comme un ennemi par les populations laissées-pour-compte (…) Il y a quelques années, lorsque nous avons découvert des minerais, notre premier objectif s’est concentré sur le sort des populations locales. Nous avons construit des maisons, mais aussi des écoles afin de les accompagner. C’est ainsi que nous avons maintenu la paix au Zimbabwe »,  explique Oppah Muchinguri.

Quel risque pour le Zimbabwe face à la montée de l’Islam radical ?

Si la ministre zimbabwéenne de la Défense reconnaît que la route commerciale de Beira offrant un accès privilégié à la mer fait actuellement l’objet d’une surveillance accrue pour sécuriser les importations et les exportations nationaleselle souligne que la sécurité aux frontières n’a pas été renforcée « à cause des sanctions internationales » qui limitent les moyens de l’arméeUne intervention dans le cadre d’un accord bilatéral n’est donc pas à l’ordre du jour. Pourtant, pour le Zimbabwe, la lutte contre le terroriste au Mozambique est une priorité. « Si nous échouons à aider le Mozambique dans sa lutte contre le terrorisme, alors la menace descendra jusqu’ici. Il faut stopper le problème avant qu’il ne devienne incontrôlable. S’engager aux côtés du Mozambique est dans notre intérêt avant tout », explique Fortune Chasi, avocat et senior partner chez Maguwudze.

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« Le facteur économique pèse lourdement dans ces régions riches en matières premières qui sont en proie au terrorisme et où l’on retrouve un certain nombre d’acteurs internationaux », poursuit-il. Or, le potentiel gazier et pétrolier décelé dans le bassin de Muzarabani situé non loin de la frontière avec le Mozambique (qui fait actuellement l’objet de prospection par l’entreprise australienne Invictus Energy) pourrait entraîner l’implication de nouveaux acteurs porteurs de déstabilisation. « Une montée de l’islamisation a été enregistrée dans la région de Muzarabani », confirme le chercheur Richard R. Mahomva, qui est aussi le coordinateur général de l’organisation zimbabwéenne Leaders for Africa Network. « Face à la pauvreté, les ONG, notamment islamiques, se substituent aux pouvoirs publics », ajoute-t-il.

« Il n’y a pas de radicalisation sur le territoire zimbabwéen, ni de terroristes emprisonnés dans nos prisons aujourd’hui », indique Ziyambi Ziyambi, ministre de la Justice, affirmant par ailleurs que le pays dispose déjà de « lois très strictes en matière de terrorisme » qu’il n’est point « besoin de renforcer ».

Majoritairement chrétien, le pays a vu le nombre de ses mosquées croître de façon exponentielle depuis quelques mois. Dès lors, leur financement pose question. « Nous n’avons pas de mouvements islamistes chez nous, mais il nous faut rester attentifs, car ces deux dernières années, le nombre de mosquées est passé de 46 à 400 sur l’ensemble de notre territoire. Elles sont surtout présentes dans l’est du pays, près de la frontière avec le Mozambique (…) Notre Constitution garantit les libertés religieuses et nous devons nous garder de tout amalgame. Cependant, cette progression de l’islam doit nous interroger », déclare Oppah Muchinguri, ministre zimbabwéenne de la Défense et des anciens combattants qui assure que « pour l’instant, il n’y a pas de menace directe au Zimbabwe ».

Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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