Le Soudan un an après la chute de Omar El Béchir : La transition à l’épreuve des défis

Sudanese women wave national flags as they rally to celebrate after an announcement made by Sudan’s new military ruler on April 13, 2019. – General Abdel Fattah al-Burhan vowed today to ‘uproot’ deposed president Omar al-Bashir’s regime and release protesters, in a bid to placate demonstrators demanding civilian rule. He also ordered the release of all prisoners jailed by recently established special emergency courts and the immediate lifting of a night-time curfew that had only come into effect two days ago. (Photo by Ebrahim Hamid / AFP)

Le 11 avril 2019, après quatre mois de manifestations populaires dans tout le pays, l’armée destitue le général Omar El Béchir.
Après des négociations entre l’armée et les représentants de la contestation, un Conseil souverain composé de civils et de militaires supervise, depuis août 2019, la transition vers un régime civil.

En effet, le 20 mai, des négociations entre militaires et meneurs de la contestation s’achèvent brusquement sans accord sur la composition d’un Conseil souverain censé assurer la transition vers un pouvoir civil. Les mouvements islamistes font bloc derrière l’armée, espérant préserver la charia (loi islamique) en vigueur depuis 1989. Le 3 juin, le sit-in de Khartoum est dispersé par des hommes armés en tenue militaire, faisant des dizaines de morts. Les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) sont accusés, le Conseil militaire de transition ordonne une enquête.

L’armée appelle à des élections dans «neuf mois maximum». Les protestataires dénoncent un «putsch». Le 27 juin, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, annonce avoir reçu un nouveau «projet d’accord» de médiateurs de l’Ethiopie et de l’Union africaine (UA). Les généraux se disent prêts à négocier. Mi-juillet, une «déclaration politique» entérinant le principe d’un partage du pouvoir est signée, prévoyant la création d’un Conseil souverain pour diriger le pays pendant une transition de trois ans vers un pouvoir civil.

Le 17 août, le Conseil militaire et les meneurs de la contestation signent l’accord de transition, qui prévoit la nécessité de parapher des accords de paix avec les groupes rebelles au Darfour (ouest) et dans les Etats du Nil Bleu et du Kordofan-Sud, frontaliers du Soudan du Sud. Le Conseil souverain, composé de six civils et cinq militaires, est formé trois jours plus tard. Il est présidé par le général Abdel Fattah Al Burhan, chef du Conseil militaire de transition.

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Ecueils

Le pays s’est doté le même mois d’un gouvernement de technocrates. Un ex-économiste de l’Organisation des Nations unies (ONU), Abdallah Hamdok, est nommé Premier ministre. Il doit faire face à plusieurs défis. Entre autres, l’inflation annuelle estimée à 70% et les négociations de paix avec les rebelles du Darfour. Ce conflit a éclaté en 2003 entre forces gouvernementales et insurgés. Le pays souffre des sanctions américaines. En plus, la sécession en 2011 du Soudan du Sud, qui a déclaré son indépendance, prive Khartoum des ressources pétrolières. Les Etats-Unis ont décidé en octobre 2017 de mettre fin à l’embargo économique imposé depuis 20 ans au Soudan, et l’annonce faite par Washington en mars de la levée des sanctions sur 157 entreprises soudanaises a redonné au gouvernement l’espoir d’attirer les investissements étrangers.

Mais le pays demeure sur la liste noire américaine des Etats soutenant le terrorisme, même si une des conditions de son retrait a été remplie cette semaine avec un accord d’indemnisation des familles des victimes de l’attentat contre le destroyer USS Cole en 2000, au Yémen. Abdallah Hamdok a effectué sa première visite à Washington en décembre et les autorités ont accepté l’idée de remettre El Béchir, sous mandat d’arrêt pour «génocide» et «crimes de guerre au Darfour», à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Mi-octobre, débutent à Juba (Soudan du Sud) des pourparlers de paix entre Khartoum et les rebelles. Le 24 janvier, une coalition de neuf rébellions annonce un protocole d’accord avec le gouvernement dans les régions du Darfour et du Nil Bleu. Cependant, la transition politique a aussi été mise à rude épreuve par plusieurs incidents sécuritaires.

Le 9 mars, le Premier ministre échappe à un attentat à Khartoum, décrit comme une tentative de faire échouer le processus de transition. Le 16, le Soudan instaure l’état d’urgence sanitaire et ferme ses frontières pour lutter contre le nouveau coronavirus.

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Mémoire douloureuse

Les militaires dominent l’échiquier politique du pays depuis l’indépendance du Soudan le 1er janvier 1956. Sachant qu’ils ont tissé des alliances avec les islamistes pour accaparer ou conserver le pouvoir. En effet, ils prennent le trône en 1958, mettant ainsi fin au système parlementaire de type britannique qui gérait le pays jusque-là. En octobre 1964, éclate une insurrection populaire qui met fin à la dictature militaire.

Une nouvelle expérience parlementaire est initiée. Cependant, le 25 mai 1969, un groupe d’officiers, dirigé par le colonel Gaafar Nemeiry, prend le pouvoir par un pronunciamiento. En juillet 1971, une tentative de coup d’Etat échoue à le faire tomber. Il échappe à deux autres, en 1975 et 1976. En 1972, sont signés des accords de paix à Addis-Abeba, en Ethiopie, mettant fin à la rébellion du Sud. Mais celle-ci reprend en 1983. La même année est instaurée la charia.

En mars et avril 1985, le pays est secoué par une révolte populaire doublée d’un coup d’Etat qui met fin au régime de Nemeiry. En avril 1986, est élue une Assemblée constituante. Le 30 juin 1989, le général El Béchir, soutenu par les islamistes, prend le pouvoir par un coup d’Etat contre le Premier ministre démocratiquement élu, Sadek Al Mahdi. Il encourage les activités du Front national islamique de Hassan Tourabi. Son règne est marqué par des conflits avec le Sud, jusqu’à la paix en 2005, et dans d’autres régions, notamment dans celle du Darfour à partir de 2003. Ainsi, les relations du Soudan avec l’Occident et l’Egypte, notamment, se détériorent.

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Le Caire met en cause Khartoum dans l’attentat manqué contre le président Hosni Moubarak le 26 juin 1995 à Addis-Abeba. La CPI recherche le président El Béchir pour «génocide dans la province du Darfour (ouest)». Le 26 avril 1996, le Conseil de sécurité de l’ONU prend une série de sanctions contre le Soudan. En 1997, les Etats-Unis décrètent un embargo pour le soutien présumé de Khartoum à des groupes islamistes. Le régime a accueilli Oussama Ben Laden. Aussi, le Soudan a rejoint la coalition régionale menée par l’Arabie Saoudite contre les rebelles au Yémen, soutenus par Téhéran.

La Chine et la Russie entretiennent de bonnes relations économiques avec Khartoum. En parallèle, l’Occident travaille pour la stabilité du pays, car son instabilité risque de déstabiliser la Corne de l’Afrique livrée aux attaques des mouvements islamistes, à l’exemple des shebab somaliens. En outre, cela compliquerait la crise migratoire à laquelle est confrontée l’Europe. Après la dégradation de leurs relations en 2017, lorsque El Béchir a accusé l’Egypte de soutenir des opposants soudanais, Le Caire et Khartoum ont dénoué leurs différends. Le Soudan a levé en octobre l’interdiction d’importer des produits d’Egypte, imposée pendant 17 mois. Par ailleurs, quelques jours après le début des manifestations, l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, a appelé le président soudanais pour lui offrir son aide. En août dernier, le parti au pouvoir, le Congrès national, a désigné Omar El Béchir candidat à la présidentielle de 2020.

Or, la Constitution soudanaise de 2005 limite à seulement deux les mandats présidentiels pour un même prétendant. Mais cela n’empêche pas El Béchir de confisquer la loi et être réélu en 2011 et 2015 avec 94,5% des voix.

Source: El Watan/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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