La revanche posthume de Mouammar Kadhafi

Dix ans après le lynchage de Kadhafi, ses idées inspirent largement l’antiparlementarisme du chef de l’Etat tunisien, tandis qu’un de ses fils se présente à la première présidentielle de l’histoire libyenne.

La mort de Mouammar Kadhafi, tué, le 20 octobre 2011, non loin de sa ville natale de Syrte, marquait la fin sanglante d’un règne sans partage de quarante et un ans à la tête de la Libye. Personne n’aurait alors pu imaginer que, une décennie plus tard, l’héritier désigné du dictateur libyen, Saïf Al-Islam Kadhafi, se présente officiellement à la première présidentielle de l’histoire du pays. De manière générale, les partisans du despote déchu ont de nouveau le vent en poupe en Libye. Quant au chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, le modèle de démocratie directe qu’il compte substituer aux institutions parlementaires n’est pas sans rappeler la Jamahiriya, cet « Etat des masses » que Kadhafi avait imposé à la Libye pour mieux asseoir son pouvoir personnel.

SAÏF AL-ISLAM CANDIDAT

Dès le lendemain de la conférence internationale de Paris sur la Libye, Saïf Al-Islam Kadhafi a créé un coup de théâtre en annonçant sa candidature au scrutin présidentiel du 24 décembre. La surprise a été d’autant plus grande que l’ancien héritier désigné du Guide libyen avait été condamné à mort en 2015 par un tribunal de Tripoli, avant d’être amnistié, un an plus tard, par une loi votée par le Parlement de Tobrouk, concurrent de celui de la capitale. Les factions libyennes ne s’accordaient que pour refuser d’exécuter le mandat pour « crimes contre l’humanité » que la Cour pénale internationale avait délivré à son encontre, du fait de son rôle-clé dans la répression du soulèvement de 2011. En outre, Saïf Al-Islam a déposé sa candidature à Sebha, dans le sud du pays, alors qu’il était censé demeurer en résidence surveillée à Zinten, sept cents kilomètres plus au nord.

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Les complicités dont Saïf Al-Islam a, à l’évidence, profité localement se doublent des encouragements dont sa candidature a pu bénéficier sur la scène internationale. La Russie, partenaire historique de la dictature déchue, a été d’emblée désignée, mais la Grande-Bretagne, terre d’asile de caciques du despote, est également mentionnée, car le « trésor de guerre » du défunt Kadhafi, évalué à plusieurs dizaines de milliards de dollars, n’a jamais été récupéré. Les menaces de boycottage du scrutin présidentiel ont entraîné le rejet de la candidature de Saïf Al-Islam par la commission électorale, mais elle a depuis été confirmée par la haute cour de Sebha. Le plus inquiet d’une telle candidature est paradoxalement le maréchal Khalifa Haftar, qui avait rassemblé autour de lui, dans l’est de la Libye, une bonne partie des réseaux kadhafistes et les avait mobilisés, en 2014 et en 2019, lors de ses deux tentatives infructueuses de conquête de la capitale. Haftar mise désormais sur la voie électorale pour accéder au pouvoir suprême, un pari que la candidature de l’héritier désigné de l’ancien régime pourrait compromettre.

UN HÉRITAGE TRES DISPUTÉ

Dix ans après la disparition de Mouammar Kadhafi, la rivalité entre son fils et Haftar pour se rallier les réseaux kadhafistes en dit long sur la persistance de l’héritage de la Jamahiriya en Libye. Une décennie de désordre milicien amène une partie de la population à teinter de nostalgie une ère associée certes à une répression impitoyable, mais aussi à une forme de prospérité, voire d’abondance. Saïf Al-Islam continue ainsi à incarner le courant qui prétendait « réformer » la Jamahiriya, alors qu’Haftar est plus que jamais associé à la « vieille garde » kadhafiste, irréductiblement hostile à toute forme de démocratie libérale. Mais leurs deux candidatures, justement parce qu’elles renvoient à l’ancien régime, suscitent le rejet viscéral des Libyens les plus attachés aux acquis « révolutionnaires » de l’après-2011. Ainsi, avant même la proclamation des résultats de la prochaine présidentielle, c’est la tenue même d’un tel scrutin qui paraît problématique dans un pays plus que jamais divisé par l’héritage kadhafiste.

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Dans la Tunisie voisine, le président Kaïs Saïed est régulièrement comparé à Kadhafi, du fait de sa volonté d’éliminer toute forme de contre-pouvoir. Ayant suspendu la Constitution en juillet dernier, il s’est depuis arrogé les pleins pouvoirs et a lancé un projet de refonte des institutions qui ferait la part belle à la démocratie directe et aux conseils locaux. Mais, rien n’étant encore défini, les observateurs s’interrogent pour savoir si la Tunisie s’oriente vers « l’exemple libyen de Kadhafi ou le modèle suisse ». La rhétorique panarabe de M. Saïed et la virulence de ses attaques contre le système parlementaire et le régime des partis font malheureusement pencher en faveur de la première hypothèse. En attendant d’y voir plus clair en Tunisie, force est de constater que, dix ans après la disparition du dictateur libyen, son ombre continue de peser sur son pays natal, voire au-delà.

Source: Le Monde Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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