Irma Bafatoro : « La Centrafrique risque un génocide si elle n’est pas secourue »

En blouse blanche et lunettes, Irma Laure, ici au milieu des enfants, en Centrafrique

Irma Laura Bafatoro, 38 ans, d’origine centrafricaine, basée en région parisienne, est à la tête de l’association d’Assistance humanitaire en Centrafrique qu’elle a créé dans le but de prêter main forte aux populations dévastées, en proie aux groupes armés qui commettent régulièrement des tueries, depuis la chute en mars 2013, de l’ancien président François Bozizé. Elle explique à Afrika Stratégies France (Asf) pourquoi il est crucial que le monde entier agisse face à la crise humanitaire du pays. 

Irma Laura Bafatoro ne dort plus en paix depuis que la Centrafrique est plongée dans une grave crise humanitaire. L’infirmière d’Etat qui exerce en région parisienne, entre toujours dans une grande colère, élevant sa voix grave et posée, lorsqu’elle évoque la situation de la Centrafrique : « Plus rien ne va! Le pays vit dans le chaos et pourtant les autorités font comme si de rien n’était alors qu’il est en grande partie sous le contrôle des groupes armés qui prolifèrent et se confrontent pour le contrôle des

richesses ! », Clame-t-elle à Afrika Stratégies France. Depuis la chute de l’ancien président François Bozizé, en mars 2013, la Centrafrique est toujours engluée dans une grave crise. Bien qu’il y ait eu par la suite une élection présidentielle remportée par Faustin Archange Touadéra, le pays est en proie à de multiples violences entres plusieurs factions de groupes armés. Principalement l’ex-séléka, qui prétend défendre les minorités musulmanes et le groupe d’auto-défense anti-balaka, qui insinue protéger les populations chrétiennes et animistes. Mais le contrôle des ressources minières est le principal enjeu du conflit entre les belligérants. Face à la situation, cette mère de trois enfants,  toujours élégante, fille d’un ancien diplomate centrafricain à l’ambassade de Paris, a décidé d’agir. Depuis plusieurs années, elle se rend chaque été dans le pays pour prêter main forte aux personnel médical, distribuer des médicaments, mais aussi des vêtements, et de la nourriture aux plus démunis. Pour avoir un impact encore plus important, elle décide de créer l’association d’Assistance humanitaire en Centrafrique (AAHC). L’objectif, prendre en charge les orphelins, les femmes enceintes, les personnes du troisième âge ou encore les enfants des rues. « Nos actions consistent à venir en aide aux populations, à assurer leurs besoins alimentaires, en médicaments,  ou encore en vêtements… », explique Irma qui, malgré la gravité de la situation dans son pays d’origine, refuse d’abdiquer.

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Vous venez de créer l’association d’Assistance humanitaire en Centrafrique (AAHC). Comment comptez-vous concrètement vous y prendre pour atteindre vos objectifs dans un pays où l’insécurité règne en maître ?

Pour atteindre nos objectifs, nous comptons mener plusieurs campagnes de sensibilisations sur tout le territoire centrafricain en débutant par la capitale Bangui, suivie d’une sensibilisation au sein de la Diaspora centrafricaine en France,  en Europe et dans les quatre coins du monde, avec l’aide d’internet, des médias, de la télévision, ou encore de la radio. Notre objectif est de faire comprendre au monde entier qu’il y a urgence à soutenir les populations centrafricaines, qui sont totalement livrées à elles-mêmes et démunies dans le pays. Pour le moment, les choses avancent concernant notre travail de sensibilisation. En fin juillet 2019, j’ai effectué un déplacement aux États-Unis, à Washington DC, plus précisément dans la ville de New-York, où j’ai rencontré des partenaires donateurs qui ont sollicité ma présence, afin d’en savoir plus sur mon association pour nous venir en aide.

Quel est votre constat de la situation actuelle, notamment humanitaire et sécuritaire en Centrafrique?

La situation va de mal en pis, plus précisément dans la ville de Bangui, où plus de 16 préfectures sont occupées par les groupes armés, c’est à dire 80 % du territoire, où la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le pays est plongé dans une spirale de violence. Pas plus tard que la semaine passée, dans la localité de Birao, dans l’extrême nord-est, des groupes armés ont tué de nombreux citoyens et brulé des maisons. Pourtant, un accord de paix et de cessez-le-feu en juin 2019 et en octobre 2018 avait été signé par les belligérants à Khartoum, sauf que les violences et les exactions contre les civils n’ont jamais cessé. De nombreuses régions du pays comme la Basse Kotto, le Haut-Mboumou, Ouham et Ouham-Pendé sont victimes d’exactions de ces groupes armés. La population sur place a vraiment besoin des aides humanitaires et d’eau potable pour sa survie dans les zones détenues par les rebelles. Nous sollicitons aussi beaucoup les ONG pour soutenir les populations les plus meurtries dans l’arrière du pays. Pour ma part, je pense que la situation sécuritaire et humanitaire vont de paire et ce sont les premières priorités à instaurer pour que chacun puisse vaquer à ses nombreuses occupations, telles que l’élevage, la pêche, la cueillette, l’agriculture et travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, ce qui n’est plus possible aujourd’hui dans une large partie du territoire.

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Comment la Diaspora centrafricaine en France contribue de son côté à participer à l’apaisement du pays ?

Au sein de la Diaspora de France, il y a de nombreuses associations et des cellules qui ont été mises en place pour soutenir les populations centrafricaines. Malheureusement cela ne suffit pas car il faut beaucoup plus d’apports et de mobilisations dans notre communauté. La communauté centrafricaine en France n’est pour le moment pas suffisamment soudée pour apporter efficacement son apport au redressement de la Centrafrique. Le problème c’est que d’autres profitent du fait que nous soyons divisés pour s’accaparer de nos richesses souterraines (or, diamants, uranium, fer…), et selon moi c’est tout cela qui est aujourd’hui en partie la cause des conflits meurtriers qui se multiplient en Centrafrique. Pourtant, nous sommes un pays extrêmement riche en sous-sol et paradoxalement nous sommes passés du rang d’avant dernier au tout  dernier pays le plus pauvre du monde. A cela s’ajoute le fait que le sang des Centrafricains ne cesse d’être versé. La question qu’il faut se poser c’est à qui profite tous ces crimes ?

Vous accusez aussi régulièrement la communauté internationale, dont vous pointez du doigt l’inaction…Qu’est-ce qui vous met tant en colère?

Aujourd’hui je suis consternée de voir de nombreux pères et mères de famille mourir,  laissant des orphelins innocents à leurs tristes sorts ainsi que des séquelles compromettant leur avenir. Sans compter les viols des jeunes filles innocentes qui  demeurent impunis. Toutes ces victimes ont besoin de prise en charge psychologique. Et tout ce qui se passe est au su et au vu de tous malgré les mises en garde des instances internationales car les violations de cet accord de paix sont de plus en plus nombreuses et pas respectées. Ma plus grande colère est que les droits internationaux humanitaires sont bafoués, et personne ne vient au secours de la Centrafrique qui risque un génocide. Plus d’un million de Centrafricains ont fui les combats et les exactions, espérant trouver refuge dans les pays voisins.

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Vous semblez aussi particulièrement sensible à la situation des enfants de la rue en Centrafrique. Quelles sont leurs principales difficultés au quotidien?

Les enfants de la rue en Centrafrique sont quotidiennement exposés à de nombreux dangers. Ils sont meurtris par les intempéries, le dénuement, les privations,  les maladies et l’indifférence. Et à cela s’ajoute la précarité, la violence, les sévices sexuels, la loi du plus fort qui les exposent aux rencontres et influences les plus nuisibles. Ses enfants fondent leurs espoirs sur le gouvernement centrafricain, les ONG et les associations pour les aider à quitter la rue et à garantir leur avenir. Ses enfants sont retranchés dans les marchés et dans les coins et recoins de Bangui et beaucoup s’adonnent à la toxicomanie au vu et au su de tout le monde. D’autres, pour survivre, doivent transporter les bagages des commerçants depuis le dépotoir, jusqu’au marché. Les conditions dans lesquelles ils vivent sont donc terrifiantes et ne sont pas enviables. Sans compter aussi que beaucoup de femmes dans l’arrière du pays sont toutes devenues veuves, ayant perdu leurs maris, assassinés, dans les tueries. Ces femmes ont aussi été victimes d’agressions sexuelles et de viols tout comme leurs petites filles. Ces dernières ayant survécu à des violences sexuelles sont toujours confrontées à la stigmatisation, au rejet et à d’autres obstacles pour accéder à des services essentiels et à la justice. N’ayant pas de suivi psychologique, elles peuvent à la longue développer des traumatismes à vie.

Propos recueillis par Assanatou Baldé, Afrika Stratégies France

Tribune d'Afrique

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