En Guinée équatoriale, Ciudad de la Paz, luxueuse capitale inaboutie et déserte

Comme une oasis au cœur du désert, Ciudad de la Paz tranche avec la forêt équatoriale environnante. Au milieu d’une nature luxuriante, la ville, dont la construction à partir de rien a commencé il y a une dizaine d’années, n’est que larges avenues goudronnées, villas de luxe et hôtels magnifiques. Mais tous ces bâtiments haut de gamme sont presque entièrement vides, rapporte le quotidien américain The Wall Street Journal, dans une visite déconnectée et solitaire de ce qui devait être la nouvelle capitale de la Guinée équatoriale, selon la volonté de son président, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.

« De larges boulevards et une route périphérique de 35 kilomètres, sans voiture. Des chantiers sans construction. Des immeubles sans propriétaire. Des centres commerciaux sans magasins et des cinémas sans films. » Voilà ce que rapporte le journaliste Michael M. Phillips de cette ville inaboutie, anciennement baptisée « Oyala ». « Ce qui a commencé par un projet visionnaire ou vaniteux, ou les deux, s’est embourbé, laissant là un éléphant blanc dans la forêt d’Afrique centrale », écrit-il encore.

Le président Obiang, à la tête du pays depuis la chute de son oncle, Francisco Nguema, en 1979, a survécu à un coup d’Etat en 2004 et a, depuis, décidé que le gouvernement devait être mieux protégé des attaques venant de la mer. « Nous avons besoin d’un endroit sûr pour mon gouvernement et les prochains », avait ainsi dit M. Obiang à la BBC en 2012.

Les ressources pétrolières et gazières offshore, mises au jour en 1996 dans le golfe de Guinée, ont permis aux rêves de démesure du président équato-guinéen de devenir (presque) réalité. Avant Ciudad de la Paz, M. Obiang avait déjà fait construire une très fidèle réplique de la basilique Saint-Pierre au Vatican, dans sa ville natale Mongomo.

A LIRE AUSSI:   CÔTE D’IVOIRE : Les enjeux de demain

De lourdes accusations de corruption

La fortune du chef d’Etat, âgé de 79 ans, interroge depuis longtemps, rappelle le Wall Street Journal. En 2013, la justice américaine avait accusé son fils, par ailleurs vice-président, d’avoir accumulé une fortune de quelque 300 millions de dollars (260 millions d’euros) grâce à la corruption. Selon ce dossier, ce dernier avait, entre autres dépenses, acheté huit voitures de course Ferrari, sept Rolls-Royces, cinq Bentleys et une maison à Malibu d’une valeur de 30 millions de dollars.

🇬🇶😯Saviez-vous que la Guinée Équatoriale se construit une nouvelle capitale en plaine forêt Équatoriale? Oyala off… https://t.co/nVzr7RTeyB— benjimk (@Benjamin Umba)

Un accord a été signé en 2014, le département de la justice saisissant les revenus issus de la vente de sa maison, une Ferrari et une collection de statues à l’effigie de Michael Jackson. En septembre 2021, près de 27 millions de dollars saisis ont été utilisés pour fournir à la Guinée équatoriale des vaccins contre le Covid-19.

En attendant, une chose est sûre : les rares habitants de Ciudad de la Paz n’ont pas de difficulté à respecter une distance sanitaire suffisante, tant ils sont peu nombreux, noyés dans l’immensité d’une ville à l’arrêt. Depuis une chute des prix du pétrole en 2014, les chantiers ont été stoppés. Le palais présidentiel n’a jamais été achevé non plus. Mais des caméras de surveillance continuent de scruter les angles de chaque rue vide, rapporte le Wall Street Journal« sans qu’on sache si quelqu’un regarde les images ».

L’université afro-américaine d’Afrique centrale est l’une des rares institutions en fonctionnement à Ciudad de la Paz. Des dirigeants disent espérer attirer 500 étudiants cette année, dans une structure faite pour accueillir quelque 5 000 étudiants. Mais l’université est déjà l’objet de controverses alors que le recteur, Dr Said Irandoust, a accusé le régime de nommer des professeurs par affinités politiques ou familiales. Le mois dernier, le ministre de l’éducation l’a estimé « autoritaire » et « arrogant », puis l’a remercié.

A LIRE AUSSI:   Présidentielle en Algérie : cinq candidats retenus, dont deux ex-premiers ministres

Un hôtel vide, « opportunité » de formation

A l’image de l’université, 2 000 personnes résideraient à Ciudad de la Paz, une ville pensée pour accueillir cent fois plus d’habitants. Parmi eux, environ 400 travaillent au Grand Hôtel Djibloho, dont 15 à 20 des 452 chambres sont occupées chaque jour en moyenne. Certains jours, il n’y a même aucun client.

Mais « pour maintenir le moral des équipes, [le directeur de l’hôtel] leur demande d’imaginer travailler dans un hôtel de Madrid, New York ou n’importe quelle autre grande ville », dit le reporter. Il affirme même considérer l’établissement vide comme une opportunité de former les jeunes Africains à l’hospitalité de luxe.

Ciudad de la Paz (Peace City), the new capital of Equatorial Guinea still under construction https://t.co/W6nTm1YD4A— Windancer2706 (@Windancer2706)

Ainsi, le buffet du petit déjeuner est empli de pâtisseries et fruits frais tous les jours. Les greens du golf sont tondus. Les chambres, même la suite présidentielle que M. Obiang n’a jamais occupée, sont nettoyées chaque jour. « On est au milieu de la jungle, explique le directeur de l’hôtel. Si on n’entretient pas, la forêt entrera dans l’hôtel. »

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne:Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

Read Previous

Djibouti : à l’abri des turbulences, IOG peut-il « finir le travail » ?