Crise libyenne : Pourquoi Erdogan se considère en terrain conquis à Tripoli

ISTANBUL, TURKEY – MAY 24 : Turkish President Recep Tayyip Erdogan (R) meets with the Chairman of the Presidential Council of Libya Fayez Mustafa al-Sarraj (L) during a bilateral meeting, held within the World Humanitarian Summit in Istanbul, Turkey on May 24, 2016. (Photo by Kayhan Ozer/Anadolu Agency/Getty Images)

Les Turcs ont crié sur tous les toits qu’ils allaient intervenir militairement en Libye, en appui au gouvernement d’Al Sarraj, reconnu par la communauté internationale, et en vertu de l’accord de coopération militaire que Tripoli et Ankara viennent de signer.

Erdogan laisse entendre que l’intervention turque en Libye est similaire à celle des Russes en Syrie. Les Turcs interviendront pour «éviter le retour de la dictature militaire en Libye». Pareil acte est toutefois lourd de conséquences sur la région.

Depuis la chute d’El Gueddafi en 2011, la Libye ne s’est pas stabilisée malgré la tenue de deux élections, en 2012 et 2014. Lors des deux scrutins, l’islam politique n’est pas parvenu à réunir une majorité. La société libyenne, foncièrement tribale et traditionaliste, considère intruse la doctrine des Frères musulmans. Ces derniers sont néanmoins parvenus, à deux reprises, au pouvoir, en «achetant» des députés du Congrès national général, en 2012, et par les armes, en 2014.

Les groupes armés, proches des Frères musulmans, ont régulièrement fait pression sur les gouvernements basés à Tripoli. C’est le cas également aujourd’hui. Fait nouveau ces derniers mois, alors que les islamistes étaient les plus forts en Libye, militairement parlant, ils trouvent des difficultés pour maintenir, seuls, Fayez Al Sarraj au pouvoir. Misrata, place forte de l’islam politique en Libye, demande des renforts à ses «cousins» turcs, pour la soutenir à rester au pouvoir. Erdogan accourt. N’a-t-il pas dit, une fois, qu’«il y a un million de Turcs en Libye». Il insinue les Misratis, descendants des Ottomans.

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Il est néanmoins vrai que les développements sur la scène libyenne ont favorisé cette option. L’Armée nationale libyenne (ANL) n’est pas parvenue à s’emparer de Tripoli après huit mois de combats, malgré le silence de la communauté internationale. Pourtant, l’ANL dispose d’une suprématie quasi-totale sur les airs et d’un appui logistique important des Egyptiens et des Emiratis, voire même des Français et des Russes. Par ailleurs, le Conseil de sécurité n’a fait aucune déclaration condamnant l’action de l’ANL, à l’issue d’une vingtaine de réunions.

La communauté internationale, notamment les Américains, voyait en Haftar la meilleure carte possible pour protéger l’approvisionnement en pétrole et garantir une attitude ferme contre les terroristes, Libyens et autres, venant d’Afrique subsaharienne. Néanmoins, ces alliés internationaux ne peuvent pas l’attendre indéfiniment. Turcs, Qataris et autres Libyens, proches de Misrata, disposent, eux-aussi, de réseaux influents à Washington, Londres et Rome. L’option de l’intervention turque aurait été envisagée lors du séjour du ministre libyen de l’Intérieur Bachagha, à Washington, en novembre dernier.

Impact

Les opinions algérienne et tunisienne voient d’un mauvais œil cette éventuelle escalade militaire et ses conséquences sur la stabilité régionale. Alger et Tunis ont été les seuls à soutenir, continuellement, une solution négociée, interlibyenne, unique alternative pour stabiliser leur voisin. Les gouvernements des deux pays ne veulent pas d’une présence militaire étrangère susceptible et lourde de conséquences. Il ne s’agit que d’une reproduction de l’exemple syrien. Rien ne saurait empêcher les Turcs de déplacer les brigades de «djihadistes internationaux» pour combattre dans les rangs d’Al Sarraj, faisant ainsi d’une pierre deux coups. La Turquie s’en débarrasse et les «offre» à Al Sarraj, faisant le jeu des lobbies, qui veulent déstabiliser la Tunisie et l’Algérie voisines.

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Pareille alternative nourrit les surenchères dans cette Afrique du Nord, riche en hydrocarbures et tête de pont vers l’Europe. Une présence militaire turque en Libye impacte les pays voisins, notamment l’Algérie et la Tunisie, d’abord, puisque la présence se concentrerait, éventuellement, à Tripoli et Misrata. L’Egypte serait, elle aussi, concernée, agressive qu’elle est à toute présence de l’islam politique sur ses frontières immédiates. La France ne verrait pas, non plus, d’un bon œil cette présence. Une présence qui pourrait donner lieu à une jonction entre Daech, en Libye, et les autres groupes terroristes au Sahel. Les présences militaires occidentales au Tchad, Niger, Mali et Mauritanie, dans le cadre du G5, visent à empêcher cette jonction. L’équation est donc très complexe sur le plan géostratégique.

Source:El watan/Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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