Craintes et espoirs d’un ramadan confiné

Des croyants dans la mosquée Zitouna à Tunis, le 26 octobre 2015. © Mosa’ab Elshamy/AP/Sipa

L’ensemble des pays musulmans a désormais entamé le mois de ramadan. Entre l’état d’urgence sanitaire au Maroc, les couvre-feux généralisés en Algérie et en Tunisie, et les craintes sanitaires et économiques, force est de constater que ce mois sera bien singulier. Et singulier ne signifie pas moins exaltant, ou plus difficile.

Regardons les choses du bon côté. Les couvre-feu décrétés au Maghreb – à partir de 19h au Maroc, 20h en Tunisie, et 17h dans plusieurs régions d’Algérie – devraient enfin être respectés. Traditionnellement, les repas se tiennent à domicile pendant le mois sacré. Il faut s’attendre à ce que les familles soient à leur domicile plusieurs heures avant la rupture du jeûn – aux alentours de 19h dans la région -, pour préparer  l’unique repas de la journée. Une sorte de confinement volontaire. Aucune sortie n’est autorisée dans la soirée. De quoi restreindre sérieusement les contacts – et les contaminations – entre population.

À moins que le ramadan ne réveille des penchants transgressifs ? En Tunisie, certains échafaudent des plans pour braver les interdits et renouer avec les soirées entre amis. Après le classique feuilleton de 20h, les plus jeunes promettent de retrouver leurs copains de quartier même si les cafés sont fermés. D’autres envisagent déjà d’être hébergés chez leurs parents, ou des amis. Pas question pour eux de déroger à la tradition ramadanesque des grandes tablées familiales.

Les chauffards privés de sortie

« Ce sera comme une régression, s’enthousiasme une graphiste (en télétravail). On sera des Tanguy, et le Ramadan, une pyjama party à répétition ! » Elle envie son époux, « oisif par obligation » car contraint au chômage technique, qui aura tout loisir de dormir durant la journée, pour ne se lever qu’à l’heure où le muezzin appelle à passer à table. Pour lui, la faim et la soif ne seront cette année que de mauvais rêves. Et comme lui, des millions de travailleurs sans activité, Covid-19 oblige, ont prévu d’inverser leurs cycles de sommeil. Pour les plus hyperactifs, privés d’activités extérieures, ces « jours sans pain » risquent en revanche de paraître bien plus longs.

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Moins de monde dans les entreprises, moins de monde dans les transports, les rues, les routes… Moins d’accidents de la route ? Les années précédentes, la sécurité routière, dans les trois pays du Maghreb, constatait une recrudescence des accrochages dans les minutes qui précèdent l’appel à la prière. Magie du confinement : les chauffards sont privés de sortie, car la circulation des véhicules est désormais soumise à autorisation. Au Maroc, la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) a constaté une baisse nette des accidents durant les deux premières semaines de l’état d’urgence sanitaire. La tendance devrait se confirmer, puisque le confinement est maintenu jusqu’au 20 mai. De là à dire que le Coronavirus sauve des vies…

À Tunis, les policiers jurent que le nombre de bagarres dans les rues a lui aussi chuté. Comme par effet de vases communicants, les violences conjugales et familiales repartent à la hausse partout en Afrique du Nord. Quelles conséquences à un huis clos couplé à la privation du ramadan ? « Cela va exacerber les crises, les bouffées d’angoisse et autres troubles psychologiques », alerte un médecin tunisien. Les associations craignent le pire et n’osent imaginer les drames qui vont se jouer derrière les portes closes. Maroc, Tunisie et Algérie ont chacun lancé, dès le début du confinement,  un numéro vert dédié à l’écoute des victimes. L’on peut parier que les autorités religieuses prendront leur part, en appelant à la sagesse. ramadan est le mois sacré, celui du regain de spiritualité.

DE NOMBREUX CHARLATANS ET BIGOTS AUTOPROCLAMÉS PROFITERONT DE LA TRIBUNE QUE LEUR DONNE CE MOIS DE CARÊME POUR DISTILLER DES IDÉES RÉTROGRADES

Ici ou là, les fidèles se désolent d’ailleurs que les tarawih du soir ne puissent se tenir. Car pour éviter la promiscuité induite par les prières collectives, les mosquées resteront fermées. En Tunisie, le mufti de la République, après avoir tergiversé, s’est conformé aux instructions du Conseil National de Sécurité : priorité à la santé des citoyens et à la lutte contre la pandémie. Après tout, les rituels ne sont pas que religieux. La décision a néanmoins fortement déplu au Cheikh Farid Béji qui soutient, pour justifier un retour à la normale, que comme toute la oumma (communauté musulmane), les Tunisiens sont immunisés contre les épidémies par la volonté du prophète Mohamed cité dans un hadith.

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L’érudit oublie que la Tunisie n’a été islamisée qu’un demi-siècle plus tard… Par temps de pandémie, rétablir les faits historiques n’est peut-être pas prioritaire, mais il y a lieu de parier que de nombreux charlatans et bigots autoproclamés profiteront de la tribune que leur donne ce mois de carême pour distiller, sur les réseaux sociaux ou à la télévision, des idées rétrogrades voire loufoques, et abuser de la crédulité de croyants soumis à quatre semaines d’anaérobie. Aussi, ne vous étonnez pas de voir déferler dans les jours prochains les promesses de « remèdes miracles » inspirés par d’obscurs « savants », mi-scientifiques, mi-théologiens, 100% escrocs.

Tables frugales ?

Une dernière question me taraude : « Ce ramadan sera-t-il plus sobre que les précédents ? »  En toute hypothèse, les tables devraient être plus frugales puisque les jeûneurs, coincés à la maison, sont moins soumis à la tentation. Rien n’est moins sûr, à en croire les scènes vues les premiers jours. Des marchés et des grandes surfaces ont été envahies par des chalands peu respectueux du principe de distanciation. Les bousculades pour faire des emplettes laissent présager d’un pic de contamination sous quinzaine. À moins que les Tunisiens ne soient protégés par l’onction de Dieu, tel que l’assure Cheikh Farid Béji.

Une telle onction serait bienvenue pour les commerçants et les petits artisans, qui contre leur gré, se plient aussi aux nouvelles règles et y laissent des plumes. « Si on revient à la normale après ramadan, j’aurai perdu deux mois de travail », souffle la propriétaire d’une pâtisserie. « Dès la fin du confinement, on retournera à la vie normale et on se rattrapera », veut croire une secrétaire, en manque de ses amies. Pas sans une période de transition : ceux qui ont fait carême d’une vie sociale depuis le 22 mars devront de nouveau s’habituer aux autres.

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Source : Jeune Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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