COTE D’IVOIRE : La présidentielle, l’indifférence et la peur des vieux démons

Les manifestations contre le 3e mandat ont enflammé tout le pays alors qu’en dix ans, Alassane Ouattara a un bilan élogieux

A une semaine de l’élection présidentielle sans grands enjeux, deux des quatre candidats maintiennent l’appel à la désobéissance civile alors que Kouadio Konan Bertin (Kkb), en lice face au président sortant, se concentre dans son fief du centre du pays. Si dans leur grande majorité et compte tenu de la mise à l’écart par le Conseil constitutionnel des poids lourds, les ivoiriens semblent indifférents, la peur des vieux démons n’aura jamais été aussi forte pendant que Guillaume Soro, depuis son exil français brandit la menace de la perturbation. Reportage !

Samedi 24 octobre au soir. Cocody Ambassade, quartier cossu d’Abidjan. Devant la Résidence officielle qu’il occupe depuis sa réhabilitation, quelques années après le putsch militaire qui l’a emporté en 1999, le calme règne. De chaque côté de l’entrée principale, deux chapiteaux et quelques chaises en plastique. Pas d’affiches, pas de gadgets, pas de foule de campagne. Une petite poignée de personnes tient la garde. A l’intérieur, des rencontres entre les opposants se succèdent. Autour du vieux Sphinx qui, à 86 ans, entend incarner l’ultime opposition à Alassane Ouattara, Affi Nguessan, l’autre candidat et Mabri Toikeuse ainsi que Marcel Amon-Tanoh, ex alliés du pouvoir de même que Mamadou Koulibaly, farouche opposant à la majorité font bloc. Soutenus à distance par Soro qui met généreusement la main à la poche, ils appellent à la désobéissance civile et après quelques incidents, le décès Sidiki Diakité, le ministre en charge du scrutin a entrainé une trêve d’occasion. Si les chancelleries occidentales recommandent le départ du personnel non indispensable, la peur d’une guerre comme dix ans plus tôt est dans tous les esprits. La fièvre de la panique est palpable chez les habitants de la capitale économique, Abidjan. Alassane Ouattara qui multiplie ses rings de pics ironiques à l’encontre des « boycottistes » résiste, par la sourde oreille, à tout appel à des concessions.

Une mort subite qui hante la campagne

Vendredi après midi, en plein meeting au palais de la Culture de Treichville dans le district d’Abidjan, Hamed Bakayoko reçoit un appel. Il se retire, parle au téléphone un bon moment puis semble égaré. Sidiki Diakété est mort d’une crise cardiaque.  La mauvaise nouvelle vient de tomber. Le Premier ministre a rendu officielle l’information pendant le meeting. Le ministre de l’administration territoriale qui a en charge la présidentielle est un très proche du président Ouattara. Le Rassemblement des houphouëtises pour la démocratie et la paix (Rhdp, majorité) a d’ailleurs suspendu sa campagne pour trois jours de deuil. Ouattara qui, peut avant, avait accordé au quotidien français une interview de va-t-en-guerre contre ses opposants est effondré. En attendant, le président-candidat qui ne fera que deux grands meetings, prudent  face au Covid-19 digère ce qu’il appelle « un coup dur ». Celui qui n’est candidat qu’à la suite du décès de son dauphin et ex Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, perçoit sa prochaine victoire comme « un hommage » à ses compagnons « qui nous quittent au mauvais moment ». Au sein de la majorité où on camouffle les inquiétudes et incertitudes qui planent sur la présidentielle du 31 octobre prochain, cette mort hante les esprits même si, dès lundi, la campagne reprendra pour sa dernière phase.

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Le souffre de la désobéissance et l’omniprésence de la majorité

Les manifestations contre le 3e mandat du président ivoirien et l’appel à la désobéissance civile ont fait une quarantaine de morts dans tout le pays. « Nous irons jusqu’au bout et empêcherons le scrutin par tous les moyens » s’époumone Pascal Affi Nguessan. Le patron de la branche tolérée du Front populaire ivoirien (Fpi de Laurent Gbagbo) se rend chaque jour au domicile de Henri Konan Bédié, devenu le symbole de la contestation. Selon diverses sources, les deux candidats se désisteront à la veille du scrutin. Ils ne font d‘ailleurs pas campagne, laissant le champ libre aux envahissantes affiches du président Ouattara qui, d’Abodo à Adjamé, de Yopougon à Port-Bouet, de Bingerville à Anyama, sont partout. Au milieu d’elles, celle de Kouadio Konan Bertin qui est en campagne de proximité avec des moyens plutôt modestes. S’il sort peu, Ouattara peut compter sur ses piliers de campagne. Adama Bictogo, le directeur exécutif du Rhdp ne manque aucune occasion de s’en prendre aux adversaires, parfois violemment. A Daloa (400 Km d’Abidjan) Mamadou Touré a élu domicile et multiplies des rencontres, ciblant la jeunesse. Le ministre de la promotion de la jeunesse est partout d’autant qu’il est responsable de la campagne des jeunes pour le compte de son candidat. Kobénan Kouassi Adjoumani, ministre de l’agriculture et principal défenseur du 3e mandat est sur tous les fronts. Patrick Achi, secrétaire général de la présidence est le principal concepteur du projet de société dont il explique les détails à l’occasion, à travers de nombreuses séances d’échanges. Une véritable machine de guerre qui fait ombrage au seul « vrai » adversaire, Kouadio Konan Bertin qui a opté pour la proximité.

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Kkb, l’ultime rempart d’un scrutin très controversé

Il avait été 4e lors de la présidentielle de 2015 et n’entend pas, cette fois-ci, faire la politique de la chaise vide. Le retrait probable d’Henri Konan Bédié devrait profiter à cet ancien député de Port-Bouët, quartier populaire qui abrite, à proximité d’Abidjan, l’immense base militaire française. A Béoumi et à Bouaké (centre) ce weekend, le candidat indépendant a mobilisé plus de foules que dans ses précédents meetings. A 52 ans, Kouadio Konan Bertin n’a pas « pour l’instant » l’intention de boycotter. Son mot d’ordre est « la paix« . Grand admirateur du premier président Félix Houphouët-Boigny, il veut marcher sur les pas de son ex mentor. Kkb accuse d’ailleurs le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) auquel il appartient toujours d’avoir été « en alliance avec le parti au pouvoir pendant huit ans (de 2010 à 2018, Ndlr) ». Pour ce germanophile qui déteste la langue de bois, « ils sont tous responsables » de l’état du pays. Après le sud du pays, il fait sa campagne en montant progressivement vers le nord. Il sera dans les prochains jours à Korogho, dans le fief de Ouattara. A côté de la politique traditionnelle, Kkb veut profiter des doutes pour faire passer son message, « une autre Côte d‘Ivoire est possible« , celle qui selon lui, profitera à tous. Ce fils de paysan qui se définit comme un planteur place l’agriculteur et l’autosuffisance alimentaire au cœur de son projet de société. S’il se retire, cette présidentielle déjà trop controversée en prendra le coup. Car, si le président sortant devient l’unique candidat, le processus électoral reprendra au point de départ.

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Les vieux démons font le guet dans l’inconscient collectif

« Je ne pense pas à cette élection » se laisse aller le chauffeur de taxi qui nous ramène de Sofitel Hôtel Ivoire à notre résidence. A 55 ans, Yacouba semble totalement indifférent. « C’est comme si Alassane était le seul candidat » insiste celui qui reconnaît que le président sortant a relevé l’économie du pays. « C’est une raison de plus pour sortir par la bonne porte » fit-il, en vœux pieux. « Regardez-vous-même, on ne se croirait pas en campagne » regrette-t-il pendant que nous traversons Rivera 3 où presqu’aucun signe de campagne n’est visible. Comme lui, ils sont nombreux à souhaiter que Ouattara ne se représente pas alors qu’il achève deux quinquennats à la tête du pays. Mais dans tous les esprits, l’indifférence fait de plus en plus place à l’inquiétude. Les ambassades des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne et du Japon ont appelé les ressortissants dont la présence n’est pas indispensable en Côte d’Ivoire à quitter le pays. Du côté de Paris, on évalue les moyens d’évacuation en cas de conflits. Depuis la semaine dernière, une cellule au Quai d’Orsay y travaille ardemment en accord avec l’ambassade. Emmanuel Macron qui a vainement tenté de dissuader son ami d’être candidat lors d’une rencontre début septembre à Paris craint que l’issue du scrutin ne plonge le pays dans le chaos. Usant de ses réseaux, Guillaume Soro, qui était en lobbying à Bruxelles récemment amplifie les peurs et alerte la communauté internationale. L’ex rebelle persiste dans ses macabres pronostics, « nous allons vers le pire » prévient celui qui n’a quitté la majorité présidentielle que depuis une année.

MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial de Afrika Stratégies France, à Abidjan

Tribune d'Afrique

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