Cameroun : pourquoi les enseignants poursuivent leur bras de fer avec le gouvernement

Le mouvement de grève des enseignants dure depuis le 21 février. Pourquoi le blocage perdure malgré les mesures annoncées par le gouvernement ? Quelles sont leurs revendications ? Décryptage.

Des élèves en uniforme qui battent le pavé en soutien à leurs enseignants absents des salles de classe depuis bientôt trois semaines : ces scènes qui se sont jouées le 7 mars à Douala, Ebolowa (sud) ou Mora (extrême-nord), sont le dernier acte du mouvement national de grève qu’observent, depuis le 21 février dernier, les enseignants affectés à l’éducation de base et au secondaire à travers le Cameroun.

« On a trop supporté  » (OTS), du nom du collectif constitué au début du mouvement, a lancé une « opération craie morte » qui ne cesse de gagner en intensité. Contrairement aux bruyantes manifestations des enseignants anglophones de 2016, qui avaient conduit à des affrontements avec les forces de sécurité avant de se transformer en crise socio-politique, les adhérents du collectif OTS ont fait le pari d’observer un mouvement pacifique : ils rejoignent leurs lieux de services tous les matins mais refusent de dispenser la moindre leçon.

Un mouvement sans leader

Le collectif n’a aucun leader connu : les communiqués signés par une trentaine d’enseignants au début de la grève ne comptent plus aujourd’hui que trois numéros de téléphone auxquels répondent des interlocuteurs qui insistent pour garder l’anonymat.

« Ce n’est pas la première fois que nous défendons ces revendications, explique au téléphone l’un des porte-parole d’OTS. Nous gardons l’anonymat pour éviter que certains, parmi nous, ne subissent seuls le courroux de l’administration, ou qu’ils puissent être achetés, comme cela a malheureusement trop souvent été le cas par le passé. »

LE COLLECTIF DE GRÉVISTES DÉFEND LA NÉCESSITÉ D’ORGANISER DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ÉDUCATION

La tactique, pour l’heure, semble s’avérer payante. Les enseignants grévistes reçoivent de nombreux soutiens au sein de la population et même certains acteurs politiques montent au créneau. « Aucun avenir radieux n’est possible au Cameroun sans un système éducatif de qualité. Nous soutenons la nécessité d’organiser des états généraux de l’Éducation », ont ainsi écrit une dizaine d’opposants dans une tribune publiée le 3 mars.

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Réveil des autorités

Au fil des semaines, la grève des enseignants est devenue une crise sociale d’envergure que les autorités camerounaises, après avoir longtemps repoussé l’échéance, tentent de juguler. Ce lundi 7 mars, le président Paul Biya a demandé que soit débloqué en urgence le verrou de précaution budgétaire des administrations publiques de 20% de leurs crédits destinés à l’achat des biens et services.

Le but ? Répondre le plus rapidement possible aux revendications des grévistes. Ce sont pas moins de 2,7 milliards de F CFA qui ont ainsi été mis sur la table par le gouvernement, qui doivent servir à payer des arriérés de primes de correction d’examen qui datent de 2020. En parallèle, Joseph Le, le ministre de la Fonction publique, a mis en place une task force chargée de travailler sur les desiderata des enseignants.

LES RAISONS PROFONDES DE LA GROGNE SONT À CHERCHER DANS LE PROCESSUS DE RECRUTEMENT DES ENSEIGNANTS

Une avancée saluée par nombre d’entre eux mais que beaucoup jugent encore insuffisante. Le paiement des arriérés de primes de correction n’est qu’une des vingt revendications listées par le collectif OTS. Outre les compléments de salaires restant dûs par l’État, les enseignants réclament également la prise en compte de tous ceux qui sont encore en attente. Au total, l’enveloppe globale tournerait plutôt autour des 181 milliards de F CFA.

Les raisons profondes de la grogne sont à chercher du côté du processus de recrutement des enseignants. Au Cameroun, ils sont formés pendant 3 à 5 ans dans des écoles d’État. À leur sortie, ils sont affectés dans différents établissements et doivent soumettre à l’administration un dossier d’intégration pour être pris en compte dans la masse salariale de l’État. Un processus qui prend du temps : jusqu’en 2008, un enseignant nouvellement affecté pouvait ainsi attendre jusqu’à deux ans avant de percevoir ses premiers émoluments.

NOS COLLÈGUES SE RETROUVENT À PASSER DIX ANS SANS LE MOINDRE SALAIRE OU PRESQUE

Face aux inconvénients de cette situation, décision avait été prise par le ministère de la Fonction publique d’instaurer un nouveau système : les enseignants perçoivent une avance sur solde correspondant aux deux tiers de leur salaire, en attendant que leurs dossiers d’intégration soient traités et qu’ils reçoivent – enfin – le complément de salaire. Mais là encore, le système censé fluidifier la situation a encore alourdi un processus déjà à la peine.

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En position de force

« Nos collègues sortent des instituts de formation, sont affectés sur le terrain mais se retrouvent à passer dix ans sans le moindre salaire ou presque. Ceux qui reçoivent les deux tiers de leur salaire n’ont jamais de compléments de solde ; à cela s’ajoute l’absence d’avancements et de primes », insiste le membre du collectif OTS précédemment cité.

« Je suis à ma onzième année sans avancement, sans primes de logement. À chaque fois, on nous fait des promesses qui n’aboutissent jamais. Et lorsqu’on se rend dans les bureaux du ministère, nos collègues fonctionnaires nous rackettent parfois jusqu’à 15% de notre dû pour faire avancer nos dossiers ! » vitupère Jeanette Fouda, prof de français à Yaoundé.

Lors de la précédente grève, en 2019, une réunion organisée avec les autorités avait permis de dresser l’état des lieux du secteur. On dénombrait alors 6 547 dossiers d’avance de solde, 19 862 dossiers d’actes de carrière, 501 indemnités de non logement, 419 prestations familiales, 550 indemnités de sujétion et 3 423 états de sommes dues en attente d’un déblocage des fonds du ministère des Finances.

Le gouvernement avait alors engagé établi un échéancier de règlement de cette dette mais le processus s’est progressivement grippé. Au début de l’« Opération craie morte », les autorités ont évoqué la gestion de la pandémie et la crise dans les régions anglophones du pays pour justifier ces retards.

Inflation galopante

Les enseignants, eux, campent sur leur position. Outre le règlement des retards, ils réclament la revalorisation de leurs salaires et des primes supplémentaires pour faire face à l’inflation galopante. Ils demandent aussi la définition d’un statut de l’enseignant. À quelques mois de l’organisation des examens de fin d’année, ils sont en position de force dans les négociations. Les efforts déployés par le gouvernement sont là pour le prouver.

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Source: Jeune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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