Au Soudan du Sud, la mise en œuvre laborieuse de l’accord de paix

Le président du Soudan du Sud Salva Kiir (à droite) et l’ancien vice-président et principal opposant Riek Machar à Juba,

Le président Salva Kiir et son principal opposant Riek Machar se sont dits prêts à former un gouvernement d’union en novembre.

Les sourires et les poignées de main chaleureuses échangés par les deux rivaux du Soudan du Sud, le président Salva Kiir et son principal opposant et ancien vice-président Riek Machar, sur le parvis du palais présidentiel à Juba, le 11 septembre, augurent-ils d’un nouveau souffle pour la mise en œuvre de l’accord de paix censé mettre fin à une guerre civile de plus de cinq ans, mais très en retard sur son calendrier ?

La scène s’est déroulée à la suite de deux réunions en tête-à-tête des dirigeants ayant pour objectif, selon la présidence, « d’accélérer » la mise en œuvre de cet accord. Signé le 12 septembre 2018, celui-ci doit permettre de résoudre un conflit ayant fait près de 400 000 morts et plus de 4 millions de déplacés depuis 2013. Un premier accord avait échoué en juillet 2016, avec l’affrontement entre les forces armées de l’opposition et celles du gouvernement, au cœur de la capitale, après le retour de Riek Machar à son poste de vice-président. Ce dernier avait sauvé sa peau de peu et fui, à pied, jusqu’à la République démocratique du Congo. L’accord « revitalisé » de 2018 prévoit le cantonnement des troupes rebelles et la création d’une nouvelle armée unifiée, ainsi que la formation d’un gouvernement d’unité nationale initialement prévue pour le mois de mai, puis reportée de six mois.

A l’issue de leur rencontre, les deux dirigeants se sont engagés à respecter l’échéance du 12 novembre pour former le gouvernement transitoire d’unité. A Juba, l’envoyé spécial pour le Soudan du Sud du bloc régional d’Afrique de l’Est IGAD, Ismail Wais, s’en félicite et explique que « toutes les questions en suspens ont été discutées : les arrangements sécuritaires, le nombre d’états [régionaux], la formation du gouvernement et la dissémination de l’accord de paix. C’est la première d’une série de réunions pour débloquer le processus ».

« Nous avons tiré les leçons du passé »

Lors d’un briefing le 12 septembre pour la communauté diplomatique à Juba, la ministre des affaires étrangères sud-soudanaise, Awut Deng, a aussi loué « l’état d’esprit, l’atmosphère décontractée » des rencontres, et souligné « l’immense progrès accompli » dans la mise en œuvre de l’accord. « Le cantonnement a déjà commencé, l’enregistrement [des soldats] s’est très bien passé dans certains sites », a-t-elle indiqué.

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Selon les données disponibles à ce jour, le progrès accompli ces derniers mois est indéniable, mais reste bien en deçà des ambitions fixées. Sur les trente-cinq sites de cantonnement identifiés, seuls dix sont opérationnels, c’est-à-dire équipés en électricité, en nourriture ou encore en services médicaux, pour accueillir les combattants de l’opposition, ainsi que deux casernes, pour ceux du gouvernement. Un nombre important de troupes de l’opposition aurait déjà été cantonné, mais aucun chiffre n’est pour l’instant connu. L’objectif fixé par l’IGAD est d’avoir au moins 50 % des 83 000 soldats de la future armée unifiée non seulement cantonnés (ou casernés), mais aussi sélectionnés, formés et redéployés d’ici à fin septembre

« Le calendrier ne sera probablement pas tenu, mais cela n’empêche pas la formation d’un gouvernement », considère Alan Boswell, de l’International Crisis Group, qui ajoute que « former une nouvelle armée pour novembre est impossible ». Celui-ci prévient cependant du potentiel explosif de la coexistence de troupes ennemies dans la capitale : « Il faudra que les leaders prennent des mesures pour éviter que les forces entrent en confrontation. »

Autrement, le risque est de voir le Soudan du Sud se diriger vers la répétition du scénario de 2013 et 2016, lorsque les rivalités entre Salva Kiir et Riek Machar ont dégénéré en combats entre leurs troupes respectives, plongeant dans la guerre le pays tout entier. « Nous avons tiré les leçons du passé », assure M. Wais, l’envoyé spécial de l’IGAD. « Il va y avoir une unification des forces, pas une intégration, nuance-t-il. Elles répondront à une seule chaîne de commandement. » Il se réjouit de la reconstitution récente de la commission pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR), chargée des soldats qui doivent retourner à la vie civile. Enfin, souligne-t-il, « de l’aide arrive ». L’Egypte a récemment fait don de tentes et d’uniformes, la Chine a fourni de la nourriture et d’autres pays « explorent » des façons de soutenir le processus.

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Le cessez-le-feu semble tenir bon

« Le manque de ressources affecte tous les mécanismes de mise en place de l’accord », estime Rajab Mohandis, de l’Organization for Responsive Governance et représentant de la société civile dans la commission RJMEC, qui supervise le processus. Il témoigne cependant des « excellentes interactions » entre les militaires du gouvernement et ceux de l’opposition au sein des différentes commissions en charge de la mise en œuvre de l’accord, qui travaillent depuis près d’un an à Juba. « Du côté militaire, les commandants coopèrent très bien, et il n’y a pas eu d’incident de harcèlement de l’opposition à Juba comme cela avait été le cas en 2016 ». Après les rencontres de cette semaine entre Riek Machar et Salva Kiir, il croit donc fermement qu’il faut « conserver cet élan ». Au-delà de la démonstration de bonne volonté des deux dirigeants, très peu de détails ont filtré sur le contenu précis de leurs discussions en tête-à-tête.

Sur le terrain, le cessez-le-feu semble tenir bon. Mais des incidents impliquant les non-signataires de l’accord se sont produits récemment, avec notamment l’attaque de positions gouvernementales près d’Aweil, dans le nord du pays, par des forces du général Paul Malong, l’ancien chef de l’armée sud soudanaise, entré en rébellion en 2018. Début septembre, des affrontements près de la ville de Yei, dans le sud, ont par ailleurs provoqué la fuite de plus de 230 habitants, selon les autorités locales.

Malgré l’incertitude, le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) observe une tendance au retour des réfugiés. Au mois d’août, 15 944 personnes sont revenues spontanément au Soudan du Sud, majoritairement du Soudan et de l’Ouganda voisins. Un total de 209 071 personnes sont, selon les rapports, revenues d’exil ces derniers mois.

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Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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