Au Mozambique, des élections générales sous haute tension

Mozambicans walk past election posters ahead Tuesday’s provincial and legislative elections, in Maputo, Mozambique, October 11, 2019 REUTERS/Grant Lee Neuenburg – RC1B75D37B10

Alors que le pays devrait devenir dans les prochaines années un géant gazier, les scrutins du 15 octobre sont un test pour la paix signée entre le pouvoir et l’opposition.

La photo a déjà jauni et menace d’être rangée dans l’album des espoirs déçus. Elle n’a pourtant que deux mois. Le 6 août, le président Filipe Nyusi et le chef de l’ancienne rébellion de la Résistance nationale mozambicaine (Renamo), Ossufo Momade, avaient scellé à Maputo une paix qui promettait d’être « définitive ». Dignitaires du continent et diplomates occidentaux étaient alors venus applaudir cette réconciliation de façade et ses embrassades de circonstance.

L’objectif de ce nouvel accord était, comme en 1992 et en 2014, d’amener les deux camps qui se sont livrés à une terrible guerre civile entre 1976 et 1992 à enterrer une fois pour toutes leurs armes en offrant à chacune des parties la possibilité d’obtenir des pans de pouvoir et donc un accès aux richesses.

A Maputo, la capitale entièrement pavoisée de rouge, la couleur du Front de libération du Mozambique (Frelimo) au pouvoir depuis les quarante-quatre années d’indépendance, personne n’envisage sérieusement une défaite du président sortant. Le premier enjeu des élections générales – présidentielle, législatives et provinciales – qui doivent se tenir mardi 15 octobre est de permettre à la Renamo d’abandonner la guérilla et d’achever sa transformation en parti politique.

Cela pourrait aller de soi. Depuis la fin de la guerre froide, le Frelimo a su au-delà de toutes les espérances opérer sa conversion d’un parti marxiste en champion du capitalisme. Les avenues Lénine ou Kim Il-sung servent désormais à mesurer les accélérations des bolides des bien nés. « C’est paradoxal, mais le Frelimo est devenu le parti des élites qui ne jurent que par une économie de marché mondialisée, alors que la Renamo, qui fut soutenue par le régime d’apartheid sud-africain, est devenue celui des va-nu-pieds », constate un fin connaisseur du pays.

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Un niveau de violence inquiétant

Le pouvoir saura-t-il céder une partie de ses prébendes à son ennemi historique ? L’avenir de l’accord de paix est intimement lié à cette question. Pour renoncer à sa logique de « négociation armée »avec le gouvernement et permettre l’intégration de ses 5 221 maquisards officiellement recensés dans les forces de sécurité, la Renamo a obtenu que les gouverneurs des dix provinces soient désormais élus.

Plusieurs observateurs étrangers estiment qu’en deçà de trois à quatre postes récupérés par l’opposition, le plan de paix pourrait être menacé. Ce dernier laisse par ailleurs d’épineuses questions en suspens. Qui du gouverneur ou du secrétaire d’Etat nommé par Maputo gérera la police locale ou les budgets de la province ? Malgré une campagne qui lui a permis de mesurer sa popularité – ou l’impopularité du Frelimo –, Ossufo Momade est contesté dans son propre camp par une « junte militaire » qui juge les élections précipitées et entend renégocier l’accord signé.

Plus inquiétant est le niveau de violence qui a entouré la campagne. « La pire depuis 1994 » et les premières élections multipartites, jugent nombre de membres de la société civile. Celle-ci a en effet été émaillée d’affrontements entre militants, d’empêchements de tenir meeting au dernier moment, d’intimidations régulières, d’agressions de candidats. Selon le Centre pour l’intégrité publique, sept personnes ont été assassinées durant les quarante-trois jours de campagne.

Le meurtre le plus significatif est celui, le 7 octobre, d’Anastacio Matavele, le directeur d’un forum d’ONG dans la province de Gaza qui escompte observer les élections. Il a été abattu au volant de sa voiture par une escouade de cinq agents d’une unité spéciale de la police, confondus après avoir provoqué un accident dans leur fuite. Le lieu de l’exécution n’a rien d’anodin.

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« La fraude a été préparée en amont »

Cette province est un bastion du pouvoir qui a vu « par miracle » son nombre d’inscrits sur les listes plus que doubler en cinq ans. Le nombre de sièges de députés à pourvoir y est passé de 13 à 22, quand celles de Nampula et Zambézia, réputées favorables à l’opposition, en ont perdu 6. Plusieurs sources évoquent la présence de 300 000 électeurs fantômes à Gaza. Le chef de l’Institut national des statistiques avait démissionné après le recensement sans que cela ne provoque la moindre correction au niveau de la Commission électorale.

« La fraude a été préparée en amont et le Frelimo va gagner car il contrôle tous les organes électoraux. L’assassinat d’Anastacio Matavele était un avertissement à tous ceux qui veulent contester sa victoire. La seule raison de cette violence et de ces tricheries est qu’il ne veut surtout pas lâcher le pouvoir au moment où nous venons de signer d’énormes contrats gaziers. D’autant qu’il sait que, si l’opposition l’emporte, elle mènera la même politique d’exclusion », dénonce Domingos de Rosario, qui coordonne une plate-forme de surveillance des élections

Dimanche, 3 000 de ses 7 200 observateurs déployés dans le pays attendaient encore leur accréditation. M. de Rosario craint que, dans ces conditions, « la seule réponse possible pour l’opposition est la violence ». L’analyse est à peine démentie pas Ivone Soares, la cheffe du groupe parlementaire de la Renamo et nièce du leader historique, Afonso Dhlakama, mort en 2018. Selon elle, « la paix n’est pas encore solide. Si les élections sont truquées, les Mozambicains décideront de ce qu’il doit advenir ». A moins que l’argent vienne apaiser la colère.

« C’est le nouvel Angola »

Car, aujourd’hui, le Mozambique s’approche d’une transformation économique majeure. D’ici à 2023, ce pays d’Afrique australe devrait progressivement entrer dans le club des premiers exportateurs mondiaux de gaz naturel. « C’est le nouvel Angola avec, en plus, un avantage géographique : sa façade maritime sur l’océan Indien qui lui permet d’alimenter facilement toute l’Asie », s’enthousiasme un acteur du secteur. « Dès l’an prochain, on peut s’attendre à un décollage de malade ! Rien que le projet d’Exxon Mobil [sur les trois existants] représente plus que l’ensemble des projets industriels lancés depuis l’indépendance », ajoute un homme d’affaires installé sur place.

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Le projet mené par l’italien ENI devrait être le premier à être opérationnel.Enfin, Total est devenu fin septembre le principal actionnaire du troisième projet, Mozambique LNG, en rachetant les parts de l’américain Anadarko pour quelque 3,5 milliards d’euros. Le consortium auquel appartient la major française prévoit d’investir plus de 20 milliards d’euros.

Sur les trente prochaines années, le Mozambique pourrait ainsi engranger plus de 100 milliards d’euros. De quoi rembourser la dette de deux milliards de dollars contractée secrètement en 2013 sous la précédente présidence et qui a plongé le pays dans la crise mais aussi aiguiser les appétits des barons du régime toujours aux commandes. Ainsi, le vieux général Chipande, considéré comme le parrain politique du président Nyusi, est devenu un incontournable du secteur gazier. Les deux hommes sont originaires de la province de Cabo Delgado, là où se concentrent les champs et où, depuis deux ans, sévit une mystérieuse rébellion islamiste.

Après avoir nié le problème, les autorités ont annoncé lors des derniers jours de la campagne avoir lancé une offensive contre les insurgés. « Nous n’avons pas encore une photo complète de qui ils sont et pourquoi ils se battent, mais la sécurité des exploitations est une nécessité fondamentale pour que nos populations puissent bénéficier des retombées économiques », justifie Patricio José, le vice-ministre de la défense.

Source: Le Monde Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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