Agenda 2030 : l’Afrique à l’aube de sa transformation

A dix ans de l’échéance du programme onusien sur le développement durable, le Continent accélère le rythme malgré de grandes disparités et d’importants soucis de financement.

Intégration, prospérité, stabilité. Trois notions clés qui résument le portrait-robot de l’Afrique de 2030, conformément à la position commune des 54 États du Continent retenue lors de l’adoption en 2015 des objectifs onusiens de développement durable (ODD). Aujourd’hui, quatre ans plus tard et à dix ans de l’échéance, institutions et décideurs ne conjuguent qu’un seul verbe : accélérer. « Si l’Afrique ne réalise pas les ODD, le monde ne réalisera pas les ODD », confiait en septembre dernier le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, au président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina.

Pour ce dernier, « le temps presse ». « Je suis pleinement convaincu qu’avec un changement de rythme, impulsé par un sentiment d’urgence accru et par la responsabilité collective à l’échelle mondiale, l’Afrique peut atteindre les objectifs de développement durable », positive le patron de la BAD, lors d’une rencontre de haut niveau entre les deux institutions.

La transformation économique structurelle du Continent est le premier pilier défini par l’Afrique dans sa course vers les ODD, étroitement aligné sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA). Ce processus de transformation intègre les volets cruciaux de l’industrialisation, de la modernisation de l’agriculture et le développement du secteur tertiaire. Tout cela en vue de parvenir à une croissance économique rapide, diversifiée, stable, résiliente, durable et inclusive, établie à 3,2 % en 2018, contre 3,4 % en 2017, selon les données de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) qui prévoit une hausse de 3,4 % en 2019 et de 3,7 % en 2020. Une croissance robuste et inclusive permettrait au Continent de sortir des filets de la dépendance des marchés internationaux des matières premières.

croissance graphe afrique

Les experts estiment que si cette transformation économique s’opère dans les règles de l’art, l’incidence sur les autres piliers du développement durable de l’Afrique, dont l’éducation ou la santé, serait « automatiquement » positive. Où en est l’Afrique à ce jour ?

Globalement, les principales instances multilatérales et panafricaines s’accordent sur les progrès du Continent. Dans les détails cependant, des disparités plus ou moins importantes sont observées. Certaines économies africaines affichent aujourd’hui les croissances les plus rapides et les plus élevées au monde. Et selon l’OCDE, 26 pays se sont déjà dotés d’une stratégie nationale d’industrialisation. Ce qui a attiré notamment les grands constructeurs automobiles mondiaux, tels Peugeot ou Volkswagen, suscitant l’espoir de voir un jour en Afrique une industrie automobile forte et créatrice de richesse.

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Stagnation ou amélioration modérée

L’autre contributeur important à la métamorphose de la sphère économique africaine n’est autre que l’entrepreneuriat. Avec 22 % de la population d’âge actif créatrice d’entreprises, le Continent affiche le taux d’entrepreneuriat le plus élevé au monde, d’après l’OCDE. Par ailleurs, le rapport du Centre des ODD pour l’Afrique (SDGCAfrica) publié en juin 2019 place 35 pays à 50 % et plus sur la voie d’atteindre les ODD d’ici 2030. En tête, l’île Maurice (66 %), la Tunisie (66 %), l’Algérie (65 %), le Maroc (64 %) et le Cap-Vert (64 %). En revanche, la RDC (41 %), la Somalie (40 %), le Tchad (38 %), la Centrafrique (36 %) et le Soudan du Sud (29 %) arrivent au bas du tableau. Concernant la croissance notamment, la majorité des pays africains ont stagné ou connu une amélioration modérée.

En matière d’industrie, d’innovation et d’infrastructures, seule l’Algérie s’est maintenue sur la bonne voie vers la réalisation des objectifs de développement, tandis que 20 pays affichent une amélioration modérée et 31 pays stagnent. Ceci étant, les experts projettent que la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continental (Zleca) booste la transformation économique du Continent, car la chute des barrières économiques et frontalières dans un contexte de montée en puissance de la classe moyenne agrandirait les marchés, multipliant les opportunités pour les investisseurs et les entreprises. Ce qui favoriserait la diversification économique tant recherchée par la majorité des économies africaines qui s’épanouissent encore au gré des marchés mondiaux des matières premières.

D’ores et déjà, un pays comme la Côte d’Ivoire apparaît comme le pays au plus fort potentiel de croissance commerciale future au monde, selon le Trade20 Index de Standard Chartered.

La région est encore loin du compte

Pour réaliser les objectifs de développement durables, notamment en matière de transformation économique, les 54 pays d’Afrique ont un énorme besoin en financements. L’OCDE évalue les investissements nécessaires à 30 % à 35 % du PIB du Continent. Guido Schmidt-Traub, directeur exécutif du Sustainable Development Solutions Network (UNSDSN), a été l’un des premiers à travailler sur le besoin de financement de l’Afrique en 2015. Il a évalué à entre 614 et 638 milliards de dollars le montant supplémentaire nécessaire chaque année, pour que l’Afrique réalise l’Agenda 2030.

Difficile d’obtenir une estimation des sommes mobilisées à ce jour par l’ensemble du Continent. Mais selon cet expert, la région est encore loin du compte. « Nous estimons dans notre dernier rapport que sur les dix ans qui viennent, en moyenne, les pays africains devraient remonter la mobilisation des ressources internes par l’équivalent de 5 % de leur PIBexplique Guido Schmidt-Traub. C’est un montant considérable et, aujourd’hui, les pays africains, en moyenne, n’ont pas atteint cette somme. Il y a encore des efforts supplémentaires à réaliser. À ce jour, l’Afrique n’est pas sur la bonne voie pour mobiliser rapidement assez de ressources financières nécessaires pour financer les ODD, mais nous estimons toutefois que c’est possible ».

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Pourquoi pas un fonds mondial  ?

Et si un dispositif à l’image du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose était mis en place, notamment pour les domaines beaucoup plus sociaux tels que l’éducation, la santé, et même les changements climatiques ? C’est ce que préconise Guido Schmidt-Traub. Lors de la conférence de Lyon, début octobre, ce fonds a atteint son objectif financier en mobilisant plus de 14 milliards de dollars sur trois ans.

« Pour moi, c’est l’exemple clé d’un fonds d’investissement multilatéral, organisé d’une manière efficace et saine pour permettre un investissement très rapide et à la bonne échelle dans les systèmes de santé nationaux, explique Schmidt-Traub. Les résultats obtenus par ce fonds sont vraiment remarquables. Il faudrait des structures équivalentes pour financer les priorités des ODD en Afrique ».

En attendant qu’une telle mobilisation soit possible, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), met l’accent dans son rapport 2019 sur la nécessité d’une bonne politique budgétaire à travers une meilleure mobilisation des recettes publiques. Après la chute des recettes publiques des pays africains à 18,6 % du PIB en 2016 en raison de la crise, la manne des États s’est améliorée à 21,4 % du PIB en 2018, ce qui reste cependant encore loin des 31,4 % de 2008, d’après les données de la CEA.

L’effort est d’autant plus nécessaire que malgré ce cru, l’Afrique a été sur la période 2000-2018, la région du monde au ratio recettes publiques/PIB le plus faible (24,5 %), quand celui de l’Europe, à titre d’exemple, était de 34,8 %.

Réformer les politiques fiscales

« La plupart des économies de marché émergentes et des pays en développement à faibles revenus ont la possibilité d’accroître les recettes publiques », estime le Fonds monétaire international (FMI) dans son rapport Politique fiscale et développement : investissement humain, social et physique pour les ODD, publié en janvier 2019 et dans lequel l’institution de Bretton Woods préconise une réforme des politiques fiscales.

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Sur ce point, la CEA préconise la numérisation rapide, la réduction des coûts de recouvrement, l’extension de la fiscalité à certains secteurs difficiles à taxer, tels que l’agro-industrie, l’immobilier et les services, mais aussi la création d’un environnement propice au développement du secteur privé, en particulier les PME.

Faire appel à l’investissement privé

Pour l’heure, les institutions multilatérales reprochent aux gouvernements de ne pas examiner suffisamment de telles pistes pour réaliser les ODD, au lieu de s’endetter. Car, voulant à tout prix ne pas figurer dans la classe des mauvais élèves en 2030, certains États recourent à outrance à la dette, provocant leur surendettement, sans garanties sur leur capacité de remboursement.

Outre les mécanismes mis en place par les institutions de financement tels que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne ou l’Agence française de développement, le partenariat public-privé (PPP) est de plus en plus privilégié. « Il est nécessaire que les secteurs public et privé comprennent les avantages des PPP. Ils doivent être définis avec précision et bien utilisés. […] Ni le secteur privé ni le secteur public ne peuvent financer seuls le développement », déclarait Vera Songwe, secrétaire exécutive de la CEA, au Forum international des PPP à Genève, en mai dernier.

Ainsi, qu’il s’agisse de l’incontournable question des infrastructures, du développement agricole ou plus récemment de la santé, institutions et gouvernements militent de plus en plus pour une plus grande implication du financement privé, celui-ci impliquant systématiquement une amélioration de l’environnement des affaires. Si l’on se réfère au Doing Business 2019, l’Afrique a connu des avancées extrêmement significatives ces dernières années, avec le Rwanda introduit dans le top 20 mondial.

Dans la short list des 20 réformateurs du Doing Business 2020publié début octobre, cinq pays d’Afrique se démarquent : Djibouti, le Kenya, le Nigeria, le Togo et le Zimbabwe. Mais de manière générale, de nombreux pays africains tâtonnent encore dans ce domaine. Outre les avancées administratives qui peuvent parfois être particulièrement lentes, l’un des handicaps à la réussite des affaires dans de nombreux pays africains reste la corruption. Et cela rend immédiatement la notion de gouvernance, laquelle a émergé récemment, comme un sujet incontournable pour atteindre les ODD en Afrique. Un indicateur de premier ordre pour les investisseurs étrangers.

Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

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