Violences en Éthiopie : les Oromo en quête « d’égalité et de justice »

Manifestation en Éthiopie

Depuis la mort du chanteur oromo Hachalu Hundessa fin juin, l’Éthiopie a été le théâtre de violences inédites. Des membres de la communauté oromo, marginalisés en Éthiopie, dénoncent le manque de liberté dans ce pays, qui, selon certains spécialistes, se rapproche d’un « régime autoritaire ». Reportage à Paris, place de la République, lors de la manifestation d’Oromo.

Minneapolis, Londres, Paris… Début juillet, les manifestants se sont réunis un peu partout dans le monde pour réclamer plus de libertés en Éthiopie. À Paris, lundi 6 juillet, la colère se lisait sur les visages des dizaines d’hommes et de femmes, placés en ligne au centre de la place de la République. Qu’ils soient français ou éthiopiens, tous appartiennent à l’ethnie oromo, majoritaire en Éthiopie.

Dans la foule, les manifestants brandissaient des pancartes et des banderoles. « Free all political prisoners » (« Libérez tous les prisonniers politiques » en français), le Premier ministre « Abiy Ahmed, dictateur » ou encore « Justice for Hachalu » : les messages inscrits faisaient référence aux multiples revendications des Oromo, qui dénonçaient ce jour-là la répression du pouvoir à leur égard.

Cette manifestation a été organisée en réaction à un récent événement, qui a embrasé l’Éthiopie. Dans la soirée du 29 juin, le chanteur Hachalu Hundessa, considéré comme un porte-voix des Oromo, a été abattu de plusieurs balles dans la capitale éthiopienne Addis Abeba. Dès le lendemain, des foules de manifestants ont convergé vers plusieurs grandes villes, notamment situées dans la région Oromia, qui enserre la capitale.

Au moins 239 morts en Éthiopie

Des violences ont rapidement éclaté, provoquant des dizaines de morts. Selon la police éthiopienne, au moins 239 personnes ont été tuées dans les manifestations qui ont secoué l’Éthiopie la semaine dernière. 

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« En raison des troubles qui ont agité la région, neuf policiers, cinq membres de milices et 215 civils ont perdu la vie », a annoncé, mercredi, sur la télévision d’État le chef adjoint de la police de la région Oromia, Mustafa Kedir. La police d’Addis Abeba avait auparavant indiqué que dix personnes, dont deux policiers, avaient trouvé la mort dans la capitale.

Les autorités ont affirmé que certaines personnes avaient été tuées dans le cadre de la répression des forces de sécurité et que d’autres avaient trouvé la mort dans des heurts entre diverses communautés. Pour contrôler cette agitation, plus de 3500 suspects ont été arrêtés.

En France, les Oromo s’inquiètent des méthodes employées par le gouvernement éthiopien. Présent lors de la manifestation à Paris, Mussa, un réfugié de 25 ans, s’exclame : « On a besoin d’égalité et de justice dans notre pays ».

D’autres avancent qu’Hachalu Hundessa a été assassiné « sous les ordres du gouvernement en place […] Hachalu est mort parce qu’il était oromo », selon un communiqué de l’association organisatrice de la manifestation. 

Mais depuis, un rebondissement est survenu dans cette affaire. Vendredi, la procureure générale éthiopienne a annoncé que deux hommes avaient avoué le meurtre du chanteur et qu’un troisième suspect en fuite avait été identifié. 

« L’assassinat (du chanteur) était une couverture pour tenter de prendre le pouvoir par la force », a déclaré la procureure Abebech Abbebe dans un communiqué diffusé par la télévision d’État, sans donner plus de précisions.

« Des Oromo se battent contre d’autres Oromo »

En Éthiopie, le Premier ministre Abiy Ahmed, lui-même issu de l’ethnie oromo, ne fait pas l’unanimité. « Il existe aujourd’hui une guerre civile entre Oromo », explique René Lefort, chercheur et spécialiste du pays interrogé par France 24. Elle oppose, d’après lui, « ceux qui soutiennent Abiy Ahmed, ceux qui sont dans une opposition légale et ceux qui ont pris les armes » contre le gouvernement. Pour résumer, « des Oromo se battent contre d’autres Oromo », précise-t-il.

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Ces opposants au Premier ministre dénoncent notamment la marginalisation politique et économique subie par leur ethnie depuis le XIXe siècle et le partage colonial de l’Afrique. Mais pour certains Oromo, cette réalité dépasse la mise à l’écart de leur communauté. Lundi sur la place de la République, ce sentiment était partagé par Duniya.

« On croyait qu’Abiy Ahmed soutenait notre cause parce qu’il est oromo mais depuis un an l’Éthiopie est devenu un pays dangereux pour les Oromo », raconte-elle. Une réalité nuancée par Fisseha Tekle, chercheur d’Amnesty International pour l’Éthiopie, interviewé par France 24. « La répression des droits de l’Homme concerne tout le monde dans le pays », affirme-t-il.

Le gouvernement « se rapproche de plus en plus d’un régime autoritaire », décrypte René Lefort. Il cite notamment « les milliers de prisonniers politiques enfermés un peu partout dans le pays », l’opposition politique traitée plus bas que terre » et les débuts d’une « autocensure de la presse ». 

Ces dérives étaient également dénoncées par les manifestants parisiens. « Internet est coupé en Éthiopie depuis le 30 juin. On ne peut pas savoir si notre famille se porte bien », s’inquiète Mussa. « On n’a pas de contact avec nos familles. On ne sait pas ce qu’il se passe en ce moment en Éthiopie », dénonce Duniya. 

L’espoir déçu des Oromo

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Si Abiy Ahmed divise au sein de son pays, il n’a pas toujours suscité autant d’hostilités. En avril 2018, son arrivée au pouvoir avait même été vue comme un signe d’espoir pour les Éthiopiens : la libération de milliers de prisonniers, le retour des partis politiques d’opposition interdits par le précédent gouvernement ou encore l’abrogation de lois répressives… Sans compter tous les efforts de paix avec l’Érythrée, récompensés le 11 octobre 2019 par le prix Nobel. 

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Mais le premier chef de gouvernement oromo de l’histoire de l’Éthiopie moderne n’est pas parvenu à rester populaire, en particulier au sein de l’ethnie oromo. « Abiy Ahmed n’a rien fait pour réconcilier le pays, déchiré par les conflits interethniques. Son objectif essentiel est d’asseoir son pouvoir », analyse René Lefort. 

Les prochaines élections générales, prévues dans un premier temps en avril, puis en août, ont été reportées à une date non définie en raison de la crise du coronavirus. Ces reports ont exacerbé les tensions. En attendant ce scrutin décisif, le gouvernement devra faire face, selon René Lefort, au « conflit entre Abiy Ahmed et la rue radicalisée ».

Source: France 24 /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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