Vente aux enchères : ce tableau de Soulages qui fit « vaciller » Léopold Sédar Senghor

L’ancien président du Sénégal, chantre de la négritude, était un admirateur du maître du noir, à qui il acheta une toile aujourd’hui estimée entre 800 000 et 1 million d’euros.

Avec ses jeux de glacis, de transparences et de superpositions, c’est une toile classique des années 1950 de Pierre Soulages que la maison de ventes Caen Enchères propose samedi 23 janvier. La particularité de cette œuvre, estimée entre 800 000 et 1 million d’euros, est surtout sa provenance, puisqu’elle fut la propriété du poète-président sénégalais Léopold Sédar Senghor.

Ce tableau, en effet, a longtemps été accroché dans son bureau, d’abord à Paris puis dans son manoir de Verson, en Normandie, où il s’était retiré après avoir quitté le pouvoir. Sa femme, Colette, en hérita à sa mort en 2001, avant de le léguer elle-même à sa sœur à son décès, en 2019.

C’est Georges Pompidou, camarade de prépa au lycée Louis-le-Grand, qui, le premier, initia Léopold Sédar Senghor à l’art de son époque. La légende ne dit pas s’il lui a présenté Pierre Soulages, dont il accrochera quelques années plus tard un tableau dans son bureau de Matignon. Toujours est-il qu’en décembre 1956, Senghor achète cette toile directement à l’artiste.

« La première fois que je vis un tableau de Soulages, ce fut un choc », écrit-il deux ans plus tard dans Les Lettres nouvelles : « Je reçus au creux de l’estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s’abîme. C’est exactement l’impression que j’avais éprouvée à la première vue du masque Dan. »

« L’expression la plus haute de la peinture pure »

Ce tableau, « chacun y lit ce qu’il veut, un idéogramme, un homme debout, un christ ou un totem », commente Agnès Sevestre-Barbé, experte de la vente. Le linguiste Pierre Encrevé dira de cette toile, comme des trois autres reprenant cette dense organisation de touches en bloc, qu’elles « affrontent de leur force d’imposition son regard comme pour en susciter un retour ».

Le chantre de la négritude ressent vite une affinité avec le maître du noir, en qui il croit déceler « un tempérament riche et généreux, un homme du XXe siècle, qui porte en lui le sens tragique de notre destin », un artiste qui, sans ignorer l’âme, « lui enlève ses vêtements d’emprunt, les niaiseries sentimentales, pour lui rendre la spiritualité ». En 1960, dans les Cahiers du musée de poche, Senghor va jusqu’à saluer en lui le « poète des temps nouveaux », qui a rempli sa mission de « nous divertir de la monotonie mortelle de la prose quotidienne ».

Cette admiration au long cours culmine en 1974 avec l’organisation d’une exposition au Musée dynamique de Dakar. L’institution construite huit ans plus tôt avait pour vocation de montrer à la fois les arts classiques d’Afrique et l’art moderne international – Chagall et Picasso y précédèrent Soulages.

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Lors de l’inauguration, où il se fait l’exégète précis de son travail, Senghor vante « l’expression la plus haute de la peinture pure », dont il espère qu’elle serve de modèle aux jeunes peintres sénégalais. « En effet, poursuit-il, nous n’avons jamais eu l’intention de les enfermer dans un ghetto culturel noir ; mais s’ils se laissent influencer, nous voulons que ce soit par des artistes dont l’art ait des affinités avec l’art nègre. »

Source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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