Un négociant suisse soupçonné de pillage de gasoil libyen

Le gasoil acheté par Kolmar Group AG était pillé par un réseau de contrebande, ce qui pourrait entraîner une responsabilité pénale pour l’entreprise, selon le droit suisse.  © MAHMUD TURKIA / AFP

Une ONG a déposé une dénonciation pénale pour « complicité de pillage » contre la société suisse Kolmar Group AG, soupçonnée d’avoir acheté illégalement 50 000 tonnes de gasoil libyen.

Trial International et Public Eye, deux ONG basées en Suisse, ne lâchent pas le morceau. En mars dernier, après une année d’enquête, elles révélaient un « gigantesque supermarché de la contrebande » dans une Libye en guerre depuis la chute de Kadhafi en 2011. Et l’affrontement de deux frères ennemis : Faïez Sarraj, le chef du gouvernement libyen d’accord national, et le maréchal dissident Khalifa Haftar, à la tête de l’armée nationale libyenne. En s’appuyant sur des groupes criminels et des politiciens corrompus, des traders occidentaux venaient faire leurs emplettes, siphonnant du gasoil dans les raffineries locales. Si la justice italienne a pu remonter jusqu’à Maxcom Bunkers SA, une société basée à Augusta en Sicile (plusieurs responsables de la contrebande sont actuellement en procès en Italie), en revanche, l’entreprise Kolmar Group AG, établie dans le canton de Zoug, en Suisse alémanique, échappe toujours aux radars.

50 000 tonnes de gasoil à Malte

Le 21 mai 2020, Trial International a donc déposé une dénonciation pénale pour « complicité de pillage » contre Kolmar Group AG auprès du ministère public de la Confédération (MPC). Dans un communiqué, l’ONG précise que le carburant était détourné des cuves libyennes grâce à la complicité d’un groupe armé, transbordé depuis des bateaux de pêche libyens vers des navires affrétés par deux hommes d’affaires maltais dans les eaux internationales, puis acheminé vers Malte. Entre 2014 et 2015, Kolmar Group AG aurait acheté plus de 50 000 tonnes de ce gasoil entreposé dans les réservoirs de la capitale maltaise (tandis que Maxcom Bunker SA récupérait, de son côté, 82 000 tonnes).

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Ne pas chercher des poux dans la tête

Pour Trial International, « si une entreprise achète des matières premières volées à un pays en guerre en connaissance de cause, elle peut être reconnue coupable de complicité de pillage, un crime de guerre tant selon le statut de Rome de la Cour pénale internationaleque d’après le droit pénal suisse ». L’ONG ajoute qu’elle espère que le ministère public de la Confédération « fera lui aussi toute la lumière sur cette affaire ». Car, jusqu’à présent, la justice helvétique ne s’est jamais montrée très pugnace vis-à-vis des sociétés de négoce. Sachant que près de la moitié du pétrole extrait dans le monde et plus de 60 % des minerais et métaux sont négociés dans la Confédération, la priorité n’est guère de leur chercher des poux dans la tête, et de raboter leurs avantages fiscaux. Pas question d’effaroucher la poule aux œufs d’or.

4 % du PIB de la Suisse

Face à l’attractivité des places asiatiques et de Londres, la Suisse entend surtout retenir les multinationales installées sur son territoire en leur offrant des « conditions-cadres attrayantes ». Ce secteur représente 4 % du PIB du pays. En décembre 2018, alors que le Conseil fédéral (gouvernement) publiait un rapport sur le négoce d’une rare indigence, reconnaissant que le respect des droits de l’homme « reste un défi pour le secteur des matières premières », l’ONG Public Eye déplorait que les achats de pétrole que les sociétés de négoce « effectuent en milliards dans des pays où la corruption est endémique demeurent toujours secrets ». « Cinq ans d’inaction fédérale », titrait Public Eye.

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Les fonds de Duvalier et Mobutu

En avril 2020, après la publication de l’enquête, Kolmar Group AG (créée en 1997 et 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires) a tenu à répondre qu’elle n’a « jamais été impliquée dans des opérations de contrebande ». De son côté, le ministère public de la Confédération confirme la réception de la dénonciation pénale envoyée par Trial International, et que « celle-ci sera examinée conformément à la procédure usuelle ».

Source: Le Point Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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