Tunisie : duel au sommet de l’institution judiciaire

Palais de justice de Tunis

Les juges Béchir Akremi et Taïeb Rached se livrent une bataille sans merci. Un duel qui remet sur la table le dossier des assassinats politiques de 2013 et celui de l’indépendance de la justice.

C’est l’histoire de deux juges. Ainsi pourrait commencer le récit de la bataille publique que se livrent deux juges tunisiens, dans un milieu habituellement très feutré. Dans le coin gauche, Taïeb Rached, président de la cour de cassation. Dans le coin droit, Béchir Akremi, l’ancien procureur général de la République près du tribunal de grande instance de Tunis, devenu en août magistrat dans l’administration pénale.

« Ils ont toujours été comme chien et chat », sourit un juge en évoquant les relations entre ses deux confrères. Leurs divergences ont en particulier commencé à apparaître sur les dossiers des assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Béchir Akremi, souvent accusé par le comité de défense de Chokri Belaïd, leader de la gauche assassiné en 2013, de faire obstruction à la justice et d’être au service d’Ennahdha s’est ainsi livré ni plus ni moins qu’à une enquête approfondie sur les biens de son rival, lesquels n’auraient pas été déclarés à leur juste valeur.

Magistrat instructeur

L’ancien procureur se fait ainsi magistrat instructeur et publie tout un dossier assorti de commentaires et de recoupements orientant l’analyse des documents vers des faits de corruption et réclame, sur cette base, au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) la levée de l’immunité de Rached.

« Et encore, il n’y a que ses biens propres et non ceux de sa famille », assure un proche d’Akremi, qui laisse entendre que d’autres annonces pourraient éclabousser Taïeb Rached.

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Le président de la Cour de cassation avait de son côté transmis un rapport à l’inspection générale du ministère de la Justice présentant les dépassements et des abus opérés par Akremi.

BÉCHIR AKREMI EST ACCUSÉ D’AVOIR CHERCHÉ À BROUILLER LES CARTES EN MORCELANT LES DOSSIERS EN DIFFÉRENTES AFFAIRES

Maître à bord dans la gestion de dossiers sensibles comme ceux des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, Béchir Akremi est accusé d’avoir cherché à brouiller les cartes en morcelant les dossiers en différentes affaires. Il lui a été notamment été reproché de paralyser les procédures en ne pas se prononcer sur le classement ou non des affaires.

L’intéressé, qui a par ailleurs été muté en août sur décision du Conseil national de la magistrature, a rétorqué par une estocade en produisant cette semaine les résultats de ses investigations.

« Un déballage de linge sale »

« Un tel déballage de linge sale n’aurait pu se faire sans des appuis solides », relève un proche des milieux sécuritaires qui laisse ainsi entendre que l’ex-procureur bénéficie de protections à haut niveau, en particulier auprès d’Ennahdha dont il est réputé proche.

Tout est possible, « mais il est certain que la victime de cette bataille est la justice », regrette un avocat. Face aux accusations graves portées contre Béchir Akremi, l’institution judiciaire semble faire bloc et ne pas réagir.

LA JUSTICE EST RÉGULIÈREMENT SOUPÇONNÉE DE COMPLAISANCE VIS-À-VIS DE CERTAINES FORCES POLITIQUES, EN PARTICULIER D’ENNAHDHA

« L’ensemble est en dysfonctionnement, une inspection en 2015 avait été diligentée par le ministère de la Justice pour contrôler le travail de Béchir Akremi et n’avait rien retenu contre lui dans le traitement de l’affaire Chokri Belaïd.

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En 2018, les avocats ont largement démontré le contraire », affirme un juriste, qui estime que la méthode consistant à morceler les dossiers des assassinats politiques était destinée à camoufler les liens entre Ennahdha et ces affaires.

Depuis la révolution en 2011, le dossier de l’indépendance de la justice et donc de sa réforme n’a jamais été sérieusement ouvert, l’institution étant régulièrement soupçonnée de complaisance vis-à-vis de certaines forces politiques, en particulier d’Ennahdha.

« C’est peut-être l’occasion de crever l’abcès et de mettre en place un nouveau processus, mais qui est suffisamment crédible et solide pour mener ce combat ? », s’interroge toutefois l’avocat Ghazi Mrabet.

Source:Jeune Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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