Terrorisme : l’Afrique de l’Ouest au milieu du gué

L’expansion des militants islamistes au Sahel, en particulier au Burkina Faso, préoccupe de plus en plus les États côtiers d’Afrique de l’Ouest.
© MICHELE CATTANI / AFP

Une récente enquête de l’International Crisis Group met en exergue les importants risques que font courir les djihadistes à la sous-région. Instructif.

Dans une étude édifiante, intitulée L’Afrique de l’Ouest face au risque de contagion djihadistepubliée le 20 décembre dernier, International Crisis Group apporte un nouvel éclairage sur la situation si particulière de l’Afrique de l’Ouest dans la stratégie des mouvements djihadistes. Le constat de l’organisation internationale est implacable : «  L’expansion des militants islamistes au Sahel, en particulier au Burkina Faso, préoccupe de plus en plus les États côtiers d’Afrique de l’Ouest. Leurs dirigeants craignent que les militants ne puissent utiliser le Burkina comme rampe de lancement pour des opérations plus au sud. » Et pour la première fois de son histoire, c’est toute la région qui est confrontée au risque d’une crise globale, à la fois sécuritaire au Nord, mais aussi politique au sud, à cause des nombreuses opérations électorales qui pourraient être contestées en 2020.

Au Burkina Faso : l’état d’alerte maximal

L’enquête du Crisis Group débute au Burkina Faso, là-bas, la situation sécuritaire s’est dégradée à une vitesse grand V. Tous les signaux venants du pays des Hommes intègres sont au rouge. Ce week-end encore, quatorze personnes ont été tuées dans l’explosion d’un car dans le nord-ouest du pays entre la localité de Toéni et la ville de Tougan. Il a été intercepté sur une route pourtant interdite à la circulation par les autorités qui ont donné des consignes de sécurité claires concernant les déplacements des populations. Fin décembre, le gouvernement burkinabé a prorogé l’état d’urgence d’un an dans six de ses treize régions. « Les zones concernées restent les mêmes, à savoir les quatorze provinces réparties dans les régions de la boucle du Mouhoun, du Centre-Est, de l’Est, des Hauts-Bassins, du Nord et du Sahel », avait précisé Remis Dandjinou le porte-parole du gouvernement.

Précisons que la moitié du pays, sa capitale Ouagadougou et ses régions frontalières sont fortement déconseillées aux voyageurs, selon la chancellerie française. Le département d’État américain a classé la quasi-intégralité du pays en rouge, conseillant aux voyageurs de « reconsidérer » leurs déplacements dans la capitale. « La préoccupation essentielle aujourd’hui au Burkina Faso reste la situation sécuritaire. C’est un problème fondamental », a reconnu le président Roch Marc Christian Kaboré alors que les autorités ont longtemps minoré l’ampleur du fléau. Plus que la méthode, c’est la fréquence des attaques qui inquiète : pourquoi le pays épargné jusqu’en 2016 est-il finalement devenu le « ventre mou » de l’Afrique de l’Ouest ? Comment procèdent les groupes djihadistes qui pullulent, certains affiliés à Al-Qaïda, d’autres au groupe État islamique ? En quoi est-ce significatif pour la sécurité des États côtiers ?

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Une position géographique stratégique

Dans un premier temps, l’ICG place au cœur de son argumentation la situation géographique du Burkina Faso. En effet, il faut rappeler que « le pays occupe une position centrale, reliant le Sahel aux pays côtiers et partageant des frontières avec quatre d’entre eux : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo. Le Burkina entretient aussi des relations historiques, humaines, économiques et politiques particulières avec ses voisins méridionaux. Tout cela en fait une porte ouverte sur le golfe de Guinée. » Un rappel salutaire, alors que les pays du sud de l’Afrique de l’Ouest se trouvent pris en étau. Rappelons qu’au nord, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Ansar Dine, le Mujao et l’État islamique dans le Grand Sahara continuent de faire des dégâts. Au sud, malgré les coups qui lui ont été portés, la secte Boko Haram reste active au Nigeria et au Cameroun. Et la méthode inquiète, car les réseaux présents au Burkina Faso s’appuient largement sur les réseaux humains, religieux, routiers, commerciaux et même criminels établis de longue date. Illustration en a été faite en 2019 avec une « majorité d’incidents survenus aux frontières des pays côtiers et impliquant, directement ou indirectement des groupes armés djihadistes reliés au Burkina ». International Crisis Group détaille ces événements, tel l’enlèvement des « deux touristes français au Bénin le 1er mai, a priori par des bandits qui auraient cherché à les revendre à des groupes djihadistes, qui ont été libérés quelques jours plus tard dans le nord du Burkina. » Ou encore l’attaque de Koury, une localité malienne proche du Burkina où des individus armés non identifiés ont attaqué un poste de contrôle frontalier, faisant sept morts le 19 mai, et qui constitue un important point de passage routier vers la deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso. Il ne faut pas oublier le rôle clé joué par les mines d’or artisanales. Elles servent bien entendu pour le financement des opérations, mais elles constituent aussi des sites « naturels » où ils s’approvisionnent en bombes artisanales, etc. En outre, ces sites miniers sont le point de départ de voie de commercialisation des productions vers les pays côtiers, comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire. En novembre dernier, un convoi de travailleurs de la mine d’or de Boungou a fait au moins 38 morts. L’implantation des groupes djihadistes dans l’est du pays, frontalier du Bénin et du Togo, n’a fait que se confirmer. En résumé : les attaques sont plus étendues sur le territoire, et à ses frontières, plus violentes, plus meurtrières, et surtout elles occasionnent d’autres violences intercommunautaires et ont pour conséquence la création de milices d’autodéfense.

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Ce que compte faire la Cedeao

Dans ce contexte, la région envisage, via la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de lancer des opérations militaires de grande envergure. Les États côtiers d’Afrique de l’Ouest, touchés ponctuellement par le djihadisme (attentats en Côte d’Ivoire en 2016, enlèvement au Bénin en 2019), ont montré leur volonté de s’impliquer au Sahel et promis de trouver un milliard de dollars pour mener la lutte lors de différents sommets. Parallèlement, Paris pousse ses alliés européens à s’impliquer davantage. Une nouvelle unité de forces spéciales européennes doit être déployée au Sahel en 2020.

L’Afrique de l’Ouest entre défis sécuritaires et crises politiques

Une accélération militaire qui ne convainc pas les auteurs du rapport d’International Crisis Group. Ces derniers apportent là aussi un éclairage intéressant en analysant les failles internes de plusieurs pays qui pourraient se retrouver à leur tour fragilisés sur le plan sécuritaire dans les prochains mois. « Les militants agissent souvent plus par opportunisme ou en exploitant les désordres qu’en suivant une stratégie élaborée. La force de ces groupes armés pourrait donc naître de la fragilité même des États côtiers », avertissent les experts d’ICG. Le problème étant que « les faiblesses des pays du golfe de Guinée, souvent similaires à celles de leurs voisins du Nord, sont d’autant plus inquiétantes, décrivent les experts. Plus riches que les pays sahéliens, ils sont néanmoins rongés par le même sous-développement des périphéries éloignées du pouvoir central, le désenchantement d’une partie de la population vis-à-vis d’États absents ou brutaux, et des services de sécurité et de renseignement dysfonctionnels. Dans plusieurs pays du golfe de Guinée, des élections qui s’annoncent litigieuses auront lieu en 2020, faisant planer la menace de violences politiques. Les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Togo, pourraient créer des divisions et s’avérer particulièrement dangereuses », décryptent-ils dans ce rapport écrit entre Dakar et Liège, où siège l’ONG. Les prémices de ces crises à venir sont déjà visibles. Au Bénin, par exemple, l’année 2019 a été caractérisée par de violentes altercations entre pouvoir et opposition – pendant ce temps, le pays a baissé sa garde sur le plan sécuritaire. Le Burkina Faso se prépare pour des élections avec de multiples inconnues alors que le pays a connu un soulèvement en 2014 et une période de transition délicate. La Côte d’Ivoire, cible en mars 2016 d’une attaque djihadiste à Grand-Bassam, n’est pas en reste. Le pays doit tenir en octobre 2020 une importante élection présidentielle, et pourtant « aucun consensus n’a encore émergé sur le cadre électoral, le principal parti d’opposition, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), refusant de siéger à la Commission électorale indépendante. Le désaccord des protagonistes sur les règles du jeu laisse augurer un vote tendu et une éventuelle contestation des résultats. La tension actuelle pourrait même déboucher sur des manifestations violentes et une crise préélectorale », écrivent les experts de Crisis Group.

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Rétablir le lien de confiance avec les populations

L’International Crisis Group estime donc qu’« au lieu d’accélérer les opérations militaires, les États côtiers devraient se concentrer sur le partage de renseignements et le renforcement des contrôles aux frontières. » Il importe aussi que « la Cedeao et ses partenaires internationaux, en particulier l’Union européenne et la France, intensifient leurs efforts diplomatiques pour prévenir les crises électorales potentiellement violentes, qui pourraient menacer la stabilité de ces pays au même titre que les groupes djihadistes, et créer pour ces derniers un terrain fertile », analyse Crisis Group. Mais six ans après le début de la déstabilisation de la région, par le nord du Mali, les chefs d’État n’ont pas réellement changé d’approche. Chaque fois, ce sont les mêmes récits des faits qualifiés indifféremment de « terroristes ». Or, de nombreux analystes appellent à un vrai changement de paradigme, même dans l’appellation des actes dont certains sont effectivement du fait des djihadistes, mais d’autres qui sont aussi perpétrées dans le cadre de rébellions armées, de groupes d’autodéfense. En apportant une nuance dans la qualification des actes, les responsables ouest-africains pourraient mieux diriger leurs efforts vers des solutions idoines, notamment auprès des populations qui ont de moins en moins confiance.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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