Sécurité au Sahel : Face à la forte présence de l’armée française, le sentiment « anti-français » persiste

Le Sahel fait face à une montée en puissance des groupes extrémistes violents et de la criminalité organisée en plus d’une mauvaise gouvernance qui envenime la situation. Face à l’urgence sécuritaire dans la région, lors du sommet tant attendu de Pau, le 13 janvier dernier, le chef d’Etat français Emmanuel Macron et ses homologues de Mauritanie, du Niger, du Burkina Faso, du Tchad et du Mali ont décidé de mettre en place un nouveau cadre d’intervention contre les groupes armés terroristes qui sévissent dans la région, avec notamment une nouvelle coalition militaire. En attendant, ils doivent toujours trouver un moyen de contrer le sentiment d’hostilité de leurs populations envers la France, qui pointant du doigt la présence des troupes françaises dans la lutte contre le terrorisme.

Le président français Emmanuel Macron et ses homologues du Mali, du Niger, du Tchad, du Burkina Faso et de la Mauritanie ont décidé de faire front face à la recrudescence des attaques terroristes dans le Sahel, révélant l’impuissance des Etats et l’inefficacité de leurs dispositifs militaires. Lors de leur rencontre à Pau, le 13 janvier, ils ont décidé d’instaurer « une nouvelle coalition pour le Sahel, « rassemblant les pays du G5 Sahel, la France, les partenaires déjà engagés ainsi que tous les pays et organisations qui voudront  y contribuer » et de renforcer les effectifs des forces françaises avec 220 militaires en plus.

Un ressentiment anti-français qui ne date pas d’aujourd’hui

Ce sommet n’a pas été organisé que pour définir un nouveau cadre d’intervention dans le Sahel mais également pour contrer la montée en puissance du sentiment hostile des populations du Sahel face à la présence des forces françaises dans la région. Pourtant, les chercheurs et différents acteurs et experts sont presque unanimes sur la nécessité de la présence de Barkhane dans le Sahel. En plus des forces armées locales et de cette force française, sont présentes dans la zone, la force du G5 Sahel et la Minusma entre autres.

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Si en 2013 les populations avaient applaudi l’arrivée des soldats français à la demande des autorités maliennes, elles ont peu à peu commencé à les bouder. Elles n’ont pas oublié, en effet, le fait que dans la même année, toutes les régions du nord du Mali avaient été libérées à travers la coopération entre les forces armées maliennes et françaises, sauf Kidal, où les militaires français ont été les seuls à y accéder sans l’armée malienne. Beaucoup au sein de la population ont perçu cet acte comme une trahison de la France. Une situation qui a fait perdre aux autorités françaises l’estime de beaucoup de Maliens. La France a-t-elle un agenda caché pour le nord du Mali, particulièrement à Kidal ? Est-elle en collaboration avec les ex-rebelles ? Telles sont les questions que se pose une partie de la population.

Aujourd’hui, les forces françaises sont aussi conspuées par une bonne partie de l’opinion publique à travers notamment des mouvements de protestation pour dénoncer la politique de la France, accusée souvent de complicité avec les ex-rebelles au Mali. « Les français ont sauvé leurs protégés », avaient déclaré en juillet 2016 des responsables de la Plateforme signataire de l’accord pour la paix et la réconciliation. Les manifestations se sont donc multipliées dans le pays, à travers notamment des sit-in devant l’ambassade de France au Mali. Cette colère s’est ensuite propagée dans d’autres pays sahéliens comme le Burkina Faso et le Niger. « Armées française, américaine et allemande, allez-vous en ! », scandaient des manifestants nigériens il y a quelques mois. Dans ces pays, une partie de la population remet en cause aussi la légitimité de leurs dirigeants qu’ils accusent de brader la souveraineté de leurs pays.

Une invitation à Pau perçue comme une convocation !

La colère des populations ainsi que leur incompréhension face à la détérioration de la situation sécuritaire, malgré la présence des multiples forces de défense et de sécurité ne fait que s’empirer avec la volonté des forces extérieures de  masquer ou tenter de dissimuler  la défense de leurs intérêts stratégiques, qu’ils soient d’ordre sécuritaire, politique, diplomatique ou économique. Et c’est dans ce contexte que les chefs d’Etats du G5 Sahel ont été invités au sommet de Pau par le Président Français pour une « clarification » de leurs positions concernant la présence des forces françaises au Sahel. Une invitation qui a été perçue comme une convocation par des habitants du Sahel. « Il faut qu’Emmanuel Macron revoit son interprétation et clarifie plutôt la politique française au Sahel », estiment certains politologues maliens. Selon eux, « il n’existe pas un sentiment antifrançais, mais une révolte contre la politique d’intervention des forces françaises dans la lutte contre le terrorisme ».

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Les chefs d’États du G5 Sahel ne cachent plus leur préoccupation face à la recrudescence des attaques terroristes contre les positions des forces de défense et de sécurité et les diverses formes de criminalité dans la région. Face à la situation et dans le but de préparer leur rencontre à Pau, ils s’étaient réunis lors d’un sommet extraordinaire à Niamey, initialement prévu à Ouagadougou, échangeant à huis clos afin de parler d’une même voix et de « clarifier » leurs positions sur la présence des troupes françaises dans le Sahel. Au cours de ce sommet, le président nigérien Mahamadou Issoufou avait déclaré que la communauté internationale est responsable de « l’aggravation des menaces face auxquelles nous faisons face, parce que c’est elle qui a pris la décision d’intervenir en Libye et cette crise libyenne amplifie aujourd’hui toutes les menaces qui pèsent sur nos États ». Son homologue Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré a précisé le « besoin d’avoir un travail beaucoup plus transparent et coordonné et un renforcement de la coopération entre les services de sécurité et de renseignement » pour les pays du G5 Sahel. Les chefs d’Etat de la zone sahélienne avaient aussi lancé un appel aux différents partenaires internationaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le financement de la force G5 Sahel.

La présence des forces françaises reste nécessaire

Malgré l’hostilité des populations contre les forces françaises, la nécessité de leur présence au Sahel est plus que jamais nécessaire, soulignent des experts. Le volet militaire de la stratégie sahélienne de la France vise aussi à ce que les États partenaires du G5 Sahel acquièrent la capacité d’assurer leur sécurité de façon autonome. Elle vise également à favoriser l’appropriation par les pays partenaires de la lutte contre les groupes armés terroristes, sur l’ensemble de la bande sahélo-saharienne. La force Barkhane a la capacité de mener en permanence et de façon simultanée, des opérations dans toute sa zone d’action, qui s’étend sur les cinq pays du G5 Sahel. Elle est constituée de 4 000 militaires français. L’opération a été lancée le 1er août 2014 à la suite de l’opération Serval qui, à la demande du gouvernement malien, a permis de stopper l’offensive djihadiste qui menaçait le sud du Mali.

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Les solutions ne doivent pas être que militaires

Un changement de paradigme est indispensable pour prévenir et contrer efficacement le terrorisme au Sahel. Plusieurs études ont démontrées que les groupes extrémistes violents en Afrique de l’ouest et au Sahel se nourrissent d’une multiplicité de vulnérabilités étatiques liées aux problèmes de gouvernance politique, sociale, économique et sécuritaire. Pourtant, les réponses restent concentrées sur les mesures sécuritaires. Les stratégies devraient aussi prendre en compte la prévention, le développement et les interventions socio-économiques à court, moyen et long termes, recommandent des spécialistes. Sans quoi, il sera difficile de parvenir à une collaboration entre les forces de défense et de sécurité et les populations locales. Ces groupes extrémistes violents exploitent, selon des chercheurs maliens, les griefs des populations contre la gouvernance étatique ainsi que les tensions qui opposent notamment les agriculteurs aux éleveurs.

Mouhamadou Touré, Niamey, Afrika Stratégies France

Tribune d'Afrique

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