Raymond Ranjeva : « Le problème juridique des îles Éparses est clos »

Madagascar: Raymond Ranjeva, ancien juge de la Cour internationale de justice

Pour l’ancien vice-président de la Cour internationale de justice, Raymond Ranjeva, une cogestion franco-malgache des îles Éparses est « un non-sujet », l’assemblée générale de l’ONU ayant reconnu la souveraineté d’Antananarivo sur ces territoires depuis 1979.

Il a changé la donne sur le dossier des îles Éparses. Ou plutôt des Îles malgaches de l’Océan Indien, comme il les appelle à la suite de la résolution 34/91 de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations-unies. En 1979, Raymond Ranjeva et son équipe ont obtenu le vote de ce texte qui demandait au gouvernement français d’entamer « sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles, qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar ».

Mais le différend demeure depuis. Le 29 mai 2019 à Paris, Andry Rajoelina et Emmanuel Macron ont promis une solution d’ici au 26 juin 2020, soixantième anniversaire de l’Indépendance. Ils ont annoncé la création d’une « commission mixte »- ou plutôt sa réactivation, une institution de ce type ayant siégé pour la première fois en septembre 1990 à Paris…

Raymond Ranjeva est aujourd’hui président de l’Académie malgache, le plus prestigieux organisme de recherche et de réflexion du pays. Il a aussi occupé les fonctions de juge et vice-président de la Cour internationale de justice (CIJ) de 1991 à 2009. Il livre, pour Jeune Afrique, sa vision de cette question qui complique depuis des décennies les relations entre Paris et Antananarivo.

Jeune Afrique : Andry Rajoelina a demandé à Emmanuel Macron de « trouver une solution pour la gestion ou la restitution des îles Éparses à Madagascar ». N’est-ce pas se mettre en situation d’infériorité de demander une solution sans amener de proposition ?

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Raymond Ranjeva : C’est une interprétation. Moi, je constate simplement que si on parle de « solution », c’est qu’il y a un problème. Alors que le problème juridique est clos. En 1960, c’était une décolonisation tronquée. Les îles ont été coupées du territoire de Madagascar par un acte unilatéral de l’Autorité française le 4 avril, après la clôture des négociations, à la veille du paraphe des accords en vue de l’indépendance.

C’est une date qui, au regard de la pratique du droit international, relève de la période dite « suspecte » au cours de laquelle les parties prennent, hors débats, des actes unilatéraux. Les membres de la délégation malgache de 1960 que j’ai interrogés m’ont dit que ces petites îles n’ont jamais été évoquées. À mon avis, c’est ce qui s’est passé. Et nous nous sommes servis de cet argument en 1979.

Mais les résolutions de l’assemblée générale de l’ONU ne sont pas contraignantes…

Cette assemblée constate le droit. En outre, si vous regardez le dernier avis de la CIJ sur les Îles du Chagos, en 2019, vous verrez dans l’exposé des motivations qu’il est pris acte de la résolution de 1979 sur les Îles malgaches. La CIJ, par voie judiciaire, consolide donc la validité juridique de la résolution de 1979, et l’existence d’obligations qui en découlent. Maurice n’aurait d’ailleurs jamais eu de titres sur les Chagos sans notre résolution de 1979.

Pour quiconque a fait du droit, il est évident que le problème juridique est clos… Par ailleurs, la co-gestion est un non-sujet. Le Sénat français a déjà refusé cette proposition sur le différend de l’île de Tromelin, avec Maurice.

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Quels étaient vos arguments en 1979 ?

Purement juridiques. Il n’y avait pas de considérations géopolitiques. À l’époque, la France nous a dit : « Ces îles n’ont strictement aucun intérêt ». L’appellation « îles Éparses » est d’ailleurs une manifestation du désintérêt français vis-à-vis de ces îles à l’époque, et a une connotation colonialiste aujorud’hui.

Quel est l’intérêt de ces îles à présent et comment expliquez-vous ce revirement ?

L’espace océanique est actuellement au cœur d’une globalisation, qu’on définit par la mise en place de stratégies et de structures commerciales menant à un marché unique mondial. Il est aussi vital d’un point de vue environnemental, car la mer risque de mourir si on ne fait rien. Et ces îles disposent de réserves en hydrocarbures.

Les Malgaches comme les Français s’interrogent sur la possibilité pour Madagascar d’exploiter le potentiel de ces îles, voire même d’y exercer leur souveraineté, vu les faibles ressources humaines et matérielles du pays…

C’est un faux problème ! Dans un cadre de globalisation, une approche exclusivement souverainiste n’a pas de sens. Même dans le cadre européen, chaque État ne gère pas séparément sa politique maritime ! Pourquoi ne pas penser à une gouvernance mondiale des océans ? Aujourd’hui, il nous faut des institutions universelles avec une gestion équitable qui assure la justice et la paix. Voilà le vrai problème ! Mais la souveraineté malgache doit demeurer car la participation de Madagascar à cette autorité est justement conditionnée par cette souveraineté.

Source:Jeune Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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