Madagascar: le prêt à taux zéro aux salariés du privé, ballon d’oxygène ou tunique de Nessus?

Zone industrielle de Tanjombato, à Antananarivo, ce 5 novembre 2018, où la plupart des entreprises et zones franches de la capitale sont concentrée


Ce devait être un ballon d’oxygène pour les salariés du secteur privé malgache. Mal ficelé, le prêt à taux zéro fait grincer des dents avant même d’avoir été éprouvé.

Pour rappel, le système de protection sociale de la Grande île ne prévoit pas d’indemnité chômage. Le gouvernement a donc eu l’idée de proposer aux travailleurs un prêt de 200 000 ariary (45€) à 500 000 ariary (112€), remboursable sur 12 mois. Et le prêteur n’est autre que la Caisse nationale de prévoyance sociale, autrement dit, l’organisme auquel cotisent tous les salariés du privé. Si les syndicats représentants des salariés ont, dès l’annonce de la mesure, signifié qu’elle précariserait un peu plus les travailleurs qu’elle ne les aiderait, l’allocution du président malgache dimanche soir à la télévision sur ce sujet a fini de semer le trouble sur ce prêt aux conditions nébuleuses.

« Ce qu’il a dit, c’est à côté de la plaque ! » Barson Rakotomanga, le secrétaire générale de la plateforme syndicale SSM (Solidarité syndicale Madagascar, syndicat du secteur privé) est encore abasourdi des propos du chef de l’État, au sujet du prêt à taux zéro de la CNAPS.

« Le président a expliqué dans son discours dimanche soir que c’est l’État qui va se porter garant pour les travailleurs. C’est l’État qui va payer les intérêts auprès de la banque. Quels intérêts ? Quelle banque ? l’État ? Garant ? Même le directeur général de la CNAPS dit autre chose ! La question qui se pose, c’est : est-ce que le président de la République a bien reçu les infos de la part de ses conseillers ou de la CNAPS ? Ça va aggraver la situation des travailleurs si c’est comme ça qu’on gère le fonds des travailleurs… », maugrée-t-il.

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« C’est déjà l’argent des salariés »

Depuis une semaine, les syndicats militent pour que l’argent de ce fonds soit en partie distribué sous forme d’indemnité exceptionnelle et non-remboursable aux salariés du secteur privé. Une requête soutenue par certains employeurs, à l’instar de ce chef d’entreprise d’une agence de voyage à Antananarivo.

« La CNAPS, c’est l’organisme qui récupère les cotisations sociales, prélevées sur le salaire des employés. Donc quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, cet argent, c’est de l’argent qui appartient aux salariés du privé. Et ce qui me gêne le plus dans tout ça, c’est que c’est un petit peu machiavélique, parce que tout simplement on va prêter de l’argent – heureusement à taux zéro – qui appartient déjà aux salariés. »

L’entrepreneur regrette aussi la complexité de l’attribution du prêt. « Le montage n’est pas un montage direct entre le salarié et la CNAPS, ce qui serait beaucoup plus simple pour tout le monde. Au lieu de cela, on place l’entreprise comme intermédiaire ; elle se retrouve de fait garant et trésorier payeur de ce mécanisme compliqué. C’est-à-dire que le salarié va emprunter au travers de la société qui va monter un dossier pour son salarié, pour qu’il puisse obtenir une aide ; ensuite le salarié va rembourser à l’entreprise qui elle-même reversera à la CNAPS. »

Et sur ce mécanisme de remboursement du prêt, justement, plusieurs questions restent encore sans réponse. Comment la CNAPS va-t-elle faire pour être remboursée ? L’employeur sera-t-il chargé de prélever sur les rémunérations ? Si le salarié démissionne, l’entreprise devra-t-elle continuer à rembourser la CNAPS ? Et si l’entreprise est en cessation de paiement, qui se porte garant pour elle ? Salariés, employeurs comme syndicalistes déplorent le manque de lisibilité sur ces questions pourtant primordiales.

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100 000 travailleurs non éligibles

« Ce n’est pas avec ces sommes engagées qu’on va solutionner le problème des salariés en difficulté financière ou qui ont perdu leur emploi. Si tant est, bien sûr, que les salariés qui ont perdu leur emploi aient accès à ce processus, parce qu’encore une fois, ce n’est pas clair… », fustige encore le chef d’entreprise.

Une incohérence que souligne également le représentant des salariés, Barson Rakotomanga : « Il y a 100 000 travailleurs qui sont encore au chômage technique, en contrat suspendu, licenciés économiquement, et qui ne sont pas éligibles à ce prêt parce que personne ne veut leur garantir. Et ça c’est un problème ! »

Par ailleurs, plusieurs chefs d’entreprise ont affirmé à RFI que les salariés des sociétés qui ont souhaité bénéficier du report des cotisations sociales – facilité accordée par l’État aux entreprises du secteur privé au début de la pandémie – sont écartés de fait du prêt à taux zéro, leurs entreprises étant considérées comme « non à jour » au niveau des cotisations sociales. Une bizarrerie supplémentaire pour un prêt censé soutenir les travailleurs du privé.

Contactés, les membres du conseil d’administration de la CNAPS se sont pour le moment gardés de tout commentaire sur le sujet. 32 000 salariés (sur les 200 000 visés par le gouvernement) se sont d’ores et déjà manifestés pour souscrire à ce prêt. « Les premiers décaissements devraient avoir lieu sous 15 jours » informe-t-on à la CNAPS.

Source : Rfi Afrique /Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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Tribune d'Afrique

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