Le Cameroun menacé par un mouvement « craie morte » des professeurs

Quatre élèves désœuvrés jouent au Ludo sur un smartphone posé sur un banc. Quasi désert, ce lycée de Nkonsamgba, une bourgade réputée frondeuse de l’ouest du pays, est l’un des symboles d’un mouvement « craie morte » des professeurs au Cameroun, qui accusent le pouvoir de les « clochardiser ».

Dans ce pays d’Afrique centrale de 28 millions d’habitants, un collectif d’enseignants de lycées dénommé « On a trop supporté » (OTS) a lancé le 21 février un mouvement de grève qui menace de s’étendre à d’autres secteurs. Ils réclament au gouvernement du président Paul Biya – 89 ans, dont près de 40 d’un pouvoir sans partage – d’énormes arriérés de salaires, primes et allocations pour 181 milliards de francs CFA, près de 276 millions d’euros.

« Argent en poche, craie en main », promettent les grévistes sur des affichettes dans les lycées ou sur les réseaux sociaux. « Le mot d’ordre est respecté dans l’ensemble, même si ce n’est pas à 100 % », assure à l’AFP Hubert Lipem II, un responsable d’OTS.

Leur grève « a engendré des perturbations significatives dans le déroulement de l’année scolaire et des dysfonctionnements importants dans notre système éducatif », a reconnu le 10 mars René Emmanuel Sadi, le ministre de la communication, admettant « la légitimité de la plupart des revendications ». Nombre de professeurs ne sont pas payés ou reçoivent un salaire partiel des mois, voire quelques années.

« 10 ans sans salaire »

Une fois diplômé, l’enseignant est affecté à un lycée mais n’est pas payé immédiatement. Puis il ne perçoit, parfois bien plus tard, que deux tiers d’un salaire mensuel – soit 130 000 francs CFA (moins de 200 euros) – jusqu’à son intégration à la fonction publique, procédure qui peut s’éterniser, explique à l’AFP Thierry Makon, membre actif d’OTS.

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Une fois intégré, l’Etat doit lui verser un « rappel » des impayés, mais « il faut souvent donner un pot-de-vin, jusqu’à 30 % du montant du rappel » aux fonctionnaires chargés de la procédure, assure M. Lipem II.

Ulrich Tadie a été affecté à un lycée de Nkonsamgba il y a trois ans. « J’ai touché mes premiers deux tiers de salaire un an après », déplore le jeune professeur d’informatique. Et l’Etat ne lui a aujourd’hui toujours pas payé les arriérés. Gréviste, il vient tous les jours au lycée, mais tout de noir vêtu depuis une semaine : « En hommage à M. Hamidou. »

Symbole des premiers jours d’OTS sur les réseaux sociaux, « M. Hamidou », frêle professeur de sport à Beka, dans le nord du pays, avait ému en brandissant une feuille A4 sur laquelle il avait écrit : « 2012-2022 SANS MATRICULE – 10 ANS SANS SALAIRE – OTS ». M. Hamidou a été emporté par la maladie le 8 mars, à 38 ans, quelques jours après que le ministre de la fonction publique eut annoncé son intégration.

« Apurement progressif » des impayés

M. Biya a ordonné le 7 mars le déblocage de 2,7 milliards de francs CFA (quelque 4 millions d’euros) – mais seulement pour payer les frais de correction des examens –, puis le versement dès mars du complément du salaire pour ceux qui n’en perçoivent que les deux tiers. Et a promis « l’apurement progressif » des impayés de tous, au lendemain de la mort de M. Hamidou. « Ces mesures sont insatisfaisantes », avait réagi OTS, appelant à continuer « pacifiquement » la grève.

Sur une classe de 58 élèves du lycée Nlonako de Nkonsamgba, seuls deux élèves sont présents. « Cette grève nous pénalise, nous sommes dans une année d’examen », se lamente l’une d’elles, Laure. Dans la classe d’à côté, Raïssa, en première, est seule. « Nous sommes très en retard sur le programme. J’essaie d’avancer en recopiant des exercices du cahier d’un ancien élève », explique-t-elle. Ailleurs dans le pays, les professeurs peuvent être en classe, mais bon nombre ne font pas cours ou sont alors remplacés par des vacataires.

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Sous couvert de l’anonymat, une professeur assure que seuls des « vacataires » privés, recrutés par le lycée de Nlonako en demandant aux parents de payer davantage, font cours à leurs enfants. « Payez, payez les enseignants », ont récemment scandé dans la rue des lycéens de Douala, la capitale économique.

« Je suis peiné. On débourse de l’argent pour nos enfants », s’offusque Joseph Bioche, parent d’élève à Manengole, près de Nkonsamgba. Frais « d’inscription » et annexes peuvent être très élevés. Et plus d’un Camerounais sur quatre vit sous le seuil de l’extrême pauvreté (avec moins de 1,90 dollar par jour, soit 1,70 euro), selon la Banque mondiale.

Dans le secondaire au Cameroun, le taux de scolarisation n’était que de 43 % pour les filles et 48,9 % pour les garçons en 2016, selon l’Unesco. La grogne ne faiblit pas, alors qu’un autre mouvement, « Trop c’est trop » (TCT), voit le jour chez les instituteurs, qui enseignent aussi parfois sans salaire, et menace de gagner d’autres secteurs publics comme la santé et les transports.

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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