La Tunisie dans la tourmente

Des dizaines de jeunes ont été arrêtés après des troubles nocturnes à Tunis et dans d’autres villes du pays, les 16 et 17 janvier 2021. © Hedi Sfar/AP/SIPA

Annonce, avant-hier, d’un nouveau gouvernement Mechichi, huit gouvernements depuis 2011, quatorze avec tous les remaniements votés à l’Assemblée. Crise socioéconomique aiguë. Cerise sur le gâteau, des manifestations nocturnes violentes en cette période de couvre-feu, instauré pour casser la chaîne de contamination au coronavirus.

La Tunisie vit mal cette période, marquée par le 10e anniversaire de sa révolution. La crise liée au coronavirus n’a fait qu’approfondir les difficultés socioéconomiques et financières rencontrées par le pays, au bord de la faillite. Il faut à Mechichi sept milliards de dollars pour boucler le Budget 2021, alors que la Tunisie est mal notée par les quatre grands bureaux de notation souveraine.

Le nouveau gouvernement, annoncé samedi en fin de journée, aura à faire face à ce marasme, doublé d’agitations sociales nocturnes, accompagnées de tentatives de cambriolage. Des interrogations planent autour de ces agissements dans une Tunisie dont le seul véritable acquis est la liberté d’expression.

Observateurs et politiciens s’interrogent si ce sont des affamés qui s’attaquent aux symboles de la richesse, comme les banques et les grandes surfaces, ou des groupes de jeunes, manipulés par des personnes malintentionnées, qui ne veulent pas de la stabilité de la Tunisie.

Le remaniement proposé, avant-hier, au gouvernement Mechichi, survient alors que la Tunisie n’arrive pas encore à asseoir un gouvernement stable depuis les législatives du 6 octobre 2019.

C’est le 4e gouvernement qu’aura à voter cette Assemblée des représentants du peuple (ARP) émiettée, avec les islamistes d’Ennahdha comme 1er parti, ne disposant que de 52 sièges (sur les 217 de l’ARP). Ce fut d’abord le gouvernement de Habib Jamli a n’avoir pas obtenu la confiance de l’Assemblée, en janvier 2020.

Ensuite, c’était celui d’El Yes Fakhfakh qui est resté six mois, de mars à fin août 2020, avant de démissionner, pour des soupçons de conflits d’intérêts en pleine crise Covid. Hichem Mechichi a été alors parachuté par le président Kaïs Saïed, alors qu’il était le ministre de l’Intérieur de Fakhfakh.

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Mechichi a obtenu in extremis la confiance de l’ARP, avec un gouvernement de technocrates, soutenu par les partis opposés au président Saïed, à savoir Ennahdha et Qalb Tounes, ainsi que quelques députés du bloc Al Karama, des islamistes populistes dissidents d’Ennahdha, en majorité.

Il est vrai que les partis Tahya Tounes, de Youssef Chahed, et El Machrouaa, de Mohsen Marzouk, en plus de certains députés indépendants ont également prêté main-forte à Mechichi, pour réunir 134 voix en sa faveur ; la majorité étant de 109.

Mais, ce n’était qu’une étape, importante certes, mais Mechichi marche toujours sur du verre. En effet, le courant n’est plus aussi fluide avec son mentor, le président Saïed.

La loi de Finances 2021 est passée difficilement avec 110 voix favorables. Mechichi trouve des difficultés pour installer une majorité harmonieuse autour de lui, surtout que la situation est chaotique à l’ARP, avec des engueulades quasi-quotidiennes entre le Parti destourien libre (PDL), conduit par une ex-dirigeante du RCD et l’ancien régime, Abir Moussi, avec le bloc Al Karama, le pare-chocs des islamistes d’Ennahdha. Des sit-in et des bousculades régulières.Advertisements

Et voilà que ces populistes d’Al Karama s’attaquent, par inadvertance, aux députés du Bloc démocratique, le 7 décembre dernier. Ils ont provoqué un tollé général en blessant le député Anouar Bechahed au front. La députée Samia Abbou poussée s’est retrouvée à terre.

Le Bloc démocratique (38 députés) a organisé un sit-in du 8 décembre au 15 janvier. Les travaux de l’ARP ont été bloqués à cause de la réclamation du Bloc démocratique d’une condamnation de la violence par la présidence de l’Assemblée. Rached Ghannouchi a voulu éviter de condamner «ses alliés» d’Al Karama.

Mais, la situation s’est compliquée avec l’entrée en grève de la faim de quatre députés, le 10 janvier, et Ghannouchi s’est trouvé obligé de publier ce communiqué de condamnation pour mettre fin au sit-in et à la grève de la faim. De là à un possible retour d’alliances d’Ennahdha, il n’y a qu’un pas. Ennahdha pourrait revenir aux mêmes alliances que sous le gouvernement de Fakhfakh, avec le Bloc démocratique, Tahya Tounes et les blocs d’El Islah et l’Avenir. Mais, attendons pour voir.

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Et le peuple ?

L’ARP naviguait donc loin des aspirations populaires, nées d’un certain 14 janvier 2011, et n’arrivait, même pas, à conclure ses tâches fondamentales, comme la réforme de la loi électorale, l’installation de la Cour suprême, ou encore le renouvellement de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).

Le gouvernement vaquait aux affaires courantes, sans la moindre stratégie, comme tous ses prédécesseurs. Mais, si à la suite de la chute de Ben Ali, en 2011/12/13, voire même 2014 et 2015, il y avait un vent favorable à la Tunisie, cette nouvelle démocratie à l’échelle internationale, les choses ont changé avec le temps, vers un constat d’échec évident à installer le modèle économique qu’il faut et mettre en œuvre les réformes à même d’éradiquer la corruption et installer un Etat de droit.

En même temps, le peuple continue à attendre la réalisation des objectifs de la révolution, promis il y a une dizaine d’années. Les objectifs d’éradication du chômage et de la pauvreté sont restés lettre morte.

Côté socioéconomique, la situation s’est aggravée avant même le coronavirus. L’endettement extérieur effleure les 100% du PIB, alors qu’il était de 39%, en 2010. Le dinar tunisien a perdu 60% de sa valeur, par rapport aux principales devises étrangères (l’euro et le dollar).

L’euro s’échangeait à moins de deux dinars locaux en 2010 ; il est désormais à 3,3 TND. Le déficit commercial arrive à 15% du PIB et le déficit budgétaire se situe désormais à 8%, avant l’année Covid.

Le pouvoir d’achat du bon peuple s’est détérioré et l’espoir né un certain 14 janvier 2011 s’est régulièrement estompé, à un point que le PDL de Abir Moussi, symbole du retour de l’ancien régime, plane actuellement en tête des intentions de vote, avec près de 40%, alors qu’Ennahdha n’est qu’à 18%.

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C’est dans cette situation que le nouveau gouvernement Mechichi va chercher confiance auprès de l’ARP. Au vu des réactions, le remaniement passerait avec le soutien d’Ennahdha, Qalb Tounes, Tahya Tounes, les blocs d’El Islah et l’Avenir, ainsi que quelques indépendants.

Mais, comment va-t-il réussir à faire pour redresser l’économie, alors que la population suffoque et les instances financières internationales réclament de réduire les subventions ?

Des dizaines d’arrestations après des troubles nocturnes

Des dizaines de jeunes ont été arrêtés après des troubles nocturnes à Tunis et dans d’autres villes du pays, malgré un confinement général pour lutter contre le nouveau coronavirus, a annoncé hier à la presse le ministère tunisien de l’Intérieur.

Ces troubles interviennent dans un contexte d’instabilité politique et de problèmes socioéconomiques en Tunisie, dix ans après la chute du président Zine El Abidine Ben Ali sous la pression d’un soulèvement populaire.

Bravant le couvre-feu, des dizaines de jeunes sont sortis ces deux dernières nuits dans la rue cassant des façades de commerces, des voitures, commettant des actes de pillage et lançant des pierres contre la police, a indiqué le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Hayouni.

Des dizaines de jeunes, en majorité des mineurs âgés entre 14 et 17 ans, ont été arrêtés, a ajouté M. Hayouni, en appelant les parents à surveiller leurs enfants.

Les violences ont eu lieu dans des quartiers populaires, notamment à Tunis, Bizerte, Menzel Bourguiba, Sousse, Nabeul, Siliana. Certains Tunisiens ont attribué ces violences à l’échec de la classe politique à améliorer la situation.

Source : El watan/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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