Félix Moloua : « Nous ne pouvons pas construire des infrastructures avec des dons ! »

Félix Moloua

La République centrafricaine enregistrait un taux de croissance de 4,5% en 2019, selon le Fonds monétaire international (FMI), mais la Covid-19 est venue perturber les prévisions haussières de l’institution de Bretton Woods qui table désormais sur une croissance négative pour 2020. Félix Moloua, le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération de Centrafrique, revient pour La Tribune Afrique, sur la stratégie gouvernementale pour contenir les effets de la pandémie.

La Tribune Afrique – Après des années marquées par l’instabilité sécuritaire, la République centrafricaine a vu son économie se redresser, passant de 3,8% en 2018 à 4,5% en 2019. Quels sont les impacts escomptés suite à l’arrivée de la pandémie de coronavirus ?

Félix Moloua : L’an dernier, nous avions une croissance de 4,5% et cette année, nous pensons enregistrer une croissance de 0,5% [prévue à 5% pour 2020, la croissance devrait chuter à -1% selon le FMI, ndlr] […] Lorsque les frontières ont été fermées, nous avons rencontré des problèmes d’approvisionnement concernant notre alimentation, car nous vivons dans un pays enclavé géographiquement [en juin dernier, 2,4 millions de personnes étaient en  insécurité alimentaire sévère ou aiguë, selon le Programme alimentaire mondial, ndlr]. Nous avons lancé un Comité national multisectoriel de sécurité alimentaire et de nutrition à Bangui et heureusement, la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale a pris des mesures rapides pour rouvrir les frontières et permettre la libre circulation des marchandises. Je soulignerais par ailleurs que les acteurs du secteur informel ont eux aussi, été sévèrement touchés par cette crise sanitaire…

Quelle a été la stratégie du gouvernement pour faire face à la pandémie et avec quels moyens ?

Nous avons demandé à ce que le moratoire sur la dette soit prorogé. Le FMI nous a accordé une Facilité de crédit rapide (FCR) d’un montant de 27,9 M DTS assorti d’une annulation pour six mois des créances qui lui sont dues, suite à l’arrivée de la pandémie de Covid-19. Nous bénéficions aussi d’un moratoire sur la dette extérieure bilatérale, accordé par un certain nombre de pays du G20 […] Nous avons élaboré un Plan national de riposte contre la Covid-19 pour un coût global de 133 milliards de Fcfa en cours d’actualisation, qui comprend 3 axes : sanitaire, socio-économique et sécuritaire. Nous avons également reçu des aides extérieures. La Banque mondiale nous a accordés 7,5 millions de dollars pour la mise en œuvre du plan de riposte ainsi qu’un appui budgétaire, dont une partie des ressources est destinée aux mesures d’atténuation de l’impact socio-économique de la Covid-19.

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L’Union européenne a instauré un pont aérien et nous a livré 40 tonnes d’équipements [promettant une aide financière de 30 millions d’euros, ndlr], la Chine nous a aidés avec des dons de kits de protection [Jack Ma, le fondateur d’Alibaba avait notamment fait un don de 20 000 kits de tests, 100 000 masques et de 1 000 combinaisons de protection à usage médical et d’écrans faciaux à chacun des 54 pays d’Afrique, ndlr] et les Etats-Unis nous ont envoyé 3 millions de dollars […] Au niveau du gouvernement, nous avons pris des décisions rapides pour enrayer la pandémie et nous avons été en mesure de produire 10 millions de masques que nous avons distribués gratuitement à la population.

La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale(CEMAC)prépare une levée de fonds de 4 milliards d’euros destinés à une douzaine de projets infrastructurels. Quel rôle peut jouer la CEMAC dans la transformation infrastructurelle de l’Afrique centrale?

Nous avons activement participé à la sélection de ces projets. Le désenclavement de notre pays passera non seulement par des initiatives nationales, mais aussi par l’espace communautaire de la CEMAC. Ces projets infrastructurels devraient nous permettre une meilleure intégration vers le marché commun d’une part, tout en facilitant la libre circulation des personnes et des biens d’autre part, ce qui se répercutera nécessairement de façon positive sur notre économie […] Parmi les projets intégrateurs de la CEMAC qui permettront une meilleure intégration de la République centrafricaine, je citerai le Corridor Brazzaville-Ouesso-Bangui-Ndjamena, l’aménagement hydroélectrique de Chollet et des lignes électriques [Cameroun, Congo, Gabon et RCA, ndlr], mais aussi la construction du port sec de Beloko [Corridor Douala-Bangui, ndlr].

Au-delà de la libre circulation des biens et des marchandises, il faudra également rassurer les investisseurs en matière d’environnement des affaires et de risque sécuritaire. Comment comptez-vous vous y prendre ?

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Nous avons tout d’abord renforcé le cadre de la sécurité juridique qui posait problème jusque-là, en modifiant certaines dispositions de la loi relative au licenciement abusif et au plafonnement des indemnités à verser en cas de litiges. Ensuite, nous comptons sur la Société financière internationale pour nous accompagner à améliorer le climat des affaires et pour rassurer les acteurs privés dont nous avons besoin pour développer des partenariats publics-privés. Nous espérons que le bureau de la SFI à Bangui [fermé après les crises, ndlr], sera prochainement rouvert.

Comment développer le potentiel énergétique de la Centrafrique ?

L’énergie représente l’une de nos priorités. Nous avons reçu l’appui de la Banque mondiale, pour développer une production solaire de 25 MW, la Chine nous aidera à générer 15 MW supplémentaires et la BAD va nous permettre de développer 10 MW en énergie hydroélectrique. Ces projets sont destinés à renforcer les capacités énergétiques de la capitale, car actuellement, nous ne disposons que de 18 MW, tout au plus. Nous sommes également en train de mener des discussions avec nos partenaires pour mettre l’accent sur l’énergie en zones rurales […] Il est nécessaire de placer l’énergie au cœur des projets intégrateurs régionaux, car nous sommes dans un pays qui sort d’une crise sévère et, compte tenu de notre situation, nous ne pouvons pas demander de prêts concessionnels aux institutions de Bretton Woods. Les dons représentent donc une part importante de notre budget, pourtant, nous ne pouvons pas construire des infrastructures avec des dons ! Nous devons donc mutualiser nos efforts au niveau régional pour mobiliser davantage de ressources.

Quels sont les résultats du Fonds Bêkou (un fonds multi-bailleurs européen lancé en 2015 pour le redressement de la Centrafrique)?

Ce fonds [plus de 253 millions d’euros en 2019, selon l’UE, ndlr] nous a permis de faire des progrès en matière de désenclavement, mais aussi dans l’agriculture, la santé et la cohésion sociale. Il nous a permis de passer d’une réponse humanitaire à une réponse de reconstruction, de développement et de renforcement des capacités. Nous avons relancé la formation professionnelle en milieu rural, renforcé nos capacités sanitaires et adopté un programme de promotion de la cohésion sociale et de réconciliation, grâce à ce fonds. Nous avons également soutenu le développement du secteur numérique pour réduire le poids du secteur informel dans notre économie. D’ailleurs, à travers le projet de fibre optique, financé parla Banque africaine de développement et l’UE [à hauteur de 33.7 millions d’euros, ndlr], nous espérons augmenter la connectivité en Centrafrique, ce qui nous permettra à terme, de mobiliser davantage ressources domestiques.

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La Centrafrique est un pays où l’âge médian se situe autour de 20 ans. Comment intégrer ce capital humain dans le secteur formel ?Effectivement, la population centrafricaine est jeune, mais le dernier recensement de la population a été réalisé en 2003 [estimée aujourd’hui à plus de 5 millions d’habitants, ndlr], nous travaillons donc sur la base de projections.

Néanmoins, nous testons différentes formations professionnelles auprès de la jeunesse centrafricaine, afin qu’elle s’intègre demain, dans l’économie formelle, que ce soit dans l’agriculture, l’énergie ou la technologie. Un programme conjoint des jeunes est actuellement mis en œuvre avec l’appui des Nations unies. Par ailleurs, plusieurs cycles de formation professionnelle et d’entreprenariat des jeunes sont actuellement financés par différents partenaires.

Le 27 décembre, les Centrafricains se rendront aux urnes pour les élections présidentielles, faisant craindre un nouveau risque sécuritaire. Comment y répondez-vous ?Nous n’avons pas réussi à tout faire en 4 ans, mais nous avons progressé, ce qui n’apparaît pas sur les réseaux sociaux qui noircissent les actions menées par le gouvernement. Aujourd’hui, les Centrafricains ne veulent plus de crise. Le risque est nettement surestimé […] Nous savons qu’il subsiste des poches de résistances, mais cela reste sans commune mesure avec ce que l’on peut lire sur Internet. Nous pourrons aller voter sans risquer les coups de feu, car la situation s’est nettement améliorée depuis la fin de la crise, et ceux qui craignent l’insécurité, jugeront par eux-mêmes.

Source : La Tribune Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

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