Énergie renouvelable : l’Afrique et le défi du solaire

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Investissements massifs et stabilité des États sont les conditions qui se posent à l’expansion de l’énergie solaire sur le continent, dont la population pourrait doubler d’ici à 2050.

« L’Afrique subsaharienne est dotée d’un potentiel de production d’électricité solaire colossal, qui devrait permettre à la région de satisfaire ses besoins énergétiques de façon durable », constate Hugo Le Picard, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans un édito publié fin mai. En 2017, 4,6 TWh (térawattheures) d’électricité à partir du solaire ont été produits sur le continent, alors que son potentiel théorique est estimé à plus de 60 millions de TWh par an. En comparaison, l’Asie dispose d’un potentiel théorique de 37,5 millions de TWh/an et l’Europe, seulement 3 millions de Twh/an.

Un potentiel sous-exploité…

Alors que l’Afrique est largement sous-équipée en termes de production énergétique, elle n’a pas encore pris le chemin du rattrapage et le solaire ne représente que 2 % de son mix électrique. Sur 80 gigawatts (GW) installés, le photovoltaïque ne représente que 1,5 GW. « Près de la moitié des Africains (600 millions de personnes) n’ont pas accès à l’électricité en 2018 et environ 80 % des entreprises d’Afrique subsaharienne subissent des coupures fréquentes, entraînant des pertes économiques substantielles », souligne Arnaud Rouget, analyste Afrique à l’Agence internationale de l’énergie, sur le blog de réflexion ID4D animé par l’Agence française de développement (AFD).

…faute d’investissements

Pourtant, des vents favorables soufflaient sur le secteur. La forte baisse des coûts du photovoltaïque, la multiplication des financements soutenus par les bailleurs de fonds et l’appétence du secteur privé pour les projets solaires auraient dû se concrétiser par une plus forte utilisation d’énergie solaire. Malheureusement, les freins et les contraintes restent prégnants. « Le défi du solaire en Afrique subsaharienne n’est ni technologique ni technique », note Hugo Le Picard. « Contrairement aux centrales thermiques, la quasi-totalité du coût d’une centrale solaire est concentrée dans les dépenses d’investissements. L’investissement solaire nécessite donc des certitudes de paiement sur toute la durée de vie de la centrale, pour pouvoir être financé dans des conditions favorables, soit pendant plus de 25 ans », poursuit-il. Or, le secteur dans son ensemble reste handicapé par nombre de difficultés. Les services énergétiques restent insuffisants et peu fiables, même dans des pays plus avancés comme l’Afrique du Sud.

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Des sociétés nationales d’électricité défaillantes

Parmi les principaux freins à l’investissement dans le solaire, Hugo Le Picard pointe la mauvaise santé financière des sociétés de service d’électricité en Afrique subsaharienne. Selon une étude de la Banque mondiale, sur 39 pays de la région, 12 pays avaient des secteurs électriques qui ne recouvraient pas la moitié de leurs coûts totaux et 18 ne recouvraient même pas leurs coûts d’exploitation. La liste des difficultés techniques et financières impressionne : vétusté des réseaux de transport et de distribution, manque d’investissements de maintenance, importantes pertes techniques en ligne, mais aussi vols dus aux raccordements sauvages, à cela s’ajoutent les factures impayées par les consommateurs.

Hugo Le Picard décrit alors un cercle vicieux qui s’installe : « La mauvaise situation financière de ces entreprises fait baisser les investissements de maintenance. La qualité des services se détériore, la fréquence et la durée des coupures de courant augmentent. Cela a un effet négatif sur les économies des pays représentant un coût allant de 1 à 5 % du produit intérieur brut (PIB) national. De plus en plus d’usagers refusent de payer un service devenu médiocre, ce qui diminue davantage les revenus des compagnies électriques. »

Ce constat de la vulnérabilité des sociétés nationales d’électricité est également partagé par Benjamin Denis, responsable équipe projet, chargé de l’énergie, à l’Agence française de développement (AFD). « Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, les moyens consacrés au renforcement des opérateurs et à l’atténuation des risques de défaut sont insuffisants […] Du fait de difficultés de trésorerie récurrentes, il n’est pas rare de voir ces compagnies d’électricité payer leurs fournisseurs avec un an de retard », explique-t-il sur le blog ID4D.

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Le déploiement de l’énergie solaire centralisée est aussi limité par la capacité d’absorption des réseaux de distribution. La plupart du temps, ce sont des sociétés nationales qui gèrent le réseau de distribution et achètent l’électricité aux producteurs. Au Kenya c’est KPLC, Sénélec au Sénégal ou Zesco en Zambie. Les producteurs d’électricité, comme les centrales solaires, dépendent alors d’un seul client. Un défaut de la société nationale ou une rupture de contrat laisse planer un risque majeur pour les producteurs d’électricité indépendants.

Changer de paradigme

« L’amélioration de la viabilité financière des entreprises nationales de services d’électricité est une condition sine qua non pour permettre la multiplication de projets solaires par des producteurs d’électricité indépendants », avance Hugo Le Picard. « Les gouvernements devraient aujourd’hui privilégier l’amélioration de l’efficacité opérationnelle du secteur. Il s’agit de réduire les pertes techniques et non techniques, d’améliorer la collecte des revenus, de limiter le sureffectif et d’augmenter les tarifs », avance-t-il. Il préconise ainsi l’installation de centrales solaires près des villes pour réduire les pertes en ligne et l’installation de compteurs prépayés pour éviter les impayés.

Pour une approche simplifiée et coordonnée

La pandémie du Covid-19 aura des répercussions. Les ressources financières risquent de se tarir. Le brusque arrêt de la croissance et les possibles dépréciations monétaires sont à prendre en compte et pèseront sur le coût des projets de centrales solaires. « Il convient de clarifier les rôles des différents acteurs présents sur le secteur en Afrique subsaharienne pour tirer au mieux profit des compétences de chacun et s’assurer que les fonds sont alloués de façon efficace », écrit Hugo Le Picard. Il préconise ainsi que les bailleurs se concentrer sur les segments où le secteur privé ne peut investir, notamment dans les réseaux et de réserver l’utilisation d’appels d’offres aux projets de plus grande envergure (50 MW + ). Pour les plus petits projets, il cite, par exemple, la mise place de mécanisme comme les « Feed-in-tarifs ». Ce mécanisme permet de fixer un prix de rachat de l’électricité calculé sur le coût de production, assurant aux investisseurs la rentabilité de leur projet.

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Encore des obstacles à lever

La plupart des contrats d’achat sont signés en dollars, transférant le risque de change aux sociétés nationales d’électricité, qui achètent l’électricité en dollars aux producteurs et la revendent en monnaie locale. « Pour éviter une telle menace, il est indispensable de s’appuyer sur des solutions de gestion des risques et d’intensifier les efforts en faveur des électriciens et de leurs réseaux », analyse Benjamin Denis. Hugo Le Picard invite aussi de son côté les États à « lever les obstacles aux investissements du secteur privé, qui aura plus que jamais un rôle clé à jouer ».

Source: Le Point Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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