En pleine pandémie, le président égyptien al-Sissi étend (encore) ses pouvoirs

Abdel Fattah al-Sissi

Avec une loi obligeant les militaires à solliciter l’aval du conseil militaire qu’il dirige pour entrer en politique, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi étend ses pouvoirs, déjà renforcés par des amendements justifiés par la pandémie de coronavirus.

« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. » Abdel Fattah al-Sissi semble avoir fait sienne la maxime de Karl Marx. L’ancien maréchal, élu président de l’Égypte en 2014 puis en 2018, vient de drastiquement limiter la possibilité donnée aux militaires de se présenter à des élections.

Jusque là, les membres de l’armée étaient autorisés à mener une carrière politique à condition d’abandonner leur métier ou d’être déjà à la retraite. Les militaires en exercice, eux, étaient officiellement tenus au devoir de réserve et interdits d’avoir une quelconque activité politique.

L’adoption d’une nouvelle loi le 6 juillet les contraint désormais à obtenir préalablement « l’accord du Conseil suprême des Forces armées (CSFA) » – une entité puissante au sommet de l’armée, dirigée par al-Sissi depuis 2014 – avant de concourir à une élection. Une façon pour le chef de l’État égyptien de s’assurer de n’avoir aucun compétiteur issu du sérail militaire pour la prochaine présidentielle.

L’ancien chef d’état-major Sami Anan, au Caire, en mars 2011.

Lors du précédent scrutin, en 2018, les adversaires les plus sérieux du président sortant avaient été soit arrêtés, soit découragés. L’ancien chef d’état-major Sami Anan avait été notamment embastillé après l’annonce de sa candidature. Il avait été libéré fin 2019, après plus de dix-huit mois de détention.

Le prétexte du Covid-19

En avril 2019, une réforme avait – déjà – renforcé le pouvoir du chef de l’État : une révision constitutionnelle, adoptée par référendum, avait autorisé Abdel Fattah al-Sissi à se présenter à un troisième mandat. Et depuis, d’autres législations sont venues étendre, jusqu’à l’infini ou presque, les prérogatives du raïs.

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Début mai, en pleine pandémie de Covid-19, les ONG ont dénoncé la ratification d’une série d’amendements à la loi sur l’état d’urgence, y voyant une « couverture » pour la mise en place de « nouveaux pouvoirs répressifs. » Les amendements tels que publiés au journal officiel permettent au président d’ordonner la fermeture des écoles, la suspension des services publics, l’interdiction des rassemblements publics et privés et le placement en quarantaine des voyageurs entrant dans le pays.

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Ils autorisent aussi le président à limiter le commerce de certains produits, réquisitionner les centres médicaux privés et transformer des écoles, des centres éducatifs et d’autres établissements publics en hôpitaux de campagne.

Le procureur militaire s’est vu lui accorder la possibilité d’assister le ministère public pour enquêter sur des crimes rapportés par les forces armées, responsables du respect des lois sous l’état d’urgence.

« Le gouvernement du président al-Sissi utilise le prétexte de la pandémie pour étendre la portée de la loi d’urgence, déjà utilisée de manière abusive, au lieu de la réformer, avait réagi Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. Les autorités égyptiennes devraient répondre aux véritables problèmes de santé publique sans mettre en place de nouveaux outils de répression. »

Arrestations en série

Si Joe Stork reconnaissait que certaines de ces mesures sont nécessaires en temps de crise sanitaire, il s’inquiétait de futurs abus : « Recourir à la sécurité nationale et à l’ordre public comme une justification reflète la mentalité sécuritaire qui gouverne l’Égypte de Sissi. » Les faits n’ont malheureusement pas tardé à lui donner raison.

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Alors que le dernier bilan officiel des victimes du coronavirus en Égypte fait état, au 6 juillet 2020, de 3 422 morts, et que mi-juin, selon l’OMS, plus de 400 médecins avaient été infectés au Covid-19 et 68 d’entre eux étaient décédés, plusieurs soignants ont été arrêtés pour avoir critiqué la gestion de la crise sanitaire.

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Le 14 juin, le syndicat des médecins égyptiens a demandé au Parquet de libérer cinq de ses membres, accusés « d’appartenir à un groupe terroriste » et de porter « atteinte à la sécurité de l’État ». Comme d’autres soignants, qui représentaient mi-juin plus de 11 % des contaminations selon l’OMS, ils s’étaient plaint sur les réseaux sociaux d’être obligés d’acheter leurs propres masques. D’autres travailleurs de la santé confient, mezzo voce, avoir été menacés de sanctions par les administrateurs des hôpitaux, et contraints de se taire.

Les adolescents trop présents sur les réseaux sociaux sont aussi la cible du régime, en vertu d’une loi promulguée en 2018 autorisant la surveillance étroite des comptes les plus influents. Menna Abdel Aziz, 17 ans, en a fait l’amère expérience. La jeune fille a été arrêtée pour avoir posté une vidéo à visage couvert dans laquelle elle raconte avoir été violée. La police y a vu une « promotion de la débauche ». Ce n’est que grâce à l’intervention de l’Egyptian Initiative for Personal Rights, une ONG, que l’adolescente a obtenu son transfert dans un centre pour femmes victimes de violence.

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L’étudiante Haneen Hossam a connu la même « mésaventure » après avoir posté sur TikTok un clip annonçant à ses quelque 1,3 million d’abonnés que les filles pouvaient gagner de l’argent en collaborant avec elle sur les réseaux sociaux. Son message a été interprété comme un appel à la prostitution. L’étudiante a dû d’acquitter d’une caution d’un peu plus de 500 euros pour retrouver la liberté.

Trois années d’état d’urgence

Depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du président Abdel Fattah al-Sissi, les ONG s’alarment de la vague de répression impitoyable qui s’est abattue contre toute forme de dissidence, dans un pays qui compterait 60 000 prisonniers d’opinion. Le pays est sous état d’urgence renouvelé depuis avril 2017 et la survenue d’un attentat revendiqué par un groupe jihadiste affilié à l’État islamique (EI)

La législation d’exception élargit considérablement les pouvoirs de la police en matière d’arrestation, de surveillance, de déplacements et réduit les droits constitutionnels tels que la liberté d’expression. La loi avait été rédigée en 1981, après l’assassinat de l’ancien président Anouar el-Sadate.

Dirigée depuis 1952 par des militaires, l’Égypte a connu une brève parenthèse civile du 30 juin 2012 au 3 juillet 2013, lorsque Mohamed Morsi, candidat des frères musulmans, avait été démocratiquement élu. Son mandat avait pris fin avec le coup d’État dirigé par al-Sissi.

Source : Jeune Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

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