De quoi la fréquence des sommets avec l’Afrique est-elle l’expression ?

A la Maison Blanche, tout comme derrière les murs des palais du Zhongnanhai à Pékin, du Kantei à Tokyo, du Kremlin à Moscou, de l’Ak Saray à Ankara, de l’Elysée à Paris, du Beit Aghion à Jérusalem-ouest, les stratégies se peaufinent. Parfois avec l’appui de leurs anciens réseaux, souvent avec leurs nouveaux relais ou les ressorts de leur soft ou de hard-power, une véritable course à l’influence oppose les anciennes puissances colonisatrices à des nouveaux partenaires. La saillie de cette guerre de positionnement reste sans doute la tenue par chaque puissance de son sommet transcontinental avec l’Afrique. De quoi la multiplication de ces rencontres avec le Continent est-elle le nom? La Tribune Afrique tente d’apporter quelques pistes d’explications.

Dans l’agenda diplomatique de l’Afrique, la tenue des sommets transcontinentaux est devenue une véritable démonstration d’influence pour les puissances. La Russie l’a fait à Sotchi fin octobre, dans la foulée de la Chine, du Japon, de l’Inde, de l’Allemagne. Habituée des sommets transcontinentaux, la France va tenir «son» sommet avec l’Afrique en juin 2020. En attendant de meilleures auspices, les rumeurs de boycott qui ont eu raison du sommet de 2017 n’ont pas dissuadé Israël de renoncer à une grand-messe avec les Etats du Continent. Au moment où le Brésil songe déjà à une date comme d’autres pays hors du Continent, l’Arabie Saoudite s’apprête à recevoir l’Afrique dans les prochaines semaines.

Une (re)colonisation de l’Afrique?

Malgré une certaine diversité dans l’identité des prétendants, ce nouveau regain d’intérêt pour le Continent le replonge dans des souvenirs d’un passé que l’on croyait révolu s’apparentant à une (re)colonisation. «L’Afrique est le continent dont la croissance démographique et les ressources du sous-sol constituent des éléments d’attractivité pour tous les pays qui recherchent des points de croissance et des débouchés commerciaux. Il n’a échappé à personne que tout, ou presque, est à faire en Afrique. Comme lors de la Conférence de Berlin de 1884, qui avait donné le coup d’envoi de la colonisation, toutes les grandes puissances et les puissances moyennes viennent en Afrique chercher des parts et des points de croissance», relève Louis Magloire Keumayou, journaliste et président du Club de l’Information africaine à Paris.

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Dans un contexte géopolitique mondial marqué par les incertitudes économiques et sociales, l’Afrique apparaît comme la nouvelle terre promise. Aussi toutes ces puissances ne lorgnent non seulement cette croissance tirée par l’urbanisation dans ce marché au milliard et demi de consommateurs appelé à doubler d’ici 2050 ; mais elles s’intéressent aussi à la mise au jour des matières premières brutes. «L’accès à ces ressources est vital dans la perspective des bouleversements économiques à venir comme la fin de l’ère pétrolière, le développement des nouvelles technologies, ce qui explique l’agressivité des nouveaux acteurs (Chine, Russie, pays du Golfe) qui disposent de moyens considérables, analyse le géopolitologue Marc Lavergne

Les conférences qui se succèdent sont un moyen de faire son marché non seulement de produits, d’investissements, mais aussi d’intermédiaires indispensables, et de présenter au mieux sa surface financière et technique, et pour les pays/villes d’accueil de montrer leurs avantages comparatifs et de tester leur attractivité en termes d’intégration à l’économie internationale», complète le directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France.

Retarder le déclin des grands empires

Et pourtant, la réalité prend une explication moins économique dès lors que l’on intéresse à la catégorie des acteurs et à leurs motivations. Avec l’organisation de ces rencontres bilatérales, les ex-colons s’offrent un moyen de régénérer une relation à bout de souffle avec leurs ex-obligés sous l’effet d’un lourd passif historique et même de jeter les bases d’une coopération loin de leurs prés carrés à la recherche d’une gloire perdue.

«Plus qu’une conquête de marchés économiques, cette frénésie diplomatique est le signe d’une quête de puissance politique internationale et d’influence stratégique. Il y a un désir non avoué pour certaines puissances de régénérer à travers ces sommets le souvenir des empires déchus qu’elles incarnaient auparavant d’une part, et d’autre part de confronter avec les autres «Grands» du monde leur position dominant», tranche Régis Hounkpè, analyste géopolitique et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils. Il n’y a au monde que le continent africain qui gratifie d’une telle surface d’exposition internationale. Nous vivons un monde de compétitions économiques féroces et de rivalités géopolitiques et en cela, les puissances «chahutées en interne» viennent retarder leur déclin en convoquant l’Afrique à des agoras», explique le directeur de ce cabinet spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique

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En face, de nouveaux arrivants endossent le rôle de partenaires alternatifs. Ils voient dans ces sommets, l’occasion d’une projection de leurs ambitions politiques, diplomatiques et économiques, qui place l’Afrique au centre de leur politique internationale. Avec la promesse d’une relation bilatérale plus égalitaire, « gagnant-gagnant» et débarrassée du paternalisme moralisateur que l’on dénonce chez les ex-colons, ces nouveaux partenaires semblent partis en pôle position dans la bataille de la perception. C’est sur le terreau du rejet des anciennes puissances colonisatrices que les nouveaux partenaires sèment leurs cailloux. Pour la première fois, la configuration des prés carrés et des chasses gardées est en train d’être battue en brèche.

«La multiplication de ces sommets peut traduire, la convoitise des partenaires autres que les puissances colonisatrices vis-à-vis de l’Afrique car, depuis trop longtemps elles sont restées les partenaires privilégiés de leurs colonies. Cette convoitise passe à l’acte parce qu’aujourd’hui, il apparaît clairement que ces relations privilégiées ne conviennent plus aux africains tant elles traduisent en fait un prolongement de la colonisation et ont montré leurs limites(…) Les contrats léonins continuent de courir», explique la militante et enseignante-chercheuse, Laurence Ndong. Experte en développement, elle y voit aussi «un message envoyé aux anciennes puissances coloniales et en particulier à la France sur le fait qu’il est peut-être temps de revoir ces contrats issus des accords postcoloniaux et qui continuent à appauvrir l’Afrique».

Pour un partenariat plus bénéfique quelque soit le partenaire

Pourtant, rien n’indique qu’avec leur incursion, les nouveaux acteurs accueillis à bras ouverts, aient des visées expansionnistes moins prononcées que celles des ex-puissances colonisatrices. Dès lors, se pose la question des retombées pour l’Afrique de cette succession de sommets. Si ces grands rendez-vous sont pour les chefs d’Etat africains des moyens de jouer la concurrence pour avoir accès à des sources nouvelles de financement ou des étapes dans leur agenda international.

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«Plus que jamais, c’est le moment de changer de paradigme. Si l’Afrique est autant attractive, pourquoi ne le serait-elle pas pour les Africains ? Avec sa jeunesse, sa diaspora, son potentiel naturel et agricole, il y a une infinité de possibilités. La relation Afrique avec les autres puissances est asymétrique et doit se réinventer, au lieu de changer continuellement de parrain, qu’il soit occidental, asiatique ou oriental. Le changement de tutelle ne signifie pas que la tutelle a changé, elle demeure tutelle», relève Régis Hounkpè.

Laurence Ndong pour sa part plaide pour un partenariat lucide, mutuellement bénéfique pour l’Afrique. «Pour profiter d’un partenariat, il faut savoir ce que l’on veut, avoir des attentes claires. Il faut avoir défini ses priorités et s’y tenir. Il faut discuter d’égal à égal. Les dirigeants africains ne devraient pas avoir à courber l’échine devant les autres pays quel qu’ils soient. Ne pas aller pour recevoir uniquement, car la main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne», propose-t-elle.

Et Louis Magloire Keumayou de conclure : «Le défi pour les dirigeants du continent, c’est de transformer l’essai. Ils doivent profiter de la fenêtre d’opportunités qu’ouvre l’attractivité du continent pour faire avancer l’agenda de l’intégration et celui de tous les investissements qui doivent l’accompagner. A cet effet, la ZLECAf  est un bon signal. Il est le point de départ de la construction d’un marché commun africain au service des citoyens et des économies africains. A terme, les pays africains devraient aller aux négociations collectivement, et non en rangs dispersés. L’Afrique ne sera forte que dans son unité»

Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée

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