Congo : le « lourd fardeau » de la dette due aux traders

Au Congola campagne présidentielle, qui a débuté  le 6 mars, pourrait-elle s’achever avec l’annonce de la reprise des déboursements du Fonds monétaire international (FMI) ? Le 11 juillet 2019, cinq ans après la chute des cours du pétrole, l’institution financière avait annoncé un plan de sauvetage de 448,6 millions de dollars pour aider le pays à faire face à « la pire crise financière de son histoire ». 44,9 millions de dollars avaient été débloqués dans la foulée. Mais, depuis, plus rien.

Les nombreux objectifs imposés par le Fonds à Brazzaville, parmi lesquels « un vaste train de réformes visant à améliorer la gouvernance et la transparence » et la restructuration de la dette, n’auraient pas été atteints. Ce dernier point est crucial. La dette publique est « insoutenable », a réitéré le FMI à l’issue d’une mission de revue du programme du 18 au 25 février 2021. L’institution financière a toutefois concédé que les autorités congolaises avaient « fait des progrès » dans les discussions avec leurs créanciers extérieurs. L’objectif du programme est de ramener la dette extérieure en dessous de 30 % du PIB d’ici à 2023 (contre 100 % en 2020) pour afficher un niveau de surendettement modéré.

Dette publique abyssale

Selon les données de la Banque mondiale publiées le 21 janvier 2021, la dette publique du Congo s’élevait à 6 milliards de dollars en décembre 2019 – soit près du double du budget de l’État de 2021 –, dont 4,5 milliards de dette bilatérale. Mais ces comptes de la Banque mondiale n’intègrent pas les dettes contractées par la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), plus grande entreprise d’État, auprès des traders pétroliers. Ces derniers achètent le brut au producteur et/ou lui revendent des produits pétroliers raffinés (essence, diesel). Depuis la crise financière de 2008, ils sont de plus en plus présents sur le continent, supplantant les organismes bancaires avec un mécanisme de prépaiement permettant au producteur de lever des capitaux grâce à des prêts gagés sur les ressources naturelles. « Nous élaborons, structurons, organisons et finançons des crédits qui sont ensuite syndiqués auprès d’un consortium de banques », résume Trafigura, un des leaders du négoce de matières premières. Ce service de prépaiement pour des matières premières lui a permis de capter 5 milliards de dollars en 2019, contre 700 millions de dollars en 2013. Des prêts aux conditions opaques, aux taux d’intérêt élevés, et qui ont plongé le Congo dans un travers consistant à hypothéquer le pétrole pour obtenir des capitaux et à emprunter toujours plus.

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Un accord officiel en vue avec les traders ?

Si le Congo a pu renégocier le remboursement de sa dette publique avec la Chine en avril 2019, puis en avril 2020 avec le négociant Orion, dirigé par le Congolais Lucien Ebata, les pourparlers avec Trafigura et Glencore sont bien plus ardus. Le montant des créances cumulées par ces deux négociants basés en Suisse est colossal. Il s’élevait à 732 millions de dollars pour Glencore en septembre 2019, selon un rapport du FMI, auxquels s’ajoutent 538 millions de dollars d’arriérés. La dette de la SNPC due à Trafigura atteignait de son côté 966 millions de dollars et 965 millions de dollars d’arriérés. En tout, la dette due aux traders représentait alors 18 % du PIB, selon l’institution. Selon le site Africa Intelligence, Brazzaville « a négocié en décembre un accord de rééchelonnement de sa dette et de ses arriérés envers Trafigura » et a « également arraché fin février un protocole d’accord à Glencore, qui refusait jusqu’alors tout compromis ».

Une avancée notable, même si elle ne répond pas pleinement aux exigences du FMI, expliquait le 25 février à Jeune Afrique le Premier ministre Clément Mouamba : « Aujourd’hui, des accords ont été signés avec tous les traders, à savoir Orion, Glencore et Trafigura, mais sans atteindre pour autant, à l’exception d’Orion, la cible des 30 % de décote demandés par le FMI. Le Fonds a suivi de très près le déroulement de ces négociations difficiles. Nous gardons donc espoir qu’il assouplira sa position. »

Le « lourd fardeau » de la dette due aux traders

Dans un rapport intitulé « Prêts adossés aux ressources naturelles, pièges et potentiel  », l’Institut de gouvernance des ressources naturelles (NRGI) expliquait en quoi cette restructuration de la dette due aux négociants en matières premières importait au FMI. Et prenait l’exemple du prêt de Glencore à la Société des hydrocarbures du Tchad comme « initialement structuré de manière à ce que les négociants puissent conserver la plus grande partie des recettes pétrolières de l’État lors de la baisse des prix du pétrole. En 2016, par exemple, 90 % des revenus pétroliers provenant d’un gisement important ont servi à rembourser le prêt. Le FMI cite le lourd fardeau du prêt gagé sur les ressources naturelles comme un contributeur majeur au problème de la dette commerciale extérieure du Tchad. (…) En conséquence, le FMI a fait de la restructuration de ce prêt une condition prioritaire pour le maintien de son aide financière au pays ».

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« En 2014, le Congo semblait avoir une dette très faible, une certaine épargne, et être en capacité de faire face à la baisse des prix du pétrole pendant un certain temps, selon les observateurs extérieurs. Mais, peu après la chute des cours du brut, l’étendue et la complexité des accords d’emprunt sont apparues, et cela a suscité une grande crainte », complète David Mihalyi, analyste économique à NRGI.

Cette méconnaissance de la situation réelle des dettes contractées par le Congo tient autant du voile d’opacité qui entoure les prêts proposés par les traders qu’à la gestion du gouvernement congolais – lequel s’était bien gardé de dévoiler son ardoise auprès de ces négociants au départ. « Un manque de transparence des finances publiques peut aggraver les dépenses excessives », glisse l’économiste, qui regrette par ailleurs que les créances des traders « ne figurent pas dans les données de la Banque mondiale ».

Répercussions sur les dépenses publiques

Dans une note de juin 2020, David Mihalyi estimait également que, « compte tenu de la taille de leurs prêts et de la situation désespérée dans laquelle se trouvent leurs emprunteurs, les négociants en matières premières devraient également se joindre à l’effort mondial d’allègement de la dette ».

En juin 2020, dans le sillage de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) du G20 et des institutions financières internationales, le Club de Paris avait accordé au Congo un allègement de sa dette de 277 millions d’euros selon l’Agence d’information d’Afrique centrale. Plus récemment, la Chine a annulé ses prêts sans intérêt au gouvernement congolais arrivant à échéance à la fin de l’année 2020, ce qui représentait un montant de 92,4 millions RMB (près de 12 millions d’euros). De quoi soulager, peut-être, le Congo et sa population.

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Selon une étude de l’organisation britannique Jubilee Debt, les dépenses publiques ont chuté de 50 % entre 2015 et 2018 dans cet État pétrolier d’Afrique centrale.

Source : Le Point Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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