Banque mondiale-Chine-Afrique : nouvelle donne

Banque mondiale

Le « modèle chinois » que la Banque mondiale et Lin Yifu (Justin Lin), un temps son économiste en chef, vantaient aux pays africains en mal de solutions miracles serait-il désormais en berne ?

David Malpass, l’actuel président du groupe de la Banque mondiale, dans les remarques pour la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G20, qu’il énonça le 18 juillet 2020, a d’une manière feutrée très clairement mis en joue la Chine à cause de son attitude dans la recherche d’une solution pour les pays hautement endettés. Nous traduisons quelques brefs passages :

Pour maximiser le soutien indispensable aux pays éligibles à l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD), tous les créanciers bilatéraux officiels, y compris les banques politiques nationales, doivent mettre en œuvre l’ISSD de manière transparente. Par exemple, la pleine participation de la Banque chinoise de développement en tant que créancier bilatéral officiel est importante pour que l’initiative fonctionne. La transparence de la dette, y compris la transparence des restructurations de la dette dont nous avons parlé précédemment, est bien sûr le point de départ de dénouements plus équilibrés en matière de dette.

Les créanciers du Club de Paris en voient l’intérêt, mais une grande partie du crédit bilatéral officiel provient de l’extérieur du Club de Paris, comprendre de la Chine. Pour que l’ISSD soit pleinement efficace, il faut qu’il y ait un ensemble commun minimum d’informations sur la restructuration de la dette. Cela permettra d’éviter les rééchelonnements secrets qui sont en cours dans certains pays, tels que l’Angola et le Laos, souvent assortis de délais de grâce et de conditions non divulgués.

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Plongée dans les créances chinoises

Thierry Pairault met le doigt sur des changements importants en train de s’opérer du côté de la Banque mondiale.  © DR

La référence à l’Angola et au Laos n’est pas neutre et vise très spécifiquement la Chine. L’Angola, qui est débiteur d’un tiers des créances chinoises de l’Afrique, doit faire face en 2020 à un service de la dette publique bilatérale dont 90 % sont dus à la Chine. Le total de ce qui est dû à la Chine s’élève à près de 60 % du service total de la dette. Le Laos doit faire face en cette même année 2020 à un service de la dette publique bilatérale dont 70 % sont dus à la Chine.

Les déclarations de David Malpass sont à mettre en relation avec un autre événement, la nomination de Carmen Reinhart comme économiste en chef de la Banque mondiale, un poste que Lin Yifu avait occupé de 2008 à 2012, à une époque où la Chine faisait figure de modèle incontournable que tous les pays en développement se devaient d’émuler. Aujourd’hui, l’arrivée de Carmen Reinhart signalerait elle aussi une nouvelle ère dans laquelle la Chine n’aurait plus un si beau rôle.

En juin 2019, soit six à neuf mois avant que ne se déclenche l’actuelle crise sanitaire et ne soient lancés les appels à l’annulation des dettes des pays les plus pauvres, Carmen Reinhart a publié avec deux coauteurs, Sebastian Horn et Christoph Trebesch, une étude sur les prêts de la Chine à l’étranger dont la version initiale a été corrigée en avril de cette année. Voici la présentation qu’en donnent les auteurs :

« Le rôle de la Chine dans la finance mondiale est mal compris par rapport à son statut prééminent dans le commerce mondial. Cette note de recherche étudie la taille, les caractéristiques et les déterminants des exportations de capitaux de la Chine en construisant une nouvelle base de données de 5 000 prêts et subventions à 152 pays, de 1949 à 2017. Nous constatons que 50 % des prêts de la Chine aux pays en développement ne sont pas déclarés au FMI ou à la Banque mondiale. Ces « dettes cachées » faussent la surveillance des politiques, l’évaluation des risques et les analyses de viabilité de la dette. Étant donné que les prêts chinois à l’étranger sont presque entièrement publics, c’est-à-dire contrôlés par l’État, les facteurs habituels de « poussée » et de « traction » des flux transfrontaliers privés ne s’appliquent pas de la même manière. »

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Changement de paradigme

Même si Deborah Bräutigam, de la China Africa Research Initiative de l’université Johns-Hopkins, a pu discuter de certains aspects méthodologiques de ce travail dans un article paru sur son blog (Is China Hiding its Overseas Lending ? Horn, Reinhart and Trebesch’s « Hidden Loans » and Hidden Data), ce qui nous intéresse ici est non pas l’exactitude du contenu, mais d’abord et avant tout le message que fait passer l’étude de Carmen Reinhart dans la mesure où il servira d’emblème à sa mission à la Banque mondiale – comme le fut en son temps le livre de Lin Yifu sur le miracle chinois. La nommer à la tête de la Banque mondiale dans la conjoncture a forcément un sens politique très fort et, indirectement, lance une accusation à l’égard de la Chine.

Car ici il ne s’agit plus de discuter de l’interprétation à donner aux chiffres officiels, comme j’ai pu moi-même le faire, mais de mettre en cause un système de financement opaque qui pourrait endetter outre mesure les pays les plus pauvres. In fine, le message pourrait être de dénoncer, sans vraiment le dire, une entreprise hégémonique qui aurait pris les apparences patelines des nouvelles routes de la soie. D’ailleurs, Carmen Reinhart et ses coauteurs notent que « les deux plus importants bailleurs chinois à l’étranger sont, de loin, les deux banques d’État chinoises » : la Banque chinoise d’import-export et la Banque chinoise de développement. Traditionnellement, ces deux institutions étaient axées sur les pays en développement et les pays à revenu intermédiaire, mais, depuis cinq ans, elles sont de plus en plus souvent actives dans les pays avancés.Cette vision est confirmée par l’interview que le président de l’Exim Bank de Chine, Zhang Qingsong, a accordée à la chaîne de télévision chinoise CCTV le 23 avril 2020. Il affirmait que 1 800 projets le long des nouvelles routes de la soie bénéficieraient de l’aide financière de sa banque qui y aurait ainsi contribué pour un trillion de renminbi – soit près de 150 milliards de dollars. Zhang Qingsong insistait sur le rôle de ces relations financières, de ces prêts-emprunts souverains pour souligner qu’ils servaient l’internationalisation du renminbi et l’affirmation de la Chine comme grande puissance. Il s’agit donc clairement d’une politique assumée d’influence et non d’une simple stratégie commerciale.

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Source: Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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