Au Zimbabwe, le sommet de l’Etat décimé par le Covid-19

Sibusiso « SB » Moyo (au centre), ministre des affaires étrangères, décédé du Covid-19 le 20 janvier. Ici à Harare, le 4 décembre 2017. JEKESAI NJIKIZANA / AFP

L’Afrique face à sa deuxième vague (2). La mort de trois ministres emportés en une semaine par le coronavirus, dont l’un des tombeurs de Robert Mugabe, fragilise la direction du pays.

La réalité du Covid-19 vient de s’inviter brutalement au cœur du pouvoir zimbabwéen. Début décembre 2020, plusieurs membres du gouvernement prenaient la pose bras dessus, bras dessous, visages découverts, à l’occasion du soixantième anniversaire de la ministre de l’information.

Mercredi 27 janvier, le Zimbabwe a enterré trois de ses « héros nationaux » en une seule journée, une première depuis la lutte pour l’indépendance. La semaine précédente, deux vétérans avaient déjà rejoint Heroes Acres, le mémorial dédié aux grandes figures de la nation à Harare, la capitale.

Parmi les personnalités disparues, trois ministres emportés en une semaine. Visage du coup de force de 2017 qui a mis fin aux trente-sept années au pouvoir de Robert Mugabe, le ministre des affaires étrangères, Sibusiso « SB » Moyo, 61 ans, est mort des suites du Covid-19 le 20 janvier. Quarante-huit heures plus tard, le ministre des transports âgé de 60 ans succombait à son tour.

Les semaines précédentes, ce sont la ministre des affaires provinciales du Manicaland, l’ancien responsable des prisons, un ancien ministre de l’éducation et des chefs d’entreprise qui s’éteignaient.

Un véritable choc pour la nation

Au sein d’une élite agrippée au pouvoir et à ses avantages depuis quatre décennies, l’effet de nombre a assommé. « Le gouvernement donne l’impression de ne plus avoir de direction. La deuxième vague les a ramenés à hauteur d’homme. Ils semblaient convaincus d’être immunisés grâce à leurs privilèges. Perdre autant de monde aussi vite a été un choc », analyse Piers Pigou, spécialiste de l’Afrique australe pour l’International Crisis Group.

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« Le virus nous a donné une leçon importante : nous ne sommes pas immortels », a confirmé le vice-président Constantino Chiwenga au cours de l’hommage rendu mercredi. Quelques jours plus tôt, lui-même était mis au repos, officiellement « épuisé », alors que des rumeurs fermement démenties le donnaient malade à son tour.

Mi-janvier, Constantino Chiwenga balayait les témoignages assurant que les hôpitaux étaient saturés, évoquant de « belles histoires écrites par des mercenaires armés de stylo ». Mercredi, alors qu’il enterrait trois de ses camarades, le ton avait changé. « [Le virus] ne fait pas la différence entre les puissants et les faibles, les privilégiés et les défavorisés, ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien », a déclaré le vice-président, mains gantées, le visage dissimulé derrière une visière de protection et un masque FFP2.

La vague de contaminations, qui s’est abattue sur le Zimbabwe depuis le début du mois de janvier, est particulièrement brutale. Officiellement, le pays de 15 millions d’habitants vient de franchir la barre des 1 000 morts. Si les médecins ne se font guère d’illusions sur la fiabilité des statistiques, la tendance est claire : le nombre de décès a doublé en quinze jours. Les spécialistes pensent que la nouvelle courbe est tirée par le variant d’origine sud-africaine, une fois et demie plus contagieux que les lignées « traditionnelles », selon les scientifiques.

L’Etat réduit à sa plus simple expression

Face au virus, des hôpitaux publics, qui manquent déjà de tout en temps normal, sont sous-équipés. « Le secteur privé est la seule véritable option, mais son coût est prohibitif pour l’immense majorité de la population », déplore le docteur Norman Matara, secrétaire général de l’association des médecins du Zimbabwe pour les droits humains (Zadhr). Les frais d’admission peuvent aller de 2 500 à 5 000 dollars assure-t-il, quand la majorité des fonctionnaires gagnent moins de 200 dollars par mois.

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Autre solution de plus en plus populaire dans les milieux aisés : s’offrir les services d’un médecin à domicile et assurer son propre approvisionnement en oxygène.

De nouveau, écoles et commerces non essentiels ont fermé pour tenter de ralentir la propagation du virus. L’interdiction du commerce informel, impossible à respecter pour les millions de Zimbabwéens qui en dépendent, n’est appliquée avec zèle que dans les centres-villes, assure M. Matara. « Ailleurs, les gens vivent leur vie normalement, sans porter de masque », précise-t-il.

En revanche, au sommet de la nation, la situation est loin d’être normale. En plus d’avoir perdu trois ministres en une semaine, l’Etat tout entier est réduit à sa plus simple expression. Depuis la mort du ministre des affaires étrangères, seuls 10 % des fonctionnaires occupent leurs postes physiquement. « C’est comme si tout le monde se demandait : “Qui sera le prochain ? Il ne manquera pas de candidats aux postes vacants. La question est : “Est-ce qu’ils seront compétents ?” ».

Une lumière crue sur la vulnérabilité de l’élite

Plus que les autres, le décès de Sibusiso Moyo a de quoi déboussoler l’exécutif. Aux côtés du président Emmerson Mnangagwa, il avait incarné la tentative du pays de revenir sur la scène internationale en promettant des réformes politiques et, surtout, économiques. En face, une tendance plus conservatrice, proche des militaires, est emmenée par le vice-président Constantino Chiwenga.

Pour Piers Pigou, l’identité du remplaçant de Sibusiso Moyo « pourrait donner une idée du rapport de force », même si le parti au pouvoir a toujours eu pour habitude de se serrer les coudes dans les tempêtes.

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Au-delà des intrigues, la pandémie jette une lumière crue sur la vulnérabilité de l’élite. En 2019, le vice-président Constantino Chiwenga passait quatre mois en Chine pour soigner un mal inconnu. Sibusiso Moyo souffrait de problèmes de reins. L’absence du second vice-président, invisible depuis quinze jours, interroge également, comme celle du président Emmerson Mnangagwa, qui n’a pas assisté aux funérailles de son ministre des affaires étrangères dont on le disait pourtant proche.

Officiellement, le chef de l’Etat est en congé annuel depuis fin décembre. Un retrait purement « technique », selon le porte-parole de la présidence, George Charamba. Emmerson Mnangagwa l’avait d’ailleurs interrompu pour participer aux obsèques de la ministre provinciale, Ellen Gwaradzimba.

Mais l’absence du président est le signe d’un régime sous pression estime Piers Pigou : « Franchement, vous venez de perdre trois ministres, ce n’est pas le meilleur moment pour poser des vacances. »

Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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