Au Nigeria, la nouvelle loi pétrolière attise les tensions dans le delta du Niger

Pollution, pauvreté, abandon. Il faudra plus qu’une loi pour panser les trois grandes plaies du delta du Niger. Promulgué mi-août, le texte censé réguler le secteur pétrolier au Nigeria et mieux répartir les richesses tirées de l’or noir dans le premier pays producteur d’Afrique a déçu les communautés locales.

De nombreux habitants ont perdu leurs moyens de subsistance agricoles et halieutiques en raison des contaminations successives dues aux fuites de pétrole. Ils exigeaient que les compagnies pétrolières leur versent 10 % de leurs coûts d’exploitation au titre de « compensation équitable ». Mais seuls 3 % seront finalement réservés aux communautés locales, selon la loi.

« Comment 3 % peuvent nettoyer les fuites, fournir de l’eau potable, des routes, des hôpitaux et des emplois dans les communautés pétrolières ? », s’indigne Nwale Nchimaonwi, l’un des responsables du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop), devant sa maison à Ejamah-Ebubu.

Le delta du Niger est depuis des années le théâtre de graves troubles, avec des groupes armés qui percent les oléoducs pour piller du brut, provoquant des désastres écologiques, et multiplient les enlèvements contre rançons. La production du Nigeria, membre du cartel de l’Opep, avait considérablement diminué jusqu’à une amnistie en 2009, qui a permis de rétablir un semblant de calme.

Attaques sur les installations pétrolières

Mais les tensions ont refait surface en 2016 avec de nouvelles attaques sur les installations pétrolières, alors que les communautés locales, intentaient des procès aux compagnies pétrolières étrangères pour être dédommagées.

La communauté ogoni d’Ebubu a récemment obtenu de Shell une compensation de 111 millions de dollars (quelque 93 millions d’euros) pour un déversement survenu en 1970, qui a pollué plus de 225 hectares de terres agricoles et d’eaux poissonneuses. La compagnie, qui nie toute responsabilité, affirme que les fuites ont eu lieu pendant la guerre civile de 1967-1970 au Nigeria.

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Rien qu’à Ejamah, l’un des quatre villages d’Ebubu, 57 puits de pétrole étaient autrefois exploités par Shell, avant que le géant anglo-néerlandais ne soit contraint de se retirer en 1993 en raison des troubles sécuritaires. Bien que la production pétrolière ait cessé, les oléoducs exploités par Shell pour transporter le brut dans la région traversent toujours les terres, les mangroves et les cours d’eau de l’Ogoniland.

La compagnie pétrolière nationale NNPC a récemment récupéré les puits de pétrole à la suite d’une décision de justice, mais les dirigeants ogoni s’opposent à la reprise de la production. Selon les données de l’industrie, entre 1976 et 1991, plus de 2 millions de barils de pétrole ont pollué l’Ogoniland lors de 2 976 fuites distinctes.

« Assis sur un baril de poudre »

« Regardez ce déversement », se lamente Nwale Nchimaonwi, du Mosop, en montrant une large bande de terre sèche et noircie, laissée à l’abandon. « Ken Saro-Wiwa est mort en se battant pour que justice soit rendue à son peuple », ajoute-t-il, en référence à l’écrivain, militant écologiste et fondateur du Mosop, qui a été pendu avec huit autres activistes ogoni en 1995.

M. Nchimaonwi met en garde contre le risque d’explosion sociale, notamment au sein de la jeunesse, de plus en plus frustrée par le manque d’opportunités : « Le Nigeria est assis sur un baril de poudre. »

L’administration du président Muhammadu Buhari espère que la nouvelle loi pétrolière attirera davantage d’investisseurs étrangers, dans un secteur perturbé par la corruption, l’inefficacité, les coûts élevés et l’insécurité. Et affirme qu’elle devrait également profiter aux communautés du delta du Niger. « Les gens discutent de pourcentages, cela ne m’intéresse pas. Nous gérerons ces 3 %, l’essentiel est de bien les utiliser », a déclaré à la presse Godswill Akpabio, ministre en charge du delta du Niger.

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Tamaranebi Benjamin, président de l’Organisation des communautés d’accueil, une autre association, salue l’adoption de la nouvelle loi, mais plaide pour la suppression d’une disposition qui tient les communautés responsables des sabotages sur leur territoire.

Pour beaucoup, la compensation de 3 % est toutefois vécue comme une insulte. « Nous ne pouvons ni cultiver ni pêcher. Notre peuple souffre et tout ce que le gouvernement et les compagnies pétrolières ont pu faire, c’est nous donner un maigre 3 %, affirme le cultivateur de manioc Gideo Loole, en brandissant un couteau. Nous allons mobiliser les jeunes pour combattre le gouvernement et reprendre les ressources qui nous ont été données par Dieu. »

Source: Le Monde Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée

Tribune d'Afrique

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