Au Maroc, la « tragédie » des mariages de mineures

Si le Code de la famille fixe la capacité matrimoniale à 18 ans, plus de 13 000 dérogations ont été délivrées en 2020. Sans compter les mariages scellés par la simple lecture d’une sourate du Coran, qui ne sont pas reconnus par la loi.

« J’ai vécu un enfer. Mais le cauchemar est derrière moi », se souvient, la voix tremblante, Nadia*, une Marocaine mariée à 16 ans et qui se reconstruit dans un village reculé du royaume où subsiste le fléau du mariage des mineures.

« J’ai été mariée à un homme qui a l’âge de mon père », confie Nadia, aujourd’hui âgée de 20 ans, rencontrée chez ses parents à Tamarwoute, un douar de la commune rurale de Tafraouten, sur les hauteurs de l’Anti-Atlas (sud). Un an après son union, l’adolescente a réussi à divorcer de son mari violent. Elle suit actuellement un programme contre l’analphabétisme. « Mon rêve est d’être indépendante, j’encourage les filles du village à faire de même », sourit-elle timidement, visage poupin drapé dans un foulard.

Brèche législative

La beauté de ce village paisible, bordé d’amandiers et d’arganiers, contraste avec la réalité glaçante des mariages précoces, vivace en milieu rural, dans un pays où plus de 13 000 dérogations ont été délivrées pour marier des mineures en 2020, sur près de 20 000 demandes. Ces chiffres n’incluent pas les mariages scellés par la simple lecture d’une sourate du Coran, qui ne sont pas reconnus par la loi.

Si le Code marocain de la famille, adopté en 2004, fixe la capacité matrimoniale à 18 ans, l’article 20 du recueil accorde le droit aux juges des affaires familiales d’autoriser les épousailles de mineures. Une brèche législative décriée par les ONG féministes et même des institutions comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui appellent à son abrogation.

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« Cette tragédie prend une grande ampleur dans les zones reculées, enclavées et marginalisées, comme celle de Tafraouten. Une raison qui nous a poussés à organiser notre caravane de sensibilisation annuelle dans la région », explique à l’AFP Najat Ikhich, présidente de la fondation Ytto, qui œuvre depuis plus de dix ans contre le mariage des adolescentes.

La militante de 63 ans sillonne depuis mi-février la région berbérophone du Souss Massa à la rencontre des villageois et de la société civile locale. Elle prépare la prochaine « caravane », prévue le 15 juillet : un convoi de bénévoles qui sensibilisent la population aux problèmes (juridiques, médicaux, etc.) que posent les unions forcées, organisant des débats et distribuant des dons aux plus démunis. « C’est un travail délicat, car le sujet est tabou et il est impératif de gagner la confiance de nos interlocuteurs et, surtout, de les écouter », explique Mme Ikhich.

« J’ai toujours eu envie d’étudier »

Dans les ruelles du village voisin de Tamadghouste, il n’y a pas âme qui vive. Seules quelques jeunes femmes font cuire leur pain au four collectif. Mme Ikhich entre discrètement et échange quelques mots en amazigh (langue berbère). Les regards intrigués ou méfiants des femmes laissent rapidement place à un dialogue enjoué, témoignant des conditions de vie dans ce village « sans école ni dispensaire ».

Amina*, 23 ans, prend la parole et professe vouloir « prendre en main [sa] vie » malgré une déscolarisation à 6 ans et un mariage à 17. « J’ai toujours eu envie d’étudier, mais personne ne m’a aidée. Mes trois sœurs ont subi un pire sort. Elles ont été mariées très jeunes, vers 14 ans », raconte-t-elle, emmitouflée dans un peignoir bleu. Dans la région de Souss Massa, plus de 44 % des femmes sont analphabètes, selon les dernières statistiques officielles (2014).

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Eduquer et développer l’autonomie des femmes sont deux piliers dans la lutte contre les mariages des mineures. Karima Errejraji, coordinatrice de la fondation Ytto dans le sud, acquiesce : n’ayant jamais mis les pieds à l’école, unie à 14 ans à un homme de 56 ans, elle a dû se battre pour s’extirper de « l’obscurité »« C’est en intégrant le milieu associatif que je m’en suis sortie. J’ai décidé de dédier ma vie à aider les filles de la région », souligne cette quadragénaire qui accompagne Mme Ikhich dans ses missions.

Dans le four de Tamadghouste, les discussions sont passionnées : confectionner des tapis, vendre du pain traditionnel aux hôtels du coin… Chacune y va de sa proposition pour améliorer la situation des femmes du village. Une idée met tout le monde d’accord : toutes les filles auront droit à l’éducation, ce n’est pas à discuter. Izza*, les yeux clairs pétillants, jure qu’elle se battra pour l’instruction de sa petite, elle qui n’a pas eu cette chance. « Elle doit se construire, devenir indépendante et ne pas me ressembler », espère cette femme de 23 ans, mariée depuis six ans.

Source: Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique

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