Au Burkina, face à l’impuissance des autorités à enrayer le cycle des violences, des citoyens s’engagent

A man with inscriptions on his body stands at a meeting to support national security and defence forces, in Ouagadougou’s municipal stadium, on October 26, 2019. – More than ten thousand people gathered in Ouagadougou on October 26, 2019, to express their support for the defence and security forces of Burkina Faso. The defence and security forces have been facing deadly and recurrent jihadist attacks since 2015. (Photo by Olympia de Maismont / AFP)

Terrorisme et violences communautaires apportent leur lot de victimes. Dernier en date, un attentat contre convoi qui a fait 37 morts.

La médiatisation est retombée. La ministre française des armées, Florence Parly, est repartie après une visite éclair, lundi, à Ouagadougou. L’opération militaire conjointe des forces françaises « Barkhane » avec celles du G5 Sahel dans la zone des trois frontières (Niger, Mali, Burkina Faso) a été lancée.

Au Burkina Faso, pourtant, une question taraude toujours la société civile : comment s’engager ? Une interrogation qui se fait une place entre les critiques sur la présence militaire française et la souffrance de voir la machine d’Etat burkinabée enrayée, impuissante. Les attaques terroristes et les violences communautaires ne cessent de se multiplier et apportent chaque semaine leur nouveau lot de victimes et de déplacés.

Mercredi 6 novembre, un assaut contre un convoi minier a tué au moins 37 personnes dans l’est du pays. En quatre ans, plus de 600 militaires et civils ont déjà été tués dans les exactions des groupes djihadistes et près d’un demi-million de personnes déplacées.

Las de voir « ses proches mourir »

Las de voir « ses proches mourir et souffrir », Aly Nana, originaire de la commune de Kongoussi, dans la région du Centre-Nord, où plusieurs dizaines de milliers de Burkinabés ont trouvé refuge ces derniers mois, a décidé de passer à l’action. De se « sacrifier », précise-t-il pompeusement. Ce juriste de 45 ans a lancé mardi 5 octobre son « mouvement de résistance populaire ». L’idée ? Former des « comités de surveillance et de défense » dans chaque province du pays pour « assurer la protection des populations en appui aux forces de l’ordre » et en collaboration avec les koglweogos, un groupe d’autodéfense local initialement créé pour lutter contre les voleurs de bétails et les bandits.

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« On organise des patrouilles dans les villages pour repérer et dénoncer tout individu suspect auprès des autorités », détaille Aly Nana. Il dit s’inspirer « des CDR de Thomas Sankara », les Comités de défense de la révolution créés par l’ancien président « révolutionnaire » (1983-1987) pour gérer la sécurité et mettre au pas la population. Seules conditions pour s’engager comme volontaire : obtenir le feu vert de son chef de localité, présenter « un casier judiciaire vierge » et se doter de… « courage ! », énumère le coordinateur qui compte obtenir le soutien de l’état-major général des armées. « S’il y a des brebis galeuses, elles seront punies, nous veillerons au respect des droits humains », jure-t-il. Selon lui, l’initiative aurait déjà permis « l’arrestation de plusieurs terroristes »dans la province du Bam et mobiliserait « près de 8 000 membres » à travers le pays. Un chiffre invérifiable.

Mais l’initiative inquiète déjà au Burkina Faso, où les tensions communautaires se sont aggravées cette année. Dans la presse locale, certains partisans de ce « mouvement de résistance populaire » ont en effet demandé à être armés « pour se défendre »« Non, nous n’armerons personne tant que nous n’aurons pas d’autorisation ! » rétorque Aly Nana, irrité par la question.

« Il faut s’attendre au pire »

L’idée de mobiliser la population face à l’insécurité grandissante n’est pas nouvelle. Elle est officiellement encadrée par une loi de 2016, qui intègre les « structures communautaires locales de sécurité » à la police de proximité. Ce dispositif a permis la montée en puissance des groupes d’autodéfense comme les koglweogos.

« Les populations se sentent de plus en plus abandonnées par l’Etat et tentent de s’organiser, mais la multiplication de ce genre de groupes pourrait conduire à de graves dérives, alerte le politologue Kassem Salam Sourwema. On risque d’en perdre le contrôle et d’assister à la constitution de milices communautaires, et alors, il faut s’attendre au pire. » Le massacre de Yirgou devrait inciter à la prudence. Le 1er janvier, 49 personnes ont péri, selon les chiffres officiels, lors de représailles imputées à des villageois mossis et à des miliciens koglweogos contre des membres de la communauté peule. « L’absence de sanctions après Yirgou a aggravé le sentiment d’impunité et cette idée que chacun peut se défendre comme il veut sans être inquiété », pointe le chercheur.

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Dépassées sur le terrain militaire, les autorités le sont également sur le plan humanitaire face à l’aggravation rapide de la crise. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, 486 000 déplacés ont déjà fui leur foyer à cause des violences, dont la moitié au cours des trois derniers mois. « En dépit de nos efforts, la situation humanitaire est loin de s’améliorer. (…) Si la tendance se poursuit, nous pourrons atteindre 650 000 personnes déplacées d’ici à décembre », relève la ministre de la femme et de la solidarité nationale, Laurence Ilboubo Marchal. Or « seulement 32 % » des 187 millions de dollars (169 millions d’euros) requis par un plan d’urgence, lancé en février, ont été mobilisés.

« Plus de 30 tonnes de vivres »

Pour le militant Abdoulaye Diallo, « le gouvernement n’y arrive tout simplement pas »« Les distributions sont insuffisantes et mal organisées sur place, alors nous avons décidé de nous organiser », explique le codirigeant de l’association Semfilms et initiateur de la campagne d’appel aux dons « Faisons un geste », lancée le 1er août.

Depuis, son équipe d’une dizaine de bénévoles a déjà distribué« plus de 30 tonnes de vivres, de vêtements et de kits de premières nécessité », tels que des nattes et des couvertures, aux déplacés. Mais, sans encadrement ni dispositif de sécurité, ces sorties restent risquées dans les zones menacées par les terroristes. « Tant pis, on n’a pas le choix, fustige Abdoulaye Diallo. Nous n’allons pas laisser ces victimes sans rien faire ! »

« C’est à l’Etat d’assurer ce rôle, insiste Kassem Salam Sourwema. Il doit réinvestir ces zones abandonnées pour assurer les services de base et récupérer rapidement ces habitants. » Et il y a urgence, dans les « localités perdues », les groupes armés se nourrissent justement des frustrations des populations.

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Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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