Alors que la Cemac et l’UEMOA ont manifesté leur volonté de quitter la zone, la tâche s’avère difficile tant sur le plan économique que politique.

La zone franc africaine est composée de 14 pays de l’Afriquesubsaharienne. Huit appartiennent à la zone de l’Union économique ouest-africaine (UEMOA) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Les six autres – le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad – relèvent de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Depuis quelques années, cette zone franc est contestée de manière récurrente. Le débat sur la question, fortement contrôlé jusqu’au début des années 2000, échappe désormais aux milieux académiques et aux cercles politiques ; toutes les composantes des sociétés africaines s’en emparent.

Aujourd’hui, une réforme concertée s’impose, quel que soit le scénario envisagé : rupture totale de la zone franc ou éclatement en deux zones autonomes entre, d’une part, la Cemac et, d’autre part, la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui englobe tous les pays de l’UEMOA, ainsi que huit autres pays dont le Nigeria et le Ghana), qui a pour projet de créer une nouvelle monnaie unique appelée « eco » dès 2020. Une chose est sûre : toute réforme devra accroître ou, au moins, sauvegarder les acquis de cette expérience de coopération monétaire, tout en y apportant les aménagements nécessaires.

Éviter au moins deux pièges

La future réforme devra échapper à deux pièges majeurs, liés à des perceptions déformées de la réalité.

La première déformation est relative au compte d’opérations ouvert dans les livres du Trésor français où sont aujourd’hui logées 50 % des réserves de change des États membres. En effet, il n’est pas tout à fait exact de dire qu’une dénonciation des accords de coopération monétaire permettrait de recouvrer ces réserves et de les affecter à d’autres projets prioritaires. Car, en réalité, les pays africains assurent eux-mêmes la convertibilité de leur monnaie. La garantie française ne joue que si une union monétaire (UEMOA ou Cemac) est globalement déficitaire. Et quand les risques se sont accrus en 1993 et le déficit est devenu global et intenable, la France a contraint les pays de la zone à accepter la dévaluation en 1994, pour ne pas avoir à être mise à contribution.

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La seconde déformation est l’idée selon laquelle l’arrimage depuis 1999 à l’euro, monnaie forte, rend le franc CFA surévalué, ce qui obère la compétitivité à l’exportation et limite de facto les possibilités de transformation structurelle et d’industrialisation des pays africains.

Trois explications limitent toutefois la portée d’une telle critique. Premièrement, le commerce de la plupart des pays africains souffre plutôt d’une compétitivité hors prix. C’est le cas, par exemple, des barrières non tarifaires imposées à l’entrée des marchés des pays industrialisés vers lesquels ils exportent.

Deuxièmement, l’observation de la structure du commerce et de son positionnement sur les chaînes de valeur régionales et internationales montre que les pays africains sont price-takers (preneurs de prix) sur les marchés des matières premières. Ainsi, les fluctuations du taux de change semblent jouer sur la profitabilité des entreprises exportatrices plus que sur leur compétitivité.

Troisièmement, ces pays souffrent structurellement d’un grave déséquilibre des balances courantes, compte tenu du volume croissant des importations, y compris dans le secteur agricole pour l’importation de denrées alimentaires et des intrants industriels.

On le voit, il y a un « piège historique » à vouloir justifier la pertinence et l’urgence d’une réforme en se fondant uniquement sur des arguments symboliques de « décolonisation monétaire ». Toutefois, de nombreuses études, comme celle de Daron Acemoglu et James A. Robinson, montrent qu’une réforme équilibrée peut être envisagée.

Quel consensus autour d’un régime de change optimal ?

Il faut se rappeler que le franc CFA existe depuis plus de 70 ans et que son usage est ancré dans les habitudes des agents économiques. C’est pourquoi toute tentative d’évolution devrait être prudente et consensuelle.

La volonté politique est indispensable pour garantir la réussite de la réforme. Selon toute vraisemblance, c’est la condition la plus difficile à remplir. Le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a assuré que la France était ouverte à une « réforme ambitieuse » du FCFA, tout en précisant qu’il revenait aux chefs d’État africains d’en décider. Mais compte tenu de la relation spéciale, parfois qualifiée de néocoloniale, qui la lie à ses anciennes colonies, la liberté des chefs d’État d’aller vers une réforme sérieuse serait limitée. Ce qui explique, sans doute, que les positions officielles des chefs d’État de la zone franc ne sont pas clairement connues.

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Choisir un régime de change est difficile pour un pays en développement en raison de l’influence de ce choix sur la structure de prix et de ses multiples impacts financiers, économiques et sociaux. La réflexion doit donc permettre de définir un régime de change qui concilie stabilité et flexibilité. Ce rôle d’ancrage que joue le taux de change paraît particulièrement utile dans les pays en développement, où la difficulté d’équilibrer les finances publiques incite à la création monétaire à travers les avances aux États (financement du déficit budgétaire par la Banque centrale à travers une avance au Trésor).

Le choix d’une dose de flexibilité doit reposer sur des réponses claires à deux questions difficiles : quelle est la nature des chocs auxquels les économies sont confrontées ? Et quelle en est l’ampleur ?

Améliorer les modalités de financement de l’économie

Deux aspects doivent être examinés à cet égard : la politique monétaire d’une part et le développement des marchés financiers d’autre part. La politique monétaire doit encore évoluer pour rompre avec le tournant quantitativiste et monétariste pris dans les années 1970 et renforcé dans les années 1990, avec les plans d’ajustement structurel qui ont conduit à poser comme norme une austérité permanente et une quasi-obsession de la recherche d’un équilibre qui s’est révélé purement récessif.

Une caractéristique des économies émergentes bien reconnue aujourd’hui est la profondeur et le dynamisme de leur marché des capitaux, qui facilitent la mobilisation de l’épargne longue indispensable pour le financement des infrastructures lourdes.

Les pays de la zone franc devraient promouvoir le développement d’une intermédiation financière inclusive, diversifiée dans l’offre de ses services, dynamique, capable d’apporter une solution optimale au financement de long terme.

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Au sein de la Cemac, la fusion des Bourses actée par les chefs d’État participe de la réalisation de cet objectif. La Bourse de valeurs mobilières de l’UEMOA, après avoir subi sa mue, évolue – certes, lentement – vers une dynamisation de ses activités. Mais il convient de relever que l’interdépendance des marchés financiers et l’objectif de stabilité financière assigné à la Banque centrale réduisent de plus en plus la souveraineté des États et invitent à plus de rigueur dans la gouvernance.

La qualité des institutions au cœur du succès de la réforme

Les doutes qui subsistent toujours quant à la capacité des pays de la zone franc à gérer de manière autonome leur monnaie sans se passer de la présence tutélaire de la France sont souvent justifiés par les risques de dérapage qui résulteraient d’une émission excessive de monnaie en se référant à l’exemple de la « dollarisation » du Zimbabwe et de la République démocratique du Congo. Ces doutes sont encore confortés par les difficultés qu’éprouvent régulièrement ces pays pour définir et conduire des politiques économiques sans l’accompagnement des institutions de Bretton Woods.

Il apparaît finalement qu’un des grands chantiers qui conditionnent la réussite de la réforme de la zone franc repose sur la capacité des États à se doter d’administrations publiques solides capables de favoriser le développement économique. Cette réforme dépend donc, avant tout, de la volonté des chefs d’État africains, plus que de celle de la France. Et, naturellement, elle doit être animée par des hommes et des femmes compétents, motivés et désintéressés.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

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